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 les  ressources du paysan  et grossit son  avoir ;  ce  fait contribue beaucoup  
 au  développement  de  la  petite  propriété;  ensuite  elle  permet  
 de  produire  à  meilleur  compte  que  dans  les  villes  où  les  denrées  
 nécessaires  à  la  vie  sont plus  coûteuses,  et,  par  suite,  les  salaires  
 plus  élevés. 
 La  lutte  des  campagnes  et  des  villes. 
 Dans  cette  concurrence  entre  la main-d’oeuvre  rurale  et la main-  
 d oeuvre  urbaine,  l’avantage  vers le  milieu  du  xvm8  siècle,  appartenait  
 à  la  main-d’oeuvre  rurale.  Vers  1740,  sur  les  25.000  métiers  
 battants  dans  le  département  de  Picardie,  il  n ’en  était  guère  que 
 6.000  à  6.500  dans  l’enceinte  des  villes:  5.000  à Amiens,  1.000  à  
 Abbeville,  quelques-uns  à Roye,  Montdidier, Montreuil, Boulogne  et  
 Ardres ;  tous  les  autres  se  dispersaient  dans  les  villages  et  dans  
 les  bourgs1.  Cette  diffusion  du  travail  industriel  dans  le  milieu  
 rural avait toujours  rencontré l’hostilité  des  ouvriers urbains. 
 Les villes  conservèrent jusqu’au milieu duxvm®  siècle le privilège  
 de  la fabrication  de  certaines  étoffes;  elles  le  défendirent  âprement  
 contre les tentatives campagnardes. Sur la fin  du xme siècle et au xive,  
 beaucoup  d’ouvriers  chassés  de  Saint-Omer  par  la  cherté  d e là   vie  
 avaient établi  des métiers  dans les  villages  voisins  et vendaient leurs  
 étoffés  avec  la  marque  de  Saint-Omer;  en  1384-1385  les  bourgeois  
 firent une expédition contre les villages  et détruisirent leurs métiers ;  
 la  plupart  des  tisserands  émigrèrent  en  Angleterre  qui  reçut  ainsi  
 les  procédés  d e là   draperie  flamande2.  De  même l ’hostilité  des  corporations  
 d’Arras  réussit à  chasser  des  environs  toute manufacture  
 rurale;  une  lettre  patente  du  20  Janvier  1508  défendait  de  faire  
 «  aucun  ouvrage  de  sayetterie  dans les  lieux  champêtres  et  ailleurs  
 qu’en  cette  ville  d’Arras  » 3;  une  ordonnance  de  Charles-Quint,  de  
 Décembre  1538,4  ordonnait de  «  faire  cesser  le  mestier  de  saietrie  
 qui  se  estoit nouvellement eslevé sur le  plat  pays  et lieux champêtres  
 de  notre  pays  et conte  d’Artois  au grand  d’hommaige  de notre  ville  
 d Arras1».  En  1560,  les  haute-lisseurs  d’Arras  intentaient encore  un  
 procès  aux  haute-lisseurs  du  plat  pays  qui  se  décidèrent  enfin  à  
 emigrer  vers Lille  et Roubaix ;  plus  tard  Colbert tenta vainement de 
 ‘  Martin,  355,  p.  259-260. 
 *  Giry,  343,  p. 352  et  ssq. 
 3  Leuridan, 352,  p.  11. 
 1  Arch.  Nord  (civiles),  B,  2405. 
 les  rappeler.  Ainsi  le  tissage  disparut  d’Artois  pour  se  concentrer  
 dans  les Flandres.  L’Artois,  transformé en  un grand atelier de  filage,  
 devint  une  simple  annexe  de  la  fabrique  flamande.  « Les  filés  d’Artois, 
   dit  la correspondance  administrative  de Louis  XIY, ne  peuvent  
 se  débiter en Picardie  d’autant  qu’il y  en  a  suffisamment  dans  ladite  
 province pour fournir  aux manufactures  qui  s’y font,  lesquelles  dans  
 un  an  ne  pourraient  consommer  tout  le  fil  qui  se  fait  dans  un  mois  
 en Artois1.  »  Pour écouler ses  fils,  l’Artois n’avait  que  la Flandre. 
 Dans les  campagnes picardes,  le tissage prit pied à partir  de la fin  
 du  xvi°  siècle.  Les  villes  se  réservaient  la  fabrication  de  certaines  
 étoffes.  Différents  ouvrages  où  la  laine  était  employée  avec  la  soie,  
 le  fil  ou  le  poil  de  chèvre,  comme  les  camelots  façon  de  Bruxelles,  
 les peluches ou  pannes,  les  étamines,  ne  pouvaient  se façonner qu à  
 Amiens  et  Abbeville2 ;  il  en  était  de  même  au  x v i ii0  siècle  pour les  
 velours  et  les  autres  articles  d’Amiens  ;  seul  le  travail  de la sayetterie, 
   serges  de  Crèvecoeur  et  d’Aumale,  baracans,  camelots  pure  
 laine,  ras  de  Gênes,  ras  façon  de  Châlons,  serges  façon  de  Nîmes,  
 s’exécutait  dans  les  campagnes.  Le bon marché  de  la main-d’oeuvre  
 rurale  formait  un  avantage  trop  précieux  pour  échapper  à  l’attention  
 des  fabricants  d’Amiens ;  la croissance  de  leurs  exportations les  
 amena naturellement à  chercher  des  ouvriers en dehors  des murs de  
 la  ville,  en  dehors  des  corporations,  dans  la  masse  paysanne.  Dès  
 1758,  ils  demandent pour les villages le  droit de  fabriquer les articles  
 d’Amiens ;  ils  offrent en  exemple les  campagnes normandes enrichies  
 par l’industrie. Au mois de Novembre  de cette année,  le sieur Devaux  
 obtint  l’autorisation  d’établir  des  métiers  à  Dury.  Bientôt le  célébré  
 arrêt  Tlu  Conseil  d’Ëtat  du  7  Septembre  1762,  en  permettant  aux  
 habitants  des  campagnes  de  fabriquer  toutes  les  étoffes,  portait  un  
 coup  décisif à la concentration industrielle. A la veille  d un siècle  qui  
 allait  voir  se  reconstituer  cette  concentration  industrielle,  il  est  
 curieux  d’assister  au  triomphe  de la tendance  opposée.  Les  ouvriers  
 des  villes  protestèrent  et  résistèrent ;  mais  leur  résistance  se  brisa  
 devant la loi  économique  qui chassait 1 industrie vers les  campagnes.  
 Les  archives  de  la  Somme  contiennent  un  dossier  concernant  les  
 embauchages  que  des  émissaires  du  roi  de  Prusse  vinrent  faiie  en  
 1762  et  1764  parmi  les  ouvriers  mécontents;  quelques-uns  s’expatrièrent. 
   Cependant  dès  1763  l’arrêt  du  Conseil  portait  ses  fruits,  
 800 métiers  s’étaient déjà  répandus  dans  les  villages pour le  compte 
 '  Correspond,  admin.  sous  Louis XIV  (Depping),  I,  p.  593.  
 1  Mémoire  de  Bignon,  p. 9.