Ailleurs enfin le lait sert à fabriquer des fromages ; c’est l’occupation
d’une trentaine de communes autour de Rollot et de Conchy-les-
P o ts1. De même, près de la forêt de Mormal, à Englefontaine, Hecq,
Preux-au-Bois, Robersart, Fontaine-au-Bois, les belles vaches
rousses qu’on voit paître dans les pâtures donnent leur lait pour les
fromages de Maroilles. Il n’est point pour le cultivateur de petit
calcul. Ce qui l’enrichit ou le fait vivre n’est point toujours ce que
l’on croit. Alors que ses moissons le récompensent à peine de son
labeur, c’est à l’ingénieuse exploitation de ses produits de- basse-
cour et d’étable qu’il doit le profit et l’aisance. Veaux, laitages,
volailles, oeufs figurent dans les recettes de certaines petites fermes
pour une somme qui peut atteindre annuellement mille francs ; les
frais défalqués, c’est l’équivalent d’une addition au produit net de
15 à 20 francs par hectare. Si l’exploitation se trouve à proximité
d’une ville ou d’un centre populeux, ce n’est plus un appoint, c’est
une ressource nouvelle, parfois la fortune. Ainsi le bétail devient
dans ces pays agricoles, voisins de grands débouchés, l’allié indispensable
de la culture; c’est par lui que la terre peut prendre toutè
sa valeur et donner tout son revenu.
II
LES ARBRES FRUI T I ERS
La vigne et le pommier.
Les arbres fruitiers sont à la fois des éléments de variété dans le
paysage agricole et des éléments de richesse dans l’exploitation du
sol. Si nous étudions la répartition du pommier, l’arbre des rivages
brumeux et des sols humides, et la répartition de la vigne, l’arbuste
des coteaux ensoleillés, nous sommes amenés à considérer nos contrées
du Nord comme une zone de contact et de pénétration entré
ces deux influences climatériques; la culture de la vigne expire au
seuil méridional des plateaux picards qu’elle dépassait jadis. Le
pommier pénètre sur les hauteurs humides du littoral et se propage
dans la Thiérache jusqu’aux pays de la bière.
La vigne.
Le domaine actuel de la vigne est limité, au Nord de la Seine,
1 Etelfay, Faverolles, Bus, Erches, Fescamps, Fignières, Grivillers, Guerbigny,
Laboissière, Lignières, Malpart, Marquivillers, Onvillers, Piennes, Remaugies, Arrnan-
court, Beuvraignes, Dancourt, Popincourt, Tilloloy, Villers-les-Roye, etc.
par une ligne qui joindrait Vernon au confluent de la Seine et de
l’Oise et qui gagnerait ensuite la frontière en piquant droit vers
l’Est. Ce domaine qui tend à se retirer vers le Sud s’étendit jadis sur
la Picardie et l’Artois. Des textes du vme siècle signalent les vignes
du Beauvaisis; au xie siècle, l’acte de fondation de Saint-Symphorien
et la charte de l’église d’Esserent en citent aux portes de la ville;
au xiie, Philippe-Auguste en possédait àBeauvais. Ces vignes occupaient
les pentes des vallées, la plaine jusqu à Nivillers, les hauteurs
comprises entre le Bray et le Thérain; grâce à elles, on connaissait
le- nom des paroisses d’Hodenc-l’Évêque, de Villers-Saint-Sepulcre,
de Hez, de Hermes, de Berthecourt1. On recherchait les vins du
Beauvaisis jusqu’en Flandre et en Belgique; en 1276, Robert d’Artois
en favorisait l’importation à Saint-Omer2. En 1684, 40 paroisses
de l’élection de Beauvais, produisaient, année moyenne, 35.000 muids
de vin3. En 1787, l’élection de Clermont contenait 2.278 arpents de
vignes4. Jusqu’au milieu du xixe siècle, on en cultiva très communément
dans les cantons de Nivillers, de Froissy, dEstrées, de Saint-
Just, de Breteuil. Autour de Noyon, le vin constituait très anciennement
un revenu, car on trouve dans les marches beaucoup de
redevances stipulées en vin. A l’époque de Saint Remi, au v siècle,
on parlait déjà du vignoble de Laon; au xne siècle, 1 evêque Gautier
deMortagne s’occupa beaucoup de l’agrandir ; la ville exportait
870 pièces dev in en 1460, 1.559 en 1607, 3.019 en 1632, 3.680 en
1660 ; transportés en Artois, en Flandre, en Hainaut, en Brabant,
les vins de Laon figuraient dignement aux côtés des meilleurs crus
de F ra n c e \ Mais la vigne ne se cantonnait pas sur les pentes accidentées
des « montagnes » tertiaires, ouïes mouvements du sol multiplient
les expositions favorables ; elle s’aventurait au Nord sur les
plaines de Picardie et d’Artois.
Dans le Santerre, des lieux dits « les Vignes » rappellent à
chaque instant le souvenir de l’ancienne culture. A Marquivilliers,
on travaillait encore aux vignes en 1770. Le vin de Davenescourt
avait dans le Santerre la réputation de faire danser les chèvres et de
donner la colique6. Quant aux raisins de Montdidier, ils firent en 1411
les délices des soldats flamands du duc de Bourgogne : « Et ce n est
* Rodin, 311, V, p. 423-424.
2 Labande, 552, p. 214.
3 Correspond, des Contrôleurs généraux, I, 89.
1 Bull. Cbmm. Trav. List., Sciences Econ. et sociales, 1884, p. 105.
3 Mellevllle, 569, I, p. 239-242. La pièce valait 205 litres.
" Gosselin, 544, p. 12-13; Jumel, 548, p. 10.