tenaient à l’écart de la mer. Demeurée longtemps languissante, la
fabrication se releva au milieu du xvne siècle. En 1684, elle occupait
82 maîtres drapiers, 127 sergers et plus de 20.000 ouvriers ; elle produisait
annuellement 6.370 pièces de ratine et 18.000 pièces de
serge '. Tandis qu’elle achetait ses laines fines en Espagne par l’intermédiaire
de Rouen, elle vendait ses produits jusqu’en Savoie et en
Italie ; en 1709, les ratines s’expédiaient beaucoup dans les Pays-Bas,
les bayettes en Espagne et aux Antilles. Elle atteignit un plein essor
vers 1780? ; par la variété de ses étoffes, ratines, molletons, cal-
moucks, vestipolines, revêches, elle témoignait du souci de créer et
de renouveler sa clientèle. Mais le déclin suivit bientôt; en 1789, il
n’y avait plus que 6.000 ouvriers; en 1810, 5.000 dont la moitié
dans les campagnes; à partir de 1820, la chute se précipita; les
métiers ruraux, qui ne gagnaient plus rien, s’arrêtèrent; seule,, la
ville gardait encore en 1850 quelques fabricants de feutre, de couvertures,
de draps, de tapis. Pour survivre, l’industrie aurait dû se
transformer : elle avait tenté les indiennes vers 1789, mais la guerre
empêcha bientôt l’arrivée des cotonnades3.- Beauvais manquait des
outils modernes de l’industrie : voies d’eau, puis voies ferrées
directes ; elle ne pouvait prétendre à la vitalité d’Amiens et de Saint-
Quentin. Mais, cité populeuse pourvue de main-d’oeuvre, elle abrite
encore dans ses murs 1.700 ouvriers occupés à l’industrie lainière ;
c’est là toute la survivance de son antique activité.
A A rra s4, l’industrie textile ne connut même pas les brillantes
époques de Beauvais; elle fut toujours écrasée par la concurrence
des Flandres. Au Moyen Age, la ville fabriquait des draps ; au
xive siècle, elle en vendait même aux Italiens et aux Portugais. On
appréciait ses étoffes à la cour des ducs de Bourgogne, mais surtout
pour leur valeur artistique ; le sultan lui-même connaissait les tapisseries
d’Arras, Mais ce travail de luxe ne créa pas un véritable foyer
industriel. Au reste, en 1479, toutes les manufactures furent ruinées ;
la culture de la garance se perdit. Au début du xvne siècle, on tenta
de fabriquer des camelots, mais la guerre de 1635 arrêta tout. Arras
payait durement sa situation entre deux nations rivales. Aucune
industrie textile n’a pu s’y maintenir. Sous Henri IY et sous Louis XIY
* Corresp. des Contrôleurs généraux, I, 89. — Mém. de l ’Intendant de l’Ile-de-France,
Ed. Boislisle, I, p. 339-340, 624 et sscj., 801-803.
- Cambry, 511, p . 39-42.
3 Graves, 545 (1855), p. 318-334 ; Maliu 354, p. 381-388, 439-448.
1 Sur les industries d’Arras, voy. Peuchet et Chanlaire, 575, III, p. 31 (Pas-de-Calais) ;
Pas-de-Calais, 572, III, p. 201-204; Parenty 364 bis.
la dentelle s’était répandue dans la ville et dans les campagnes ; de
1804 à 1812, la ville comptait 4.500 dentellières; en 1851, les villages
voisins en contenaient encore plus de 8.000. Mais le fil de coton
s’étant substitué au fil de lin dans la dentelle, la filature d’Arras fut
ruinée ; bientôt la dentelle mécanique portait le coup de grâce à la
dentelle d’Arras. Tandis que Boulogne et Calais grandissaient jus-
qu a devenir de grandes cités, Arras restait une ville modeste, gros
marché de denrées agricoles avec ses brasseries, ses huileries, son
blé et ses bestiaux (pl. XVII).
A Abbeville1, la fabrique de draps connut de beaux jours, les
relations lointaines, l’abondance de la main-d’oeuvre ; en 1342, elle
exportait déjà ses produits en Espagne et en Portugal. Les campagnes
travaillaient pour elle. Cette solidarité entre la ville et le plat pays
fut menacée en 1665 lorsque Colbert permit aux frères Van Robais
d’établir à Abbeville une manufacture de draps façon de Hollande.
Cet établissement, protégé par des privilèges spéciaux, fit une fortune
brillante; vers 1731 il avait 100 à 106 métiers battants qui produisaient
annuellement 30.000 à 40.000 aunes d’étoffes ; la laine venait
de Bilbao par Saint-Valéry ; le drap se vendait dans toute la France,
à Cadix, à Madrid, à Alicante, à Barcelone, à Livourne, à Gênes,
aux Indes, en Amérique. D’autres manufactures se fondèrent à Abbeville
pour le velours d’Utrecbt, pour les moquettes et les damas. Ces
fabriques bien outillées, premières créations de la grande industrie,
.rendirent impossible dans les campagnes le travail de la laine. Tandis
que les villages se portaient vers le tissage de la toile, la ville concentrait
toute l’industrie lainière; mais elle ne tardait pas à tout
perdre. Déjà en 1825 la manufacture Yan Robais n’occupait plus
que 600 ouvriers; en 1842, la ville fabriquait encore quelques draps,
des baracans, des shalls; en 1874, seule subsistait une fabrique de
tapis. Privée de sa main-d’oeuvre rurale, dépossédée de tout débouché
maritime par l’ensablement de la baie de bomme, Abbeville ne pouvait
plus prétendre à faire vivre une grande industrie. Comme Arras,
elle n’est plus qu’un fort marché agricole, animé par ses foires et ses
marchés ; avec ses quais déserts et ses canaux solitaires, elle fait
songer aux cités mortes de la Flandre, délaissées par les ouvriers et
par les commerçants.
Cambrai ne paraît avoir inauguré sa carrière industrielle qu’assez
1 Sur l'industrie d'Abbeville, voy. Arch. Somme, C, 172, 191 ; Bignon Mémoire sur la
généralité de Picardie, p. 9-11 , Louandre, 564. II, p. 368 ; Thierry s88 ;p. 1[32 , linven-
taire sommaire (Somme) 547, (Introduction) ; Dupin, 339, I, p. 143-144, Babeau, 475,
p. 29-30.