par les vents d’Ouest, s’est arrêté contre les tiges d’herbes entre lesquelles
il s’élève progressivement; et ainsi se sont'édifiées entre les
pièces de terre ces élévations ou douves, hautes de 3 à 4 mètres,
petites dunes qui servent de clôtures. En 4 731 *, au moment de fc
réfection de la grande route de Montreuil à Calais, on renonça au
tracé qui traversait Condette parce que les sables envahissaient le
chemin; on le détourna par Samer. Cette invasion des sables amenait
l’ensevelissement des villages et l’obstruction des rivières. .
Parmi les villages les plus éprouvés, il faut citer Saint-Quentin-
en-Tourmont. Le curé disait en 1728 que le tiers de sa dîme était
perdu par suite de l’invasion des champs p a rle sable2. Une enquête
faite dans le pays en 17863 apprit, de la bouche des vieillards, que les
habitants de Saint-Quentin en étaient à leur troisième église et que
le village chassé par les sables avait été déjà démoli et reconstruit
plus loin ; que la démolition de la seconde église remontait à douze
ou quinze ans et qu’on pouvait sur l’emplacement du cimetière voir
les croix des tombes percer au travers des sables. En 1778, le curé
et les fidèles furent obligeas d’entrer à l’église par les fenêtres ; un
coup de vent impétueux avait accumulé les sables jusqu’au toit.
Une nuit, au début du siècle, un habitant dut quitter précipitamment
sa maison pour n ’être pas enseveli. De même, du côté de Routhiau-
1 die, les archives signalent la perte de terres fertiles qui dépendaient
de la ferme de la Bonne-Dame.
La marche des dunes était aussi gênante pour l’hydrographie.
Les rivières, interceptées par .le barrage de sable, durent reculer,
s’étaler en étangs, puis chercher un autre écoulement. Au xvne et
même au xvm° siècle, les eaux d’Airon trouvaient encore leur issue par
le havre de Berck; peu à peu ce débouché leur fut fermé et tout l’arrière
pays fut submergé; en 1716, il fallut construire le canal de dessèchement
qui les détourna vers Groffliers et la baied’Authie (fîg. 1 8 0
Les innombrables détours de la Maye trahissent les efforts qu’elles
firent pour se frayer une issue indirecte vers la mer. Enfin l’étang
de Gamiers provient de l’obstruction des sables : cette absence
d écoulement des eaux devint à plusieurs reprises une calamité ppur
la commune; l ’église était constamment inondée; en 1715, l’eau
1 entourait complètement; en 1756, le cimetière disparaissait sous
l’inondation et l’on dut reconstruire l’église4.
1 Rosny, 367, p. 111.
3 Darsy, 527, II, p. 116-117.
3 Arch. Nat. R‘ 96, 661 (18).
4 Renseignements de l’instituteur.
Les habitants des Bas-Champs, pour s’établir en sécurité dans le
pays, devaient au préalable le conquérir sur les eaux stagnantes et
le protéger contre les sables. Un autre danger, plus grave encore,
venait des estuaires, portes ouvertes aux incursions des hautes
marées et aux revendications de la mer.
Les baies.
Entre les « valleuses » normandes et les « crans » boulonnais, le
littoral de la Manche présente un type bien différent d’embouchures :
ce sont les estuaires de la Canche, de l’Authie et de la Somme, longues
baies envasées d’où les alluvions chassent la mer peu à"peu.
Tout ce qu on en sait et tout ce qu’on y voit montre le progrès ininterrompu
des atterrissements. L ’ensablement est l’oeuvre commune
de la mer, des rivières et des hommes.
Nous savons déjà quelle part prend la mer au dépôt des alluvions.
La faiblesse des rivières qui débouchent à la côte facilite encore la
sédimentation. Avant d’être canalisée, la Basse-Somme, d’Abbeville
à Saint-Valéry, coulait dans un lit qu’elle exhaussait; les sables transportés
coulaient à fond dans un courant qui ne les entraînait plus.
En face de Laviers, puis entre Port-le-Grand et Petit-Port, il s’était
formé des hauts-fonds servant de gués*. Le dernier, qui s’appelait
Blanquetaque, livra passage avant Crécy à l’armée anglaise. En 1784,
le gué de Laviers ou gué des Anons avait deux pieds à trois pieds et
demi d’eau dans ses parties les plus creuses. Entre Port et Noyelles
on comptait encore quelques gués ; au-delà, ils devenaient plus rares
a cause de la largeur du courant et de l’irrégularité du chenal sans
cesse déplacé par les marées. Plus bas enfin, l’estuaire n’est plus, à
marée basse, qu’une, vaste plaine de sable où serpentent quelques
filets d’eau; on la traverse facilement de Saint-Valery au Crotoy •
en été, les femmes de Saint-Valery s’en vont, le matin, leurs panier^
pendus par un joug sur leurs épaules, porter des légumes au Crotoy.
L accumulation de ces sables a été encore précipitée par des moyens
artificiels. Depuis plusieurs siècles, les digues de « renclôture » ont
enlevé au domaine marin des étendues considérables et réduit les
surfaces où s’étalent les alluvions. Enfin, sur la Basse-Somme,
depuis 1854, l ’estacade du chemin de fer de Noyelles à Saint-Valery
iorme en réalité une digue qui a réduit la largeur du passage des
eaux de 3.700 mètres à 1.100 mètres environ; l ’écoulement des
marées descendantes se fait très lentement ; les chasses n ’ont plus la
* Sur les gués, voyez Beauvillé, 477, I, p. 267; Buteux, 22, p. 105.
P LA IN E P ICA RD E .