ce qui arriva, que la richesse du pays en bétail était gravement compromise;
on soutenait qu’un terroir, composé de mille arpents de
bonne terre sans biens communaux, produisait infiniment moins de
bestiaux que le terroir d’une paroisse voisine, composé de mille
arpents de mauvaise terre avec 150 arpents de communaux1. Tous
les procès engagés sur la question de propriété donnèrent tort aux
paroisses qui perdirent ainsi une partie de leurs communaux; tel fut
le cas dans la vallée de l’Authie, où le comte d’Artois, seigneur de
Ponthieu, reçut vers 1184 sa part du marais Badré où communaient
les villages de Nampont-Saint-Firmin, de Roussent, de Maintenay,
de Préaux, de Montigny2. Dans la vallée de là Canche3 les communes
riveraines durent de même renoncer aux marais d’Hesdin.
Sous une forme juridique, c’était un conflit entre deux types d’économie
rurale, l’un l’indivision du sol à laquelle les communes
tenaient pour leurs bestiaux, l’autre l ’appropriation du sol sur
laquelle reposait l’avenir de la culture intensive. Cette dernière
conception l’emporta.
Pendant la fin du x v i ii® siècle, les grands seigneurs, gagnés au
progrès agricole, font dessécher les marais. Surtout dans les régions
riches, les cultivateurs les imitent. En 1777 pour la Flandre, en 1779
pour l’Artois, des lettres p atentes4 ordonnèrent le partage des marais
communaux ; on reconnaît que, mis en culture, ils rendront bien
davantage. Toutefois ces partages étaient héréditaires : le lot faisait
retour à la commune en cas d’extinction de la famille. Ce partage
par feu eut les avantages de l’appropriation individuelle ; il entraîna
l’amélioration des terres. Les lois de la Révolution poursuivirent ce
démembrement de la propriété communale; dans les pays de montagne,
leurs effets furent parfois désastreux pour les forêts et les
pâturages; mais dans les plaines tranquilles du Nord de la France,
elle marquent un progrès de l’appropriation paysanne, un recul de
la pâture au profit de la culture, une mainmise tenace de l’homme
sur la terre. Depuis cette époque, chaque jour, des terres de vallée,
amendées et labourées, se destinent à porter des récoltes.
Mais il existe encore des pâtures communales ; on en voit partout
où l’excès d’eau et le manque d’entretien laissent le sol dans son état
presque primitif. Dans la vallée de la Canche, tandis qu’à Maries on
a partagé les marais communaux au début du siècle et que chaque
1 Graffin, 413, p . 70-72.
* Arch. Nat. R‘ 103, (705), R* 107. Cf. Mallet, 566, p. 358-361.
3 Arch. Nat. R' 95 (659).
1 Graffin, 413, p. 69.
ménage en possède une part moyennant une redevance annuelle,
Brimeux conserve encore un pâturage communal où plus de cent
têtes de bétail broutent l’herbe, parmi les flaques d’eau, le long des
oseraies. Dans la vallée de l’Aa, autour de Thérouanne, les bêtes
pâturent de Mars en Janvier dans le marais communal à raison de
6 francs par tête et par an. Les Bas-Champs possèdent aussi beaucoup
de communaux ; il en est de même des vallées de la Somme et
de ses affluents. La survivance de cette forme d’occupation du sol
paraît un anachronisme dans ces régions fertiles où la valeur des
terres vient en grande partie du travail humain. La mise en valeur
du pays tout entier n est plus qu une affaire de temps; l’appropriation
privée finira par triompher des marais communaux, à qui elle communiquera,
comme aux autres terres, sa force de production.
I I
LES PROPRIÉTÉS
G est la propriété privée qui se partage tout le territoire agricole
dans la Picardie, 1 Artois, le Cambrésis et le Beauvaisis. En recherchant
quels sont les propriétaires, on reconnaît d’abord que toute la
terre n appartient pas, il s’en faut de beaucoup, à ceux qui la cultivent,
mais ensuite que les cultivateurs tendent de plus en plus à
devenir propriétaires.
Les propriétaires.
Toute la terre n’appartient pas aux cultivateurs. Beaucoup de
ses détenteurs, et non des moindres, ne résident pas et n ’exploitent
pas directement : ce sont des « forains ». Les départements de
1 Aisne, du Nord, de l’Oise, du Pas-de-Calais et de la Somme se
distinguent par le grand nombre de leurs cotes foraines : Aisne
128.831, Nord 117.809, Oise 134.842, Pas-de-Calais 138.488, Somme
142.585 h Nous sommes dans un pays enrichi par l’industrie et le
commerce, où les bourgeois, les fabricants, les négociants achètent
d e là terre, non pour l’exploiter, mais pour en tirer revenu. L’origine,
de cette classe de propriétaires fonciers remonte au xvie siècle; on
vit alors dans toute la France se constituer des fortunes territoriales
entre les mains des magistrats, des financiers, des officiers, des marchands,
de tous ceux qu’avait enrichi le commerce de l ’argent, des
1 Flour, 405, p. 141-142.
PLAINE PICARDE.