à 100, et que la première proportion l’emporte par le nombre. Au
cours du xix6 siècle, une cause économique produisit le même effet;
vers 1880, nous l’avons vu, la culture de fermier devint ruineuse à
cause du manque de bras, de la cherté de la main-d’oeuvre, à cause
des gros achats d’engrais et de matériel agricole ; beaucoup de gros
cultivateurs durent laisser leur ferme; on vit alors les petits cultivateurs
se partager les lambeaux de cette terre abandonnée et donner
quarante francs pour ce que le fermier louait trente. Le tableau suivant
donne un aperçu du phénomène pour l’Artois, en fixant à trois
époques différentes la proportion de chaque catégorie de culture dans
l’ensemble des terres cultivées1 :
Pas-de-Calais. 1789. 1859. 1898.
P e tite cu ltu re , 10 h e c ta re s. . . . iOp.100 2 9 p .100 31 p. 100
Moyenne cu ltu re , 10 à 70 h ecta res. . 20 — 50 — 54 —
Grande cu ltu re , plus de 70 h e c ta re s. 70 — 21 — 15 —
L’enquête agricole de 1868 notait déjà dans l’arrondissement
d’Abbeville que le nombre des petits propriétaires cultivant eux-
mêmes avait augmenté de 2S p. 100 en quinze a n s2; aujourd’hui
c’est le même mouvement qui dure.
L’originalité et la vitalité de cette forme d’exploitation résultent
non plus de l’importance du capital engagé, mais du contact intime
entre là terre et la main-d’oeuvre; elles résident dans l’omniprésence
de cette main-d’oeuvre, dans ses capacités de rendement. Arthur
Young, qui ne ménage pas ses critiques à la petite culture, n ’en comprend
pas le fonctionnement. Ce qu’il lui reproche surtout, c’est de
manquer de capitaux; c’est de ne pouvoir ni entreprendre de grands
travaux d’amélioration, ni acquérir de matériel suffisant, ni apprendre
la science agricole. Il est certain que le progrès pénètre plus lentement
dans la masse des petits cultivateurs que dans la classe des
grands fermiers où les influences nouvelles, s’exerçant sur moins de
personnes, agissent plus vite. Mais, en fait, notre petite culture a
adopté les prairies artificielles et les plantes industrielles ; elle comprend
la nécessité des engrais pour la production intensive. A coup
sûr, la rénovation de l’agriculture en Angleterre et chez nous, au
xvme siècle, fut l’oeuvre de la grande propriété ; mais 'de nos jours on
atteint les mêmes résultats par l’intervention de l’État et par l’association;
et il reste à la petite culture cet immense avantage que,
toutes choses égales d’ailleurs, elle possède par définition la plus
fidèle et la plus personnelle des ressources, la main-d’oeuvre; les
équipes d’ « Aoûterons » qui, chaque année, quittent les Flandres
pour la France, se dirigent exclusivement vers les grandes fermes.
Au contraire, dans les petites exploitations, on s’efforce de se suffire
soi-même. C’est une vérité courante dans ces campagnes que les
petits cultivateurs, qui peuvent exécuter leurs travaux eux-mêmes et
avec leur famille, obtiennent des résultats meilleurs que des cultivateurs
plus considérables qui font appel à la main-d’oeuvre étrangère.
Les plus fortes parmi les moyennes exploitations peuvent souffrir de
la rareté et de la cherté de la main-d’oeuvre ; souvent elles recrutent
avec peine leurs moissonneurs, leurs journaliers, leurs domestiques.
Mais voici que chaque jour l’emploi des machines agricoles réduit
leur embarras. Chaque progrès de la mécanique vient augmenter
dans l’exploitation la quantité disponible de main-d’oeuvre intérieure
et diminuer les emprunts obligés de main-d’oeuvre extérieure. Le
battage à la grange pendant l’hiver disparaît presque partout ; presque
chaque maison de culture possède sa batteuse ; quand elle n’en possède
pas, elle fait appel à la batteuse à vapeur qui circule de village
en village. D’autres machines agricoles pénètrent dans les campagnes;
parfois la maison ne peut plus les contenir; dans le San-
terre, par exemple, les instruments agricoles gisent devant les portes
coclières, n’ayant pu trouver de place dans la petite cour à côté de
l’antique attirail. Tel village d’Artois, comme Camblin-l’Abbé, compte
2 batteuses à manège, 10 semoirs, 8 faucheuses; tel autre, Villers-
Brûlin, 10 batteuses à plan incliné, 30 semoirs, 12 moissonneuses
dont 2 lieuses, un triêur Marot, 8 écrémeuses centrifuges. Ces instruments,
parfois achetés en commun, suppriment la question de la
main-d’oeuvre. De proche en proche, on les voit apparaître même
sur les terres plus pauvres et plus difficiles du Haut-Artois et du
Haut-Boulonnais ; il n’est point de village où le retour des travaux
champêtres ne soit le signal d’une nouvelle acquisition. La machine
qui s’apprête peut-être à détruire le petit atelier dans l’industrie
devient, au contraire, dans la culture la sauvegarde des petites
exploitations; elle accroît leur force de résistance en fortifiant leur
originalité.
Observez les cultivateurs et parlez-leur ; il vous apparaît bientôt
que les deux conditions fondamentales d’une bonne exploitation sont:
la première de se suffire en main-d’oeuvre, la seconde de posséder
en propre environ la moitié ou le tiers des terres qu’elle cultive. Nulle
part l’aisance du paysan, ou, pour mieux dire, le bon rendement de