pas à oublier, raconte Monstrelet, que ce voyage se fict au mois de
Septembre que les vendanges sont en poinct. Et se boutaient assez
asprement parmi les vignes et prenaient tant dedans leur ventre que
plusieurs en furent trouvés morts et crevés dans lesdites vignes1 >>.
On cultivait même la vigne à Roye, à Péronne^. On s’attend à la voir
disparaître aux approches de la mer. Il n’en est rien. Les environs
d’Amiens étaient couverts de vignobles; on en rencontrait jusqu’à
Doullens et Villers-Bretonneux. Nous avons les statuts des vignerons
d’Amiens3; au xiv° et au xve siècle, le chapitre d’Amiens possédait
des vignes un peu partout; au mois de Septembre, on voyait s’installer
sur les carrefours de la ville des pressoirs volants que chacun
louait à tour de rô le1. A Saint-Riquier, au ixe siècle, les habitants de
la « Rue des Vignerons » devaient payer par semaine 16 setiers de
vin. A Abbeville, le faubourg de Menchecourt était peuplé de vignero
n s; à la fin du x v i i i0 siècle, on sonnait encore aux Chartreux une
cloche, appelée la cloche des Vignerons, qui par tradition continuait
à annoncer le repas des vignerons5. Mais dans son avancée septentrionale,
la vigne ne s’arrêta pas à la vallée de la Somme ; nous la
retrouvons à Saint-Quentin, à Vendeuil, à Beaurevoir au xive siècle,
à Aubencheul, au Catelet, à Gouy dont le vinage appartenait à l’abbaye
Saint-Aubert, à Solesmes, à Arras où le salaire d’un vigneron
figure en 1312-1313 dans les comptes de l’hôpital Saint-Jean-en-
l’Estrée et même à Roquetoire et à Saint-Omer6. Les registres de la
collégiale de Saint-Barthélemy de Bétlmne confirment qu’en 1426 on
récoltait du raisin dans les environs7.
On peut se demander ce qui avait fait la fortune de la vigne ju s qu’en
ces contrées septentrionales. Cette antique extension nous
donne un exemple de la violence que des conditions artificielles peuvent
imposer à un produit naturel. La vigne ne prospéra jamais réellement
dans ces pays. Très sensible aux intempéries, elle ne réussit
entièrement qu’en des années exceptionnelles ; la récolte en fut to u 1
Beauvillé, 476, I t| p. 307-308 et 477, IV passim. Anciennement, vignes à Grivillers,
Armancouri, Laboissière, Guerbigny.
5 Curlu, Sainte-Radegonde, Gléry, Mont-Saint-Quentin, Le Hem, Suzanne, Athies,Eclu-
sier, Epenancourt, Falvy, Flaucourt. Cf. de Gagny, 509,1. p. XXXV et Coet, 520, II, p. 422.
Darsy, 527, p. 103-104; 526, I, p. 188, 190 et passim.
3 Thierry, 588, II, p. 317.
1 De Galonné, 281, p. 456-457.
1 Brion, 159, p. 215-217.
? Richard, 309, p. 412 ; Mém. Acad. Arras, 2° série, XVIII, p. 168 ; Ruffîn, Mém. Soc.
Emul. Abbeville, XXXI, p. 186; Piette, 576, p. 100; Delgove, 533, p. 402.
7 Cf. de Mélicocq. De la culture de la vigne dans le Nord de la France aux xv" et
xvi° siècle. Bull. Soc. Botanique de Franco, Y, 1858, p. 23-25.
jo u rs incertaine, la vendange précaire. Très rares furentles vendanges
comme celle de 1240 dont les vins, au dire de Vincent de Beauvais,
étaient tellement forts qu’on ne pouvait les boire sans e au1. Fréquentes
au contraire étaient les gelées qui détruisaient tout espoir de
vendange, quand elles ne tuaient pas les ceps. Tandis que les terres
de labour rapportaient bon an mal an toujours quelque chose, la
vigne sous ces climats variables pouvait rester plusieurs années sans
produire. Et encore ce vin était médiocre ; le raisin demeurait le plus
souvent à l’état de verjus, aigrelet, sans force, se gardant mal, perdant
ses qualités dans le transport. Si l’on songe en outre au labeur
du vigneron, il faut bien admettre qu’il fallait un grand intérêt pour
tenter une récolte aussi incertaine, aussi coûteuse.
La fortune étonnante de la vigne dans ces parages tient d’abord à
ce que, avant le développement des voies de communication, les
vignobles de Picardie se trouvaient être les fournisseurs de pays
que les vins du Midi n’atteignaient pas aisément. Lorsque l ’insécurité
de la voie de mer empêchait l’arrivée des vins de Gascogne,
la Flandre et les Pays-Bas s’approvisionnaient en Picardie, en
France et en Bourgogne. D’autre part, les églises et les couvents
avaient besoin de vin pour le service de la messe; ils aimaient
avoir des vignes sur place ; il n’est guère de donation importante
faite à des ecclésiastiques "qui n’en contienne quelques-unes. Vers le
xve et le xvie siècle, le commerce maritime put apporter aisément les
vins du Midi sur les marchés du Nord. La vigne commença sa
retraite. Bientôt elle dut lutter contre des cultures plus rémunératrices.
Dans le cours du x v i i6 et du xvme siècle, la cherté du pain fit
arracher beaucoup de vignes qu’on ensemença en blé; un éditde 17312,
interdisant les plantations de vignes dans la généralité d’Amiens,
consacrait officiellement ces tendances nouvelles. La pomme de terre,
les plantes oléagineuses, la betterave revendiquèrent aussi leur place.
Puis les moyens de transport se multiplièrent et l’on arracha les
vignes. La vigne recula vers le Sud. On la voit aujourd’hui, dans les
cantons de Creil et de Liancourt s’enrouler aux arbres, libre de l’antique
discipline. Pour la retrouver en pleine culture, il faut gagner
la vallée de la Seine et la vallée de l’Oise.
Le pommier.
A mesure que la vigne reculait, le pommier gagnait du terrain.
1 Duchaussoy, 168, p. 17.
! Boyer, 505, p. 182.
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