immenses ressources d’hommes et d’argent, les usines l’ont renouvelé
de nos jours sur des proportions plus vastes. Des villes ont
grossi, débordant au delà de leurs anciennes murailles; d’autres
sont sorties de simples villages de culture. Contrairement aux pays
neufs où la fondation des villes n’est aujourd’hui qu’un épisode du
peuplement, les villes de nos vieilles contrées ne surgissent pas de
terre toutes formées; toujours le passé s’y trouve représenté à côté
du présent. Chez les unes, comme Amiens et Saint-Quentin, c’est
la vieille cité historique qui s’agrège des faubourgs ouvriers. Chez
les autres, comme Caudry etYillers-Bretonneux, c’est un village aux
toits de chaume, aux ruelles verdoyantes où pénètrent, comme par
surprise, les noirs ateliers et les hautes cheminées. Ces agglomérations
industrielles n’ont pas la régularité, la banalité des villes bâties
au cordeau; rien n’a été brusque dans leur origine, ni dans leur
transformation; on n’y a point vu comme à Calais et à Roubaix
l’exil brutal du passé par des nouveautés impatientes ; on peut encore
y goûter, malgré le bruit et la fièvre des fabriques, le charme des
chaumières moussues ou le calme majestueux des cathédrales.
Comme l’industrie, le commerce est un créateur de villes. Beaucoup
de villes se sont établies pour recueillir au passage un transit
de voyageurs et de marchandises, ou bien pour l’arrêter et le centraliser.
L ’embouchure des rivières présente le phénomène des villes
doubles : Eu et le Tréporl sur la Bresle, Abbeville et Saint-Valery
sur la Somme, Montreuil et Étaples sur la Canche; les unes restent
à l’intérieur des terres, à la dernière limite de l’action des marées,
au premier pont; les autres se portent sur la côte pour recevoir les
navires ; de nos jours la concurrence cesse entre ces villes jumelles;
grâce aux bains de mer et à l’ensablement des estuaires, toute la vie
reflue vers le port et délaisse la ville intérieure. Dans les larges vallées
marécageuses, des villes occupent les passages faciles ; Amiens
est le type de ces villes têtes de pont. Son nom celtique, Samaro-
briva ou pont de la Somme, rappelle qu’elle doit l’existence à la
chaussée et aux ponts qui traversaient la rivière. Elle se place en un
endroit où la vallée, rétrécie entre le débouché des eaux de l’Avre
et celui des eaux de la Selle, se trouve en outre occupée par plusieurs
îlots très commodes à la fois pour la traversée et la défense. De
même, Ham1 bâtie à gauche de la Somme, sur un éperon saillant de
craie que sépare de la berge droite un simple espace de 200 mètres,
se pose en un endroit de la vallée où la largeur réduite facilite le
4 Gosselet, 60, p. 48-49.
passage ; de grandes routes très anciennes s’y croisent. Bray-sur-
Somme doit l’existence aux premiers gués formés par la rivière
depuis son estuaire1. Sur l’Oise, Pont-Sainte-Maxence 2, ancienne
Litanobriga, occupe aussi un lieu de passage très ancien; une diminution
de largeur pour la vallée ou de profondeur pour la rivière
suffisait à localiser une route, et, sur cette route, une ville. Sur les
plateaux, le long des chaussées, s’échelonnaient des lieux d’étape ou
de péage qui furent le berceau de certaines villes. Roye (Rhodium)
s’est fondée sur la voie romaine de Reims à Amiens ; plus tard le
courant de transit ayant changé, elle devint sur la route de Paris en
Flandre une station animée de voitures et de messageries ; avant les
chemins de fer, un service de diligences, partant de Roye tous les
soirs, mettait les voyageurs à Paris à 6 heures du matin; la ville
vécut longtemps de ce commerce. Au croisement des chaussées
Brunehaut, de Beauvais à Bavai et de Senlis à Amiens, se créa le
bourg de Saint-Just-en-Chaussée, déjà connu au iva siècle sous le
nom de Sinomovicus. Par sa situation sur la voie romaine de Reims
à Amiens, presque au passage de l’Oise, Noyon dut de pouvoir
enlever son évéché à Saint-Quentin et de connaître les grandeurs
d’une capitale ecclésiastique. A l’intersection des voies romaines, de
Gambrai, d’Amiens et de Reims à Arras, à la sortie de la dangereuse
forêt d’Arrouaise, se fonda un château fortifié contre les brigands,
puis un bourg traversé par l’énorme trafic entre la France et la
Flandre : ce fut l’origine de Bapaume. Ainsi se développèrent des
agglomérations populeuses sur le passage des marchands et. des
voyageurs.
Aux points de rencontre des marchandises, aux marchés, le même
phénomène s’est produit. Jadis, quand les communications à grande
distance étaient encore trop longues, trop pénibles et trop coûteuses,
il existait un grand nombre de marchés ruraux où s’échange aient
les grains et les bestiaux; ces marchés firent la fortune des gros
bourgs qui presque partout sont aujourd’hui nos chefs-lieux de canton
et d’arrondissement. Autour de Santerre, comme autour de la Beauce,
se tiennent des marchés à blé : Montdidier, Roye, Nesles, Péronne.
Au seuil du Yimeu se rangent Eu, Gamaches, Blangv, Oisemont,
Abbeville. Autour du Boulonnais, c’était, dans la Fosse, Desvres,
Samer, Marquise ; sur les plateaux, Hucqueliers, Fruges, Fauquem-
bergues, Licques ; dans le Bas-Pays, Lillers, Aire et Saint-Omer.
1 Josse, Mém. Soc. Anliq., Picardie, XXVII, p. 188.
, s Walkenaer, 469, p. 272.