ici, ce ne fut ni vers l’Ouest, ni vers l'Est que se réalisèrent ces
contacts féconds; c’est en Flandre et à Paris que les pays de Picardie,
d’Artois et de Cambrésis ont noué les relations fondamentales qui
constituent leur vie économique; de part et d’autre, ils envoient les
fruits de leur terre ; des deux côtés, et surtout du Nord, ils ont reçu
des exemples féconds de travail agricole et industriel.
L’échange des produits agricoles.
Aux pays du Nord, ces riches terroirs apparurent dès 1 abord
comme des terres à blé. La vente des grains fut le principe des relations
commerciales, soit de Cambrai et de Saint-Quentin avec le
Hainaut, soit de la Picardie avec le Boulonnais, soit de l’Artois et
»le tout l’arrière-pays avec la Flandre. Au xvn° siècle, le Hainaut,
pour subsister, ne pouvait se passer du Cambrésis, ni de la Picardie1.
Au xvine siècle, c’est à Cambrai que s’approvisionnaient et Valen-
ciennes, et Avesnes qui ne produisait que de l’épeautre, de l’avoine,
de l’orge, et Landrecies entouré de pâturages et même le pays
d’entre Sambre-et-Meuse jusqu’à Trélon et Givet. Vers 1820, les blés
de Saint-Quentin s’exportaient vers les mêmes régions par l’intermédiaire
du grand marché de La Capelle2. Aujourd’hui les marchés au
blé disparaissent et l’on préfère les ventes sur échantillons ; il est
plus difficile de suivre dans le détail la destination des grains. Mais
ces anciennes relations, reposant sur l’équilibre des échanges, ont
duré. Le pays herbager qui s’étend entre l’Oise et la Sambre demande
du blé aux meuniers de l’Ouest, tandis que les cultivateurs du Cambrésis
vont acheter des vaches, des porcs, des poulains dans les
pâtures des cantons deSolesmes et du Quesnoy. Au Nord-Ouest, nous
observons les mêmes échanges entre la Picardie et le Boulonnais,
entre la culture et l’élevage. Longtemps ils revêtirent une forme originale.
On voyait encore vers 1800 les chasse-marée de Boulogne2
apporter leur poisson dans la Somme, et retourner à Boulogne avec
un chargement de grain; d’autres allaient même jusqu’à Paris vendre
leur marée et prenaient en revenant dans. les marchés du Santerre,
d’Amiens, d’Abbeville et du Vimeu le hle qu ils destinaient à Mon-
treuil, Boulogne et Calais. Les chemins de fer ont ruiné le commerce
des chasse-marée, mais de part et d autre les besoins n ont pas
changé ; de là, maintenant encore, l’importance des marchés comme
1 Mémoire de Bignon, p. 12; Combier, Mém. Soc. Emul. Cambrai, XXV, p. 249;
Caiflaux, 327, p. 249; Brayer, 506, p. 48-52.
* Arch. Nat. F" 378 (nivôse an VIII).
Samer et surtout Desvres, placés à la lisière méridionale du pays
herbager pour la vente des grains ; comme les exploitations se consacrent
presque tout entières à l’élevage, elles ne produisent assez
de grains ni pour les cultivateurs ni pour les animaux; on va les
acheter à Desvres et à Boulogne où les chemins de fer les apportent
de la région agricole. Par un mouvement inverse, la région boulon-
naise fournit de jeunes chevaux la culture jusqu’à la Somme et
l’Oise.
. Mais ces courants d’échange n ’atteignent, ni en étendue, ni en
intensité, le grand flux qui s’écoule d’Artois et de Picardie vers le
centre des Flandres et l ’ensemble des Pays-Bas. Malgré la distance,
la Picardie s’est tournée très tôt vers ces débouchés ; nous savons
que les produits des grandes fermes deFaucouzy, à l ’Ouestde Marie,
étaient, dès le xne siècle, menés à l’Escaut et à la Scarpe pour être
embarqués sur des bateaux appartenant à l’abbaye de Foigny et
dirigés vers Douai, Yalenciennes, Tournai, Gand, Oudenarde 1 et que
les blés de Corbie avaient, au xv% au xvm° et même au xixe siècle
leur réputation auprès des marchands flamands et hollandais2. Quand
la culture se mit à l’oeillette et au colza, les graines grasses et les
tourteaux d’Amiens, de Péronne et de Saint-Quentin se portèrent
vers Lille, la Flandre, la Belgique ; aujourd’hui une grosse partie de
la production sucrière s’achemine pour l’exportation vers les ports du
Nord. Cette attraction s’exerçait plus complètement encore sur
1 Artois. Cette province, pour l’exportation de ses grains comme
pour la vente de ses laines, se trouvait à la merci des Flamands. Dès
le début du xme siècle, nous voyons que, pour un grand domaine
d’Artois situé entre Saint-Omer et Saint-Pol, le principal commerce
de blé se fait avec Gand et Bruges3 ; d’Aire sur la Lys, on en charge
des bateaux pour Gand. Sur la lisière septentrionale de l’Artois
s étaient établis de forts marchés de blé par où passait tout le trafic :
Calais, Guines, Airé, Lillers, Saint-Venant, Béthune, Lens, Douai.
Le marché de Douai recevait les grains des « hautes terres » pour les
distribuer dans les Flandres jusqu’à l’embouchure de l’Escaut; de
tout temps on y voit la Scarpe chargée de barques à blé ; certains
souverains ordonnèrent même, dans l’intérêt des Flandres, que toute
une portion de l’Artois jusqu’aux limites de la Picardie à 10 ou
12 lieues de Douai serait tenue de ne vendre son blé que sur le
marché de Douai. La moindre entrave à ces relations devenait pour
1 Penant, 304, p. 77.
* Calonne, 281, p. 443.
3 Richard, 309, p. 388-404.