mais la production baisse ; elle est tombée, dans le département de
la Somme, de 83.920 tonnes en 1880 à 42,590 tonnes en 19011
Mais cette industrie qui décline n’en demeure pas moins l’une des
particularités locales les plus curieuses dans le milieu humain des
vallées. Que les marais appartiennent aux communes ou bien aux
particuliers, c est un ouvrier spécial, le tourbier, qui extrait la tourbe.
Dans le département de la Somme, on compte 2.600 tourbiers 2. Ils
vivent d’une existence isolée, au fond des marais, dans leurs chaumières
d argile, toutes basses et frêles, badigeonnées de chaux sur
les murs, de goudron sur le soubassement; presque toute l’année, ils
travaillent là, dans les brouillards, sur une terre humide, coupée de
canaux et de clairs ; au xvine siècle, on les dépeignait comme des
« gens fainéants, sans industrie », rebelles aux labours et aux moissons
; iv ayant pour fortune que leur chaumière,' leur vache et leur
louchet, ils pouvaient se suffire ; mais la diminution des communaux
a réduit 1 étendue des pâtures qui nourrissaient la vache; la tourbe
se vend moins; aussi voit-on maintenant les tourbiers quitter leur
vallee pour se louer pendant la moisson aux cultivateurs du plateau ;
la récolte terminée, ils reviennent à leurs marais, passent l’hiver
misérablement, puis vers le mois d’Avrilils regagnent en barque le
bord de 1 étang sur lequel leur dur labeur les retiendra jusqu’en
Juillet. Il existe deux procédés d’extraction, aussi pénibles l’un que
1 autre : le louchet et la drague. Quand la tourbe est compacte et ne se
délite pas en séchant, on emploie le louchet, hêche quadrangulaire
dont le fer mesure I mètre de long et 10 centimètres de section; on
I enfonce verticalement dans la motte et l’on ramène un long prisme
de tourbe qu’un autre ouvrier débite en briquettes ; quand l’eau est
profonde, on descend le louchet jusqu’à 7 et 8 mètres ; pour le manier
il faut une habileté et une énergie peu communes. Quand la tourbe
très décomposée tombe en poussière en séchant, on va la chercher
au fond des clairs avec des pelles de fer recourbées appelées dragues ;
une fois extraite, on la foule aux pieds sur le fond du bateau, on k
petnt, on la moule en briquettes. Ces briquettes mises, à « l’étente »
sèchent; on les empile d’abord par tas de 2 1 et de 62, puis par piles
de. 850 à 1.000 ; on les recouvre de roseaux pour les protéger contre
la pluie. Quand la tourbe est trop terreuse pour servir de, combusfi
7^ftLe ^ n ^ de' Gaî ^ S Produisait 25.219 tonnes en 1880, 16.771 en 1885 8 210 en 1895
0 9enÆ Vov la’sfe6;au.ida, 11.024, Voj. la Stati9st!i0q’ ue de lin d u strie minéralel.’Aisne, M I M
* Cf. Ardouin Dumazet, 474, 17» série, XIV - Graves 76 n 56Q ktî - b « •
5/2, IV ; Mallet, 566, p. 299-300; Bonnard, 207, p. 127-142. ’ ’ P8s' de'Galais’
tible, on la met en tas qu’on brûle ; la fumée se répand alors au mois
de Mars dans les marais ; on vend les cendres aux cultivateurs pour
semer sur les prairies et les blés tardifs. Toutes ces vallées tourbeuses,
avec leurs forêts de peupliers, leurs fourrés de joncs et de
roseaux, leurs clairières d’eau dormante, leurs solitudes brumeuses,
leurs chétives cabanes et leurs pauvres habitants laissent au
voyageur l’impression de quelque coin de la nature primitive,
oublié là par l’homme au milieu de son domaine et de ses oeuvres.
Les jardins. Les hortillonnages.
Les vallées de la craie sont les cantons privilégiés de la culture
maraîchère. Elle y prospère d’autant mieux qu’on a mieux protégé
la terre contre l’eau. L’eau menace comme une ennemie; mais prudemment
écartée, soigneusement dirigée, elle devient une alliée. La
culture maraîchère s’étend sur les terrains tourbeux aux approches
des villes ; Amiens, Abbeville, Montdidier, Beauvais, Laon. Cette
extension des jardins aux portes des cités n’est pas une originalité du
pays, mais un fait commun aux agglomérations urbaines. Mais elle
prend ici une couleur toute locale grâce aux circonstances qui l’accompagnent.
Les plus célèbres de ces jardins se trouvent dans la
vallée de la Somme, aux abords d’Amiens ; ce sont les « hortillonnages
» 1 ; répartis en treize groupes qui couvrent environ 500 hectares
d’une terre noire, ils appartiennent aux communes d’Amiens,
de Rivery, de Gamon et de Longueau. Par leur emplacement, comme
p a rleu r entretien, les hortillonnages représentent de véritables conquêtes
sur le domaine aquatique.
Comme il fallait sauver la terre de l’inondation, on a multiplié
les moyens d’écoulement. Le territoire est sillonné de canaux
entre-croisés, de « rieux », que relient encore des fossés. Dans ce
réseau compliqué, circulent lentement les eaux de l ’Avre et de la
Somme, entre les berges d’une centaine de petites îles. Toutes ces
artères forment à la fois les voies de communication et les chemins
d’exploitation. Le bateau est l’unique véhicule de l’hortillon. Les
matins d’été, on peut voir le long des fossés, entre les branches
d’arbres, glisser la flottille des barques chargées de légumes qui
descendent à Amiens ; au départ, dans le petit fossé qui borde
« faire », on avance à la godille; puis dans les rieux, on emploie la
rame ou la gaffe ; au retour, pour remonter le courant, l’embarcation
se hâle parfois à la corde. Pour ne pas perdre un pouce de cette terre
1 Rattel, 240. Ardouin Dumazet, 474, 17» série XVI.