Amiens1. Aujourd’hui le point extrême où montent les marées delà
Somme se trouve en aval de Port-le-Grand : au moment de la haute
mer, on aperçoit des pâturages à demi noyés d’où s’enfuient les troupeaux.
Mais il y a peu de temps l'inondation était bien plus forte :
les vieillards se rappellent qu’en face même de Port-le-Grand,
sur l’emplacement actuel des cultures et des prés salés, ils voyaient
encore vers 1830 un vaste bassin animé aux heures du flux par les
voiles des navires, gribannes ou bateaux de pêche.
Ces estuaires ensablés sont le théâtre d’une lutte incessante entre
les alluvions et les marées. Sur ces bancs de sable mobiles et inconsistants,
les contours des baies changent au gré des tempêtes ; les
courants d’eau déplacent leur chenal. Le règne des vents d’Ouest
explique que la rive droite des baies soit attaquée de préférence et
que ce soit la rive gauche qui s’accroisse : de là vient la forme
émoussée de la pointe de Lornel (Canche), de la pointe de Groffïers
(Authie) et de la pointe de Saint-Quentin (Somme); de là, les promontoires
en saillie du Hourdel, de la Dame Blanche et du Touquet.
Les plus grandes étendues de « molières rencloses » se trouvent sur
la rive méridionale des estuaires : Cayeux et Saint-Valery ; Rou-
thiauville, Quend et Villers; Cucq et Saint-Josse. Les vagues s’acharnent
sur la rive droite. Ainsi l’îlot solide où s’estbâti Le Crotoy a été
séparé du banc de galets qui se prolonge jusqu’à Rue 2. En 1773, la
mer ruinait près de Noyelles une ferme qui avait été bâtie en 1747
à 800 mètres des digues ; elle emportait en amont un pâturage de
2.000 mètres de longueur sur 480 de largeur; en 1780 et 1781, nouvelle
incursion suivie de la rupture des digues8'. En 1863, sur les
bords de l’Authie, une grosse marée enlevait plusieurs hectares du
territoire de Groffliers : un poste de douaniers dut être reculé de
400 mètres et une digue hâtivement construite. Tandis qu’au Sud de
la Canche, la pointe du Touquet ne cesse de s’engraisser, la pointe
de Lornel a reculé devant l’érosion qui la ronge : les -deux batteries
de Camiers et de la Passe, construites en 1805 à 45 métrés du rivage
furent emportées en 1846 ; le feu fixe qui avait été établi en 1833 sur
Lornel dût être déplacé en 1863 ; sur le rivage de Camiers, les dunes
ont été entamées de manière à présenter un escarpement sableux de
5 à 6 mètres4 ; et, sur plusieurs points de la côte qui s’étend d’Eta-
' Sur la Somme, voyez Josse, déjà cité, p. 322 ; Girard, 231, p. 60-63 ; Girard, 43,
p. 78; l’rarond, 380, VI, p. 34, Arch. Nat. R* 105.
- Leiils, 260, p. 389-593.
3 Arch. Nat. R* 95, 651. Puyraimont 267.
1 Lejeal, dans Boulogne... 502, p. 360.
pies à Ault, le courant du large, frappant directement les dunes,
entame même la tourbe qu’elles recouvrent.
Cette instabilité des rivages n’est que l’expression à la surface de
l’instabilité permanente du fond. Le mouvement des alluvions dans
les estuaires amène h déplacement des chenaux. Le sens de ce
déplacement concorde avec la direction des vents dominants. Le
chenal de la Somme, d e l’Authie et de la Canche a donc une tendance
à longer la rive septentrionale de l’estuaire, et, s’il en a été momentanément
détourné, à y revenir. A l’heure actuelle, le chenal de la
Canche se porte vers le Nord et n’a plus la position que lui donne la
carte d’état-major. Une enquête de 17421 témoigne que, durant tout
le début du xvnie siècle, le chenal de l’Authie s’est déplacé définitivement
vers Authie, le Temple, Waben et Groffliers. L’ampleur de ce
mouvement fut considérable si l’on en juge par l’étendue des molières
rencloses depuis cette époque sur la rive gauche et par le fait suivant :
plusieurs témoins ont entendu dans leur jeunesse raconter par des
vieillards que jadis l’Authie était tellement portée vers le Sud que,
lorsqu’on manquait d’eau à la ferme d’Authie (rive droite) et que les
valets de cette ferme allaient abreuver leurs chevaux à la rivière, les
chiens de la ferme de la Grande-Retz venaient aboyer contre eux ;
or,' la Grande-Retz est actuellement à plus de 2 kilomètres de l’Authie
(rive gauche). La Bresle fut autrefois poussée par les vents et les
courants au pied de Mers ; il fallut, à plusieurs reprises, des travaux
pour la ramener au Tréport et l’y maintenir.
Les variations du chenal de la Somme sont encore mieux connues
parce qu’elles intéressent deux ports, Saint-Valery et Le Crotoy2.
Avant la construction du canal de la Basse-Somme, c’est sur le côté
droit que l’eau avait le plus de profondeur, comme le prouvent déjà
les termes significatifs de Bonne-Anse et de Port-le-Grand opposé à
Petit-Port. Dans la baie, le courant a toujours recherché la rive droite.
Si le port de . commerce s’est établi à Saint-Valery à cause de l’importance
de la ville et de ses relations faciles avec l’arrière-pays, il
n’est pas douteux, d’autre part, que Le Crotoy où le courant entretenait
un chenal plus profond, fut toujours le port d’arrivée et d’appareillage.
En 1690, Bourdin constate que les navires, entrant dans la
Somme, n’abordent jamais à Saint-Valery et mouillent d’abord au
Crotoy, et que, si les navires de dix pieds de tirant d’eau peuvent
1 Arch. Nat. Q1 1534, n °1 1 3 ,13» liasse bis.
3 Sur les variations du chenal de la Somme, excepté ce que nous avons appris sur
place auprès des services du port, on trouvera les principales indications dans : Puyraimont
267 et 268; Lamblardie, 254 et 255; Leiils, 559, p. 200-212 ; Arch. Nat., R‘ 103,704
et N3 74 (Somme), 1 plan.