fications officielles; elles sont l’image de ces agitations superficielles,
nées de l’instabilité de l’élément humain, qui passent sur un pays
sans en remuer les profondeurs. Elles sont remplacées aujourd’hui
par d autres divisions, par les départements, qui ne respectent pas
davantage les relations naturelles des choses et des hommes.
LES DÉPARTEMENTS
Aisne, Nord, Oise, Pas-de-Calais, Somme.
Quelle influence fut accordée aux considérations géographiques
dans la division départementale? Rarement invoquées, on les a souvent
contrariées. On y songea lorsque, les départements une fois
formes, il s agit de les nommer; encore faut-il ajouter que ces dénominations
géographiques, attribuées au dernier moment, sont parfois
inattendues. Au moment où le département qui réunissait le Ver-
mandois et le Soissonnais prit le nom de la rivière d’Aisne, aucun
autre nom de cours d’eau n’était disponible; sur quatre rivières
importantes arrosant le nouveau territoire (Aisne, Somme, Oise,
Marne), trois avaient déjà servi à désigner trois départements : il
fallut bien adopter l’Aisne1.
Dans son ensemble, la nouvelle division de la France, ne s’inspirant
ni des relations naturelles ni des rapports économiques, visait
seulement à simplifier l’administration et à ne pas blesser les traditions;
son grand principe était de rapprocher l’administration des
administrés; sa grande préoccupation, de sauvegarder les limites
des anciennes provinces. La réforme modifiait la géographie administrative,
sans se soucier ni de la géographie physique, ni de la
géographie économique2.
L idee de rapprocher certaines localités d’un centre où sont leurs
principaux intérêts, ne tente pas les réformateurs. Pour le chef-lieu de
l’Aisne, la lutte était vive entre Soissons et Laon. A cette époque, les
voies ferréesn avaientpas encore attiré quelque mouvementé Laon;
le seul commerce de la ville consistait dans la vente des vins surtout
pour la Flandre3. Ville morte, assoupie par ses couvents, bâtie sur
1 Matton, 440, p. XXIII.
ro, VT Archives Parlementaires, 378, les discours de Target, p. 744-750: de
Thouret, p- 654-656 ; de Mirabeau, p. 659 e t ssq.
3 Arch. Nat., Div bis, 3 (146, 5).
une montagne presque inaccessible, sans espace pour s’agrandir,
elle n’avait même pas l’avantage d’être au centre du département ;
peu de ressources, un territoire de sables, de marais, de côtes, de
vignobles auquel on devra plus tard ajouter Chauny1. Au contraire,
tout désignait Soissons2; dans sa plaine large et fertile, facile d’accès,
avec son port sur l’Aisne, plus populeuse que Laon, plus proche
de Paris qu’elle alimentait de blé, Soissons était un grand marché
agricole ; elle se trouvait encore sur le chemin des vins vers Saint-
Quentin et le Nord. Tout plaidait pour Soissons; Laon eut le chef-
lieu. Autre exemple : au point de vue économique, Aumale dépendait
d’Amiens; les étoffes de son rayon industriel allaient à Amiens
pour l’apprêt. Rouen était plus éloigné qu’Amiens ; néanmoins
Aumale fut rattaché à la Seine-Inférieure3. Lorsque la nouvelle division
paraît admettre une union économique, elle ne fait que respecter
d’anciennes limites et consacrer la tradition : ainsi, Bohain demande
d’être uni à Saint-Quentin/f, centre de son commerce de gaze, de
toile, de batiste et de linon ; on lui donne raison, mais surtout parce
que, en attribuant Bohain à Cambrai, on mêlerait du Vermandois
au Cambrésis.
Si l’idée d’unir des régions que leurs intérêts rapprochent ne
séduit pas les réformateurs, l’idée de les séparer ne les effraie point.
Montreuil-sur-Mer demandant un district, il fallut trouver des territoires
pour le composer ; on lui remit la partie de Picardie comprise
entre l’Authie et la Canche ; puis, à la grande indignation des députés
de Boulogne, on lui annexa, au Nord de cette Canche limite immémoriale
de la Picardie et du Boulonnais, une poignée de communes
agricoles dont toutes les relations économiques tendaient vers Boulogne;
de tout temps, les paroisses de Neuchâtel, d’Halinghen, de
Frencq, de Widehem, d’Hubersent, de Clanleuet autres situées entre
Samer et Montreuil vendaient leurs produits sur les marchés de
Boulogne5. Dans la Somme, la commune de Fiers demandait à être
du district d’Amiens et non de celui de Montdidier parce que ses
habitants portent leurs grains à Amiens et parce qu’ils travaillent
pour la plupart aux manufactures d’Amiens; les uns se rendent chez
les maîtres et reviennent toutes les semaines; les autres fabriquent
les pièces chez eux et les reportent aux maîtres d’Amiens ; malgré
* Arch. Nat., Div bis 3 (144,13 et 148, 14).
* Arch. Nat., Div bis 3 (148, 14 et 145, 28).
3 557. Arch. Somme, Inventaire, IV, p. 134-136.
* Arch. Nat., Div bis 3 (146, 13).
* Arch. Nat., Div bis 14 (255, et 27).
PLAINE PICARDE. 29