au Soissonnais, à la Brie, à la Normandie, à la Flandre, à l’Ile-de-
France, à l’Espagne, à l’Angleterre. Au xvme siècle, des filés de laine
lui venaient de Saxe pour les étoffes rases. A la fin de ce siècle, l’horizon
s’élargit encore ; la laine arrive du Levant, de Barbarie, de Hollande,
d’Espagne, de la Baltique, de Naples, d’Irlande, d’Angleterre;
les poils de chèvres, du Levant via Marseille ; les soies, du Piémont; le
coton, de Rouen. La soie, le coton, le poil de chèvre arrivaient tout
filés, mais les laines se filaient dans les campagnes picardes.
La plus grande partie de la matière première, excepté certaines
laines anglaises que peignait Tourcoing, recevait donc à Amiens et
dans sa banlieue toutes les façons depuis la filature jusqu’à l’apprêt.
Amiens retint beaucoup plus longtemps que Saint-Quen tin l’ensemble
de la préparation industrielle ; depuis des siècles le travail delà laine
occupait les campagnes voisines. Mais à la longue le travail mécanique
l’emporta sur le travail des bras. Amiens a vainement tenté de
fixer chez elle ou près d’elle la filature de toute la laine et de tout le
coton qu’elle consomme ; éloignée des ports où débarquent ces
matières premières, elle doit renoncer à leur transformation immédiate,
et, selon la loi de la division du travail, recevoir d’ailleurs la
plupart de ses filés. La filature de la laine et du coton, le peignage de
la laine ont toujours occupé à Amiens un nombre d’ouvriers bien
inférieur aux besoins du tissage ; comme Saint-Quentin, Amiens était
et demeure une ville de tissage.
La variété des produits.
Nul milieu industriel ne se montra plus souple, ni plus ingénieux.
On vantait de bonne heure « l’aptitude des Amiénois pour inventer
et perfectionner suivant les caprices de la mode1 ». Dans ce milieu
riche et peuplé, ni les initiatives, ni les capitaux ne manquaient. Dès
1479, on voit 24 sayeteurs d’Arras s’établir à Amiens. En 1494, des
ouvriers de Tournai apportent la fabrication des hautes lisses, des
draps de soie et d’or ; mais cette innovation ne réussit p a s2. Amiens
s’en tint aux étoffes de laine. A la fin du xvie siècle et au début du
xvne, ce ne sont pas seulement les serges de toute façon, mais encore
des satins, des velours de toutes couleurs pour meubles, des colom-
bettes, des burailles, des calmandes. A la fin du xvn° siècle, la
fabrique, en plein essor, produit deux sortes d’étoffes : les étoffes de
1 Calonne, 510, II, p. 355-356.
2 Dusevel, 540, I, p. 524-536.
pure laine et les étoffes où la laine se mélange de soie, de fil ou de
poil de chèvre. Parmi les premières qui composent le sayetterie1,
on note les serges, les barac ans, les camelots, les escots, les
mocades, les belinges;les unes sont fort anciennes ; les autres, plus
récentes, comme les camelots venus de Hollande en 1680. Parmi les
secondes, on peut citer les étamines, les ras de Gênes, et surtout les
pannes ou peluches en laine et poil de chèvre importées d’Angleterre
qui feront la fortune d’Amiens pendant le siècle suivant. Le
xvnf siècle vécut à peu près sur les mêmes articles, mais il vit apparaître
deux étoffes qui ont rendu Amiens célèbre. Yers 17542, commence,
la fabrication du velours d’Utrecht, tissu de poils de chèvre
pour ameublements; ses destinées furent brillantes ; en 1883, Amiens
en produisait encore 33.000 pièces. Un peu tard, parut le velours de
coton, adaptation originale du nouveau textile à la fabrication locale,
tentée en 1765 par MM. Delahaye et Morgan 3; en 1807, Amiens en
donnait déjà 90.000 pièces, d’une valeur de 14 millions. Bientôt le
xixe siècle apportait aussi ses innovations : l’alépine (chaîne en soie,
trame en laine)* la prunelle et le satin turc pour les chaussures de
femmes, les anacostes pour vêtements d’ecclésiastiques. Mais après
leurs années de vogue, toutes ces spécialités d’Amiens se heurtèrent
aux productions rivales de la France et de l’étranger. Il fallut, pour
occuper la main-d’oeuvre, adopter d’autres articles ; de là, l’introduction,
dans la fabrique d’Amiens, de la confection des vêtements à bon
marché et des chaussures.
La confection des vêtements, venue de P a ris4, s’établit à Amiens
en 1852. Cette industrie paraissait éloigner la ville do ses traditions
séculaires; en realité, elle en procède, car c’est le velours qu’on
emploie pour les vêtements. Dès l’origine, elle prit même un caractère
très local; tandis que la confection de Paris s’occupe surtout de
1 article d étalagé et de toilette, la confection d’Amiens se consacre
aux costumes de fatigue, amples, solides, à bon marché. Elle occupait
1.500 ouvriers en 1878, 4.000 en 1893, plus de 5.000 en 1901.
Mais déjà l’avenir n’est plus certain. Yoici que les ouvriers des villes
préfèrent aux velours les draps unis et façonnés de Yienne (Isère) et
de Roubaix; on peut se demander si cette variation du goût ne déplacera
pas l’industrie. Déjà les capitaux se tournent vers d’autres
1 Boyer, 505, p. 64-66.
2 Arch. Somme, G. 233.
. * Çusevel, 540, II, p. 141-157. Inventaire sommaire, 547, (Somme), t. II, p. VI-VII
et p. 110-135.
‘ Denamps, 338, p. 189-195.