des industries rurales produisirent des effets beaucoup plus intenses
et rapides. Pour le canton de Marseille-le-Petit, grâce aux étoffes de
laine, la population s’accrut constamment de 1720 à 1770. A Feu-
quières-en-Vimeu, elle monta de plus de moitié entre 1750 et 1850 *.
Dans les cantons de Bohain et du Catelet, en l’espace de trente ans,
de 1800 à 1832, on vit, à la suite de l’extension du tissage, toutes
les communes grossir, les uns d’un cinquième ou d’un quart, les
autres d’un tiers et même de la moitié 2. Par contre, de 1800 à 1846,
dans toutes les communes du canton de Poix où la sayetterie achève
de mourir, la population diminue (fig. 38). De nos jours, dans la
décroissance connue sous le nom de dépopulation des campagnes,
on retrouve presque toujours au point de départ la décadence d’une
industrie rurale, la disparition d’un métier d’hiver. C’est ce qu’il
importe de bien établir3.
II
LA DÉPOPULATION DES CAMPAGNES
Tandis que de 1801 à 1846 la population de tous les arrondissements
sans exception avait augmenté, on constate que de 1846 à 1901
ce progrès s’est accéléré pour Avesnes, Béthune et Boulogne, continué
lentement pour Saint-Quentin, Cambrai, Arras, Amiens et transformé
en mouvement de recul pour Doullens, Montdidier, Péronne, Abbe-
ville, Saint-Pol, Montreuil, Clermont, Beauvais, Yervins et Laon.
Avesnes doit sa croissance au tissage de la laine, Béthune à la
houille, Boulogne au commerce maritime et au tissage du coton;
mais ces trois centres demeurent en dehors de la région agricole qui
nous préoccupe. D’autre part, les arrondissements qui restent sta-
tionnaires ou dont les progrès sont très calmes n’échappent au
1 Prarond, 580, IV, p. 86.
3 Brayer, 506, I, p. 48-53, 56-57, 71-72.
3 II est très difficile de réunir, pour les comparer, les dénombrements par commune.
Seuls, ils permettent d’étudier dans le détail et jusque dans ses éléments le mouvement
de la population. Il faudrait avoir recours aux archives départementales : nous avons
vu celles de la Somme, à cet égard ; mais il serait très long de s’en servir, car les
totaux ne sont pas faits p a rto u t; les communes ne sont pas bien classées ; il faudrait
déjà tout un travail pour préparer ces résultats et permettre de les utiliser. Mais il
existe un certain nombre d’ouvrages qui donnent ces résultats; malheureusement l’ensemble
n ’est pas homogène et ne permet pas des comparaisons suivies ni sur de larges
espaces de terrain, ni sur de longs intervalles*de temps.
Avant 1789, il faut se délier de toutes les évaluations p ar feux ; nous avons même
renoncé à en tirer parti ; dans une étude de détail les erreurs sont trop faciles. On trouve
des renseignements dans Saugrain, Dénombrement du royaume, Paris, 1709, 2 vol.
in-12 (Bibl. Nat. L*5) ; dans Bignon, Arch. Nat., H, 158812 qui donne pour la généralité
déclin que par la présence d’une grande ville. Enfin, quant aux
arrondissements qui se dépeuplent, dépourvus de grandes agglomérations
urbaines, ils mettent en pleine lumière la dépopulation des
campagnes; grâce à eux, il devient évident que, si la densité de la
population diminue, c’est parce que la population rurale décroît;
c’est donc à la campagne que nous devons nous transporter pour en
étudier les causes.
Il faut concevoir la dépopulation des campagnes non pas comme
un abandon de la culture, mais comme un exode des ouvriers agricoles
privés de leurs métiers d'hiver par la concurrence de la
grande industrie; dans l’âme du paysan, l’amour de la terre ne
s’éteint pas; l’attachement à la glèbe persiste, comme le gage de
l’indépendance et de la sécurité; ceux qui partent ne sont pas les
laboureurs possédant « du bien », mais les ménagers qui ne possèdent
qu?un champ minuscule ou qui n’en possèdent pas, ceux dont
la terre ne peut pas toute seule assurer les ressources.
Le développement parallèle de la culture et de l’industrie dans
les campagnes a créé une classe de paysans, intermédiaire entre le
laboureur et l’artisan, comprenant elle-même entre ces deux conditions
extrêmes une infinité de nuances correspondant à l’infinie
variété des individus, des localités et des circonstances, mais présentant
comme trait commun l’union de la vie des champs et de la
vie d’atelier. Tisseurs, coupeurs de velours, sayetiers, serruriers,
badestamiers, tourbiers, mulquiniers, tous demandaient un supplément
de ressources à la culture. Dans cette masse populaire, il en
était e tih e n est encore qui, devenus à force d’épargne propriétaires
d’un champ suffisant, s’établissent définitivement dans la culture;
il en est d’autres aussi que leur métier retient toute l’année dans
l’atelier. Mais, à l’ordinaire, ce qu’on rencontre presque partout,
c’est une condition hybride relevant à la fois de la terre et du métier.
de Picardie l’état de la population ; et dans Arch, Nat., II, 1444, la population des villes
du royaume en 1787.
Pourles départements, les Annuaires départementaux et certains ouvrages spéciaux
rendent beaucoup de services, par exemple Aisne (Melleville, Dictionn. historique de
l’Aisne donne la population par commune en 1760, 1788, 1800, 1818, 1836, 1856, 1861 ;
Brayer, 506, I, p. 348, la population par commune en 1820) ; Oise (Graves, 545, dans différents
annuaires de l’Oise donne la population par commune depuis 1720 ; Lhuillier,
Géographie du département de l’Oise, Beauvais, 1866, in-18, la population en 1866 ;
Mercier, Mém. Soc. Acad. Oise, XIII. 1886, p. 824 donne pour l’arrondissement de
Beauvais la population p ar commune en 1822 et 1882.) ; Pas-de-Calais, Cf. les Almanachs ;
Somme, Arch. Nat. Divéis, 105 et 106 (pour 1791) : Dufour et Garnier, 538 ; Rivoire, 583 ;
Vast, Annuaire pour 1837.
On trouve l'étendue des communes dans la Situation financière des Communes
publiée par le ministère de l’Intérieur et la population par commune dans le Dénombrement
de la population, publié par le même ministère.