ville sur l’Authie1, les frères sartaires ouvraient de larges domaines
agricoles dans la forêt (Odriaca sylva); de nombreux villages dans
les environs rappellent par leur nom cette condition primitive (Le
Sart., Sarton, Ransart, Beausart, Martinsart). Au début du xne siècle,
la forêt de Crécy2, qui s’étendait entre la Somme et la Candie, se
démembrait (forêt de Crécy proprement dite, forêt de Rondel, forêt
de Guaden, forêt de Cantâtre) ; les Bénédictins de Saint-Riquier et
de Forestmontiers y multipliaient les abattis; au xn6 siècle, c’était
déjà le bois de la Tombe qui succombait;” en 1233, c’étaient
300 journaux sur le chemin de Pontlioile3; en 1228, autres essarts
à Yilleroy-sur-Authie. Les Bernardins de Ballance, transportés à
Valloires, les Prémontrés de Saint-Josse-aux-Bois ne se montraient
pas moins entreprenants; on voit tomber, en 1207-1208, 170 journaux
de bois entre Crécy et Yalloires; en 1211, 300 journaux à Mons-
sur-Authie et à Moismont; en 1222, 100 autres journaux à Mons;
en 1214, 50 dans la forêt de Crécy proprement dite. Dès 1154, la
forêt de Cantâtre, au lieu dit Bonnance, était livrée à la charrue
{ad extirpandum atque excolendum) par les Bernardins; ceux-ci
eurent bientôt pour émules les Bénédictins du prieuré de Saint-Pierre
d’Abbeville et les frères de la Maladrerie du Yal de Buigny. Toute
la forêt de Guaden, entre Abbeville et Forest-1’Abbaye disparaissait
de même à partir de 1155.
Partout les clairières s’étendaient dans les bois; les terres arables
gagnaient. Au Sud du Vimeu, une forêt, dont lés noms de lieux seuls
gardent le souvenir, était essartée par les moines de l’abbaye de
Séry, fondée en 1127 (Bouillancourt-en-Séry, Tilloy-en-Séry, le
fond de S é ry 4). Au xne siècle, les moines de Saint-Just-en-Chaussée
exploitaient déjà leurs grandes fermes de Trémonvillers et de Mor-
villers au milieu de leurs grands bois; ils s’occupaient d’éclaircir
l’espace compris entre Trémonvillers, Quinquempoix, Morvillers et
Brunvillers; puis- c’était le tour de la forêt de Cressonsacq, entre
Rainvillers, Trois-Ëtots et Pronleroy. Les terres des grandes fermes
actuelles d’Éraine, d’Éreuse et d’Éloges dans le canton de Clermont
demeurèrent boisées jusqu’en 1150; ces exploitations sont d.’an-
ciennes fondations des moines d’Ourscamps 5. Yers le Nord, les pla1
Bourlon, 803, p. 87-88.
1 Cartulaire du Ponthieu, p. ISO.
3 Sur le défrichement de la forêt de Crécy, voyez Prarond 580, V. p. 146 ; de Cayrol,
514, p. 17-27.
4 Darsy, 525, p. 7-19.
5 Pihan, 577, p. 644. Rousseau, 595, p. 22 ; Debauve, 530, p. 48.
teaux sauvages du Haut-Boulonnais, encore appelés le Pays des
Bois par les Flamands de la plaine, entrèrent en culture grâce aux
abbayes des diocèses de Boulogne et de Saint-Omer. A la lin du
xie siècle, l’abbaye de Ruisseauvillc, nommée d’abord Sainte-Marie-
des-Bois, se fondait au milieu d’une forêt qui formait à l’origine un
seul et même massif avec celles de Fruges, de Créqui et des bords
de la Ternoise1. De même, en Thiérache, pendant le xne et le
x i i i0 siècle, les monastères abattirent les bois et les « haies » et
dégagèrent peu à peu les abords de la grande région forestière de
l’Ardenne. Aucune époque ne vit la culture mener contre la naLure
sauvage une guerre aussi rude, aussi décisive. En perdant ses forêts
où les bestiaux trouvaient une abondante pâture, le Nord de la
France renonçait aux ressources qu’il pouvait encore attendre de
l’élevage et devenait, d’une manière plus exclusive, un pays de
labour et de culture, une terre à ble.
Par le travail de nombreuses générations, cette conquête du sol
se trouvait fort avancée au début du xvnf siècle. En 1701-1702, l’Intendant
de Picardie constatait déjà qu’il n’y avait pas de province où
il y eût moins de terres incultes, landes et communes que la Picardie
« Presque tout est en culture ; le fonds est d’un très grand profit en
blé ; c’est tout le commerce des habitants ; ils y ont trouvé tant d’avantage
depuis vingt ans que les terres les plus ingrates ont été mises
en culture2. » A u x v iii6 siècle, le mouvement reprit de plus belle pour
se. continuer jusqu’à nos j o u r s 3 . Accroissement de la population
rurale pendant la seconde moitié de ce siècle, développement de la
propriété paysanne, vulgarisation de nouvelles méthodes de culture,
encouragement de l’État, tout favorisait cet élan vers 1 appropriation
du sol. Les règlements de 1764 et de 1766 accordèrent des exemptions
d’impôts pendant quinze- ans aux terres défrichées. Non seulement
sur ce pays déjà découvert, les bois devinrent plus clairsemés encore,
mais on mit en culture les terres vaines et vagues, les rideaux, les
bruyères, les riez, en un mot toutes lès étendues stériles et éloignées
des habitations. Rien que dânsl’élection d’Amiens, en 1767-1768, on
conquit 150 journaux (Fluy, Dury, Bacouel), en 1768-1 f69, près de
250 (Metz 80, Sains, Thoix32) ; presque partout c’étaient les affleurements
de craie qu’on annexait ainsi au domaine agricole. Dans le San-
terre, on ne signale presque aucun défrichement; depuis longtemps,
1 Maury, 300, p. 176.
* Gorresp. des Contrôleurs généraux, II, 355n.
3 II y aurait à étudier à la fin du xvi» siècle l’influence de la culture des textiles et
des oléagineux. Mais nous manquons de documents.