la distinction des « bassures » et des « monts », des terres chaudes
et des terres froides. Même sur le territoire restreint d’une commune
le bénéfice de l’orientation entre dans l’appréciation des terres : certaines
terres du domaine d’Havrincourt entre Bertincourt et Marcoing,
exposées au Nord, sont ensemencées etrécoltées au moins quinze jours
plus tard que le reste du territoire *. Sur les bords du Thérain, dans le
canton de Niyillers, les pentes de la craie exposées au Sud jouissent
d un climat plus doux que les plateaux découverts qui les surmontent;
la neige persiste beaucoup plus longtemps dans les communes élevées
du canton (Juvignies, Maisoncelle, Oroër, Hardivillers) ; la moisson
a lieu dix jours plus tôt dans les communes de Bresle, Fouquerolles,
Laversine, Fay-Saint-Quentin adossées au versant Sud du plateau 2 ■
de même, dans le canton de Froissy, il y a une différence de dix jour^
pour l’apparition des froids entre le versant septéntrional du plateau
et le versant qui s’étale au Midi. Parfois la protection d’une forêt
équivaut à la protection d’un versant; dans le canton de Lassigny,
le froid est moins rigoureux sur les parties boisées que sur les plaines
du Santerre; tandis qu’aux environs de Beauvais et de Méru mieux
abrités et moins élevés, la récolte du seigle débute souvent dès le
15 Juillet, on ne la commence guère qu’en Août dans les plaines de
Grandvillers, de Saint-Just, de Froissy ; les fleurs des plantes spontanées
elles-mêmes y sont en retard de quinze jours.
Dès que le sol se relève d’une manière continue, on voit naître
dans le climat des nuances locales, souvent vives et tranchées. Entre
la partie méridionale de l’Aisne et sa partie septentrionale qui confine
à l’Ardenne, la différence de température est telle que parfois la
Thiérache porte près de 20 centimètres de neige alors qu’on n’en voit
plus ailleurs. Pa r suite du retard de la végétation, les manouvriers
des environs de Yervins peuvent aller moissonner d’abord autour de
Paris, puis revenir à temps chez eux. En tre la moisson de Soissons
et la moisson de La Capelle, d’Hirson et d’Aubenton, l’écart atteint
parfois trois semaines. Pour les grains de Mars, l’arrondissement
d’Avesnes retarde de dix à douze jours sur Cambrai.Les moissonneurs
de Craonne, de Sissonne et de Neuchâtel vont d’abord couper les
seigles de Champagne, puis les blés de l’Ile-de-France et de la Brie,
avant de moissonner dans l’Aisne; ainsi, sont facilitées les migrations
périodiques des travailleurs ruraux dont le rayon s’étend sans
cesse grâce aux voies ferrées. Autour de Formerie, su r les plateaux
élevés qui bordent le Bray, comme sur les hauts cantons de la Thié-
' 572. IV, p. 45.
- “ Graves, 545, 1830, p. 97.
rache, l’hiver sévit plus durement aussi; la neige persiste parfois cinq
à six semaines ; le Haut-Bray reste exposé à la glace jusqu à cinquante
jours sans discontinuer. Mais de tous les exemples de climat régional
fournis par de hauts pays, le plus vivant et le plus étendu se trouve
dans le Haut-Boulonnais.
Entre la vallée de la Canche et le pays des Watteringues, des
plateaux s’élèvent jusqu’à 200 mètres ; leur physionomie plus rude
tranche sur la nature plus facile des plaines environnantes. Les habitants
des cantons de Lillers, d’Aire et de Saint-Omer donnent encore
le nom de Haut et Froid Pays aux cantons d’Heuchin, d’IIoudain et
de Fauquembergues où les neiges, les gelées, la glace avancent à
l’hiver et retardent au printemps de plusieurs semaines. Vers le
Bas-Boulonnais, le contraste n’est pas moins énergique entre les
hautes terres et la « Fosse » ; sur la côte, les gelées sont ra re s; on a
vu à cinq lieues de la mer par une gelée de 8° à 9° des arbustes
mourir, alors qu’au même moment sur le littoral ils gardaient leurs
fleurs1. Dans l’hiver de 1783 2, tandis que le rivage restait indemne,
les arbres du Haut-Boulonnais blancs de neige cédaient au poids des
frimas. Ce contraste saisissant s’observe dans un court intervalle de
quelques kilomètres entre des communes limitrophes, situées les
unes au pied de la falaise de craie, les autres sur le plateau. Aussi
l’effort dë l’homme est plus âpre et plus pénible sous ce ciel rebelle ;
de tous côtés, autour du Haut-Boulonnais, la végétation est en
avance de deux ou trois semaines. A Brunembert, dans « la Fosse »,
les grains mûrissent huit à dix jours plus tôt qu’à 1 Est, sur le
« Mont ». La semaille des blés ne commence en bas que vers la
mi-Octobre ; en haut, dès le milieu ou la fin de Septembre. Le printemps
survient tard, vers la mi-Mai. On a vu, par certaines pluies
froides d’été, faire du feu. Dès Septembre arrivent les froids. Le délai
départi à l’homme pour le travail des champs est plus court; la
tâche, plus ingrate dans ses bénéfices, devient plus laborieuse et plus
fatigante ; aux yeux des cultivateurs flamands, le paysan du Haut-
Boulonnais est un retardataire, un arriéré ; et souvent celui-ci, désignant
les plaines au labeur facile et rémunérateur qui s’étendent au
Nord, en parle comme d’un pays heureux où la vie est moins dure.
Ici, la nature ne laisse pas de répit ; sous ce climat variable et froid,
il faut se hâter de labourer pour semer de bonne heure ; les froids et
les pluies tombent à l’improviste, arrêtant tout; aussi, comme le
disent les paysans, « le grain reste souvent treize mois en te rre », et
* Dumoiit de Gourset, 282, p. 4.
! Id., p. 26.