inassimilables. Aussi la betterave se localise sur les terres limoneuses,
meubles et fertiles naturellement, ou bien ameublies et enrichies
artificiellement.
De pareilles terres ne sont pas le privilège de la région du Nord.
Les plateaux limoneux de FIle-de-France produisent aussi la betterave
en grand. On peut même affirmer qu’il existe en France beaucoup
d’autres terrains capables de cultures aussi riches; en 1894,
tandis que le Pas-de-Calais avec ses 35.120 hectares de betteraves
n’obtenait qu’un rendement moyen de 23.000 kilogrammes à l’hectare,
la Meurthe-et-Moselle avec ses 35 hectares atteignait 32.500 kilogrammes;
l’Indre-et-Loire, avec ses 200 hectares, 36.000 kilogrammes1.
Le Centre et le Midi possèdent certainement des terres
aussi bonnes. Les qualités du sol ne suffisent donc pas à expliquer
l’extraordinaire fortune de la betterave à sucre dans le Nord de la
France; elle suppose encore des conditions favorables pour la fabrication
du sucre ; la culture devient ainsi l’esclave des lois qui régissent
l’industrie; elle dépend des moyens de transport, des ressources
en combustible, de la valeur des débouchés.
Avant 1837, il existait des fabriques de sucre dans toutes les p a rties
de la France. Beaucoup d’entre elles étaient minuscules ; parfois
la fabrication y descendait à 50 et même 10 sacs; mais elles ne
purent résister longtemps à la concurrence du Nord, mieux pourvu
de combustible et plus facilement outillé. A partir de 1843 l’industrie
sucrière déserte le Midi, le Centre et l’Ouest; elle se concentre dans
la région du Nord où les deux départements du Nord et du Pas-de-
Calais comptent bientôt à eux seuls plus des deux tiers des usines2.
Depuis cette époque ce monopole de la région du Nord n’a pas cessé
de se fortifier3. Nulle part on ne rencontre autant de gares et de ports.
A certaines époques de l’année, l’intensité des transports dépasse
tout ce qu’on voit jamais en d’autres campagnes ; en une année, dans
le seul département du Pas-de-Calais, la sucrerie reçoit des masses
de houille qui peuvent aller de 100 à 300 millions de kilogrammes ;
elle achète des poids de betteraves qui peuvent varier de 300 à 800
millions de kilogrammes ; elle peut expédier de 20 à 90 millions de
kilogrammes de sucre. La plupart des grosses fabriques sont installées
tout près des voies d’eau; Escaudoeuvres, Banteux, Lesdins,
Seraucourt, Montescourt s’alignent le long de l’Escaut et du canal de
' Larbalébrier, 294, p. 645-650.
! Pas-de-Calais, 572, III, p. 67-120.
3 Voy., à la fin du chapitre les renseignements statistiques sur la production du
sucre.
Saint-Quentin qui leur amènent les matières premières. Beaucoup
d’entre elles possèdent leur port particulier : Ham, Escaudoeuvres,
Lesdins, Masnières, Origny-Sainte-Benoîte, Pouilly-sur-Serre, Pommiers,
Port-Salut et d’autres encore. Ainsi s’explique à la fois pour
des raisons naturelles et pour des raisons économiques le développement
de la culture de la betterave à sucre dans la région de l’Escaut,
de la Haute-Somme et de l’Oise moyenne (fig. 21).
Avec la betterave, la culture du Nord est devenue une véritable
industrie, à la fois par la précision du travail et les conditions de la
vente ; elle se trouve à la merci d’un procédé nouveau qu’on applique
chez les concurrents et d’un marché qui se bouche. Cette région de
la France s’éloigne de l’antique tradition ; tout y est en mouvement,
en évolution; derrière les agitations de l’homme, on perd de vue la
nature ; rien n’éveille plus, dans ces plaines en travail, les douces et
reposantes sensations des campagnes isolées. L’agriculture devient
une spéculation ; le cultivateur doit se préparer à changer ses procédés
et ses cultures, quand il a conscience que leur temps est fait.
Les exemples abondent. Yers 1884, la concurrence allemande mit en
danger notre industrie du sucre; tandis que chez nous plus de
50 usines faisaient faillite, l’Allemagne en montait 25 ou 30 nouvelles;
la production de sucre dans le Pas-de-Calais tombait de
48 900 tonnes en 1883-1884 à 19200 en 1885-1886 l. Cette crise provenait
d’une infériorité de notre outillage. A l’étranger, beaucoup
d’usines avaient remplacé le procédé de la presse par le procédé de
la diffusion qui permettait d’extraire d’une tonne de betteraves 70 à
90 kilogrammes de sucre au lieu d’une cinquantaine ; en France, on
gardait encore le vieux procédé; en 1883-1884, la diffusion n’était
montée que dans huit fabriques du Pas-de-Calais. De plus, les fabricants
étrangers non seulement savaient extraire de la betterave
presque tout ce qu’elle pouvait rendre en sucre, mais encore ils
recherchaient les betteraves riches. Tandis que nos cultivateurs se
préoccupaient d’obtenir de forts poids à l’hectare sans considérer la
richesse en sucre, la culture allemande produisait des racines qui
donnaient par 100 kilos 4 ou 5 kilogrammes de sucre brut de plus
que les nôtres. On sauva la fabrication par un moyen artificiel, par la
création de primes qui exemptaient de 1 impôt les excédents de fabrication
fixés par la loi ; l’industrie fut ainsi amenée à adopter les appareils
à diffusion ; quant à la culture, elle dut changer tous ses procédés.
Pour soutenir la lutte, elle dut désormais sacrifier la quantité à