60 LA PLAINE p i c a r d e
main-d’oeuvre; quatre ouvriers viennent avec leur contremaître sur
e terrain à prospecter et enfoncent la sonde; lorsque, après avoir
lentement traversé l’épaisseur de l’argile à silex, la sonde continue
a rencontrer des assises assez dures, on admet que c’est de la craie;
mais si elle s’enfonce brusquement avec facilité, c’est qu’on pénètre
dans le sable phosphaté; il reste, grâce à d’autres sondages, à limiter
1 étendue du gisement. Alors commence l’exploitation. Rarement elle
se lait par des puits souterrains; c’est le cas lorsque la masse des
terrains de recouvrement exigerait de trop gros frais de déblaiement.
, 5 on exPloite à ciel ouvert, par banquettes en retraits successifs,
a la pelle et à la brouette. Une carrière de phosphate n’exige
donc qu un petit nombre d’ouvriers et ne fait vivre qu’une faible
popu ation. A Orville, on comptait 22 ouvriers en moyenne par car-
riere en 1887, 26 en 1897; en 1902 les carrières de phosphate de là
homme occupaient en tout 815 ouvriers dont 280 pour le sable phosphate
. Les matériaux, extraits de la carrière, ne sont pas immédiatement
utilisables pour la culture; ils doivent subir une préparation
industrielle, ni très longue, ni très compliquée. Pour la craie
phosphatée, il faut par lavage, décantation et blutage, séparer de la
craie les grains de phosphate; c’est ce qu’on fait à Doullens. Ce phosphate
naturel, une fois obtenu, doit être transformé en superphos-
p îate pour devenir soluble, avant d être livré à l’agriculture. On
ne compte dans la Somme que quatre grandes usines de superphosphates
; par contre, beaucoup de phosphates naturels, expédiés
aux fabriques de produits chimiques de France, d’Angleterre et
d Allemagne, échappent à la fabrication locale. D’autres raisons l’ont
encore restreinte. Pendant longtemps les usines de phosphate n’ont
travaille que pour l ’Angleterre, l’Allemagne et la Bretagne; les cultivateurs
français ne leur sont venus que lentement; autour des
carrières elles-mêmes, beaucoup de terres bieffeuses ont ignoré et
ignorent encore le précieux engrais qu’elles recouvrent. De plus, au
moment même où la culture commençait à acheter des phosphates,
les gisements s ’épuisaient et d’autres pays, la Belgique, l ’Algérie et
a Tunisie, la Floride, le Tennessee, leur faisaient concurrence chez
nous et chez nos clients. Aussi les régions phosphatières, après une
animation éphémère, retombent dans le calme d’autrefois, plus mornes
encore et plus désoeuvrées. '
L’industrie des phosphates semble en effet avoir eu pour les
cantons qu’elle a momentanément enrichis deux conséquences
1 Conseil général de la Somme, août 1902, p. 514.
LES VARIÉTÉS DE CRAIE 61
inattendues; elle les a laissés appauvris et dépeuplés. Elle a précipité
la décadence des petites industries rurales, et accéléré la
dépopulation des campagnes. La plupart des gisements de phosphate
se trouvent auprès des villages où battaient naguère encore
dans les chaumières les métiers des tisserands; beaucoup de ces
métiers, délaissés pour les carrières ou bien pour les boutiques de
petit commerce, se sont arrêtés pour toujours faute de bras. A part
quelques terrassiers italiens, la main-d’oeuvre se recrute dans les
environs; les campagnards, enlevés aux champs par la carrière ne
retournent pas tous au village, beaucoup d’entre eux, s’en vont d’exploitation
en exploitation et finissent par renoncer au pays natal. Si
l’on compare la population des principales communes phosphatières
en 1878 et en 1901, on constate que pendant cette période les unes,
la plupart, se sont dépeuplées et que les autres ont si peu augmenté
qu’on peut les considérer comme stationnaires; deux ou trois seulement,
Orville, Curlu, Marcheville ont nettement progressé parce que,
l’année du recensement, l’exploitation battait son plein.
POLULATION EN POPULATION EN
1878 1901 1878 1901
Beauval. . . . 2478 2010 C u rlu .................. 337 425
B e a u q u e sn e . . 2658 2761 H a rg ico u rt . . 1475 1524
Orville . . . . 547 825 Etaves . . . . . 1479 1262
T e rram e sn il. . 582 485 Hem-Monacu . . 256 227
R aincheval . . 752 581 H a lle n c o u rt. . . 1981 1962
Suzanne . . ; 484 458 H a rd iv ille rs. . 951 709
V au x -E c lu sié r. 217 249 Marcheville . . . 288 444