II
LES TÉMOINS TERTIAIRES
Nature et répartition des témoins tertiaires.
En outre des produits de décalcification, la surface de la craie
porte les traces de l'invasion des mers tertiaires qui ont déposé des
argiles et des sables.
Les témoins tertiaires épars sur la craie appartiennent tous a
l’Eocèno Inférieur et correspondent aux formations qu’on appelle
dans le Bassin de Paris les sables de Bracheux et l’argile plastique
(Thanétien et Sparnacien) ; nous savons toutefois que certains grès
siliceux, recueillis dans le Cambrésis, datent de l’Yprésien. L état
de dispersion dans lequel se trouvent aujourd’hui ces sables, ces
grès, ces argiles et ces galets nous donne une idée des phénomènes
d’érosion qui en ont détruit la continuité primitive. Ces témoins tertiaires
se rencontrent presque partout, et l’on est tenté d’attribuer à
des caprices de l’érosion le désordre apparent de leur répartition.
Mais, sans tout expliquer, on peut distinguer dans xette répartition
des traits communs qui tiennent à des conditions générales. Les
lambeaux de tertiaire présentent le plus de continuité et de puissance
dans les régions où l’épaisseur première de leurs assises les a garantis
contre un enlèvement total ; ils marquent l’emplacement du détroit
qui faisait communiquer le bassin belge et le bassin parisien. Si l’on
décrit sur la carte un rectangle dont l’un des petits côtés soit une
ligne Arras-Douai, l’autre une ligne Saint-Quentin-Le Quesnoy, on
embrasse une région où les témoins tertiaires de toute espèce, rappelant
l’ancien bras de mer, se trouvent répandus en grand nombre.
D’autre part, on peut reconnaître ailleurs la loi qui protège les
couches placées dans les synclinaux et qui rend précaire leur maintien
sur les anticlinaux. D’une manière générale, toute la plaine de
craie elle-même forme entre la dépression belge et la dépression parisienne
une région anticlinale dont la couverture tertiaire est demeurée
très morcelée quand elle n’a pas disparu tout entière. La même
observation peut s ’appliquer aux détails de cet ensemble. Tandis
qu’au passage des anticlinaux près de Neuilly-en-Thelle et le long
de l’Aronde, la craie ne porte plus de couches tertiaires, tout le
massif éocène de Clermont, de Liancourt et d’Estrées-Saint-Denis
occupe une situation synclinale entre l’axe du Bray et l’axe de
Gamaches ; de même, le massif de Noyon s’élève dans la zone synclinale
de la Somme. Les témoins tertiaires de Saint-Yalery, de
Collines-Beaumont et de Saint-Josse peuvent être considérés comme
des paquets d’argile et de Sable épargnés grâce à leur position sur
le bord du synclinal de la Manche : dans le plissement quadrille que
dessine la surface de la craie, les convexités ne portent pas de tertiaire;
les concavités en ont souvent conservé.
Dans le paysage, les témoins tertiaires prennent des^ aspects très
variés. Parfois rien ne les signale dans le relief. Tantôt ils se sont
effondrés dans les poches d e là craie1; des sablières les exploitent a
Bomy et à Laires au Nord-Est de Fruges, aux environs de Fré-
vent, à Drucat près d’Abbeville, à Fieulaine, àMontbrehain, àClary,
à Bourlon, à Fontaine-Uterte, à Pienne près du Catelet. Tantôt le
limon les dissimule; il arrive alors que la'charrue heurte de grosses
pierres et que le hasard découvre un gisement de grès tertiaires;
c’est le cas entre la Somme et l’Authie, à Noyelles-en-Chaussée,
Hiermont, Yvrench, Domqueur, Yignacourt. Nous retrouvons ces
grès et ces sables sous les mêmes apparences dans l’Oise, à For-
merie, Feuquières, Lihus, La Houssoye, La Hérelle, Cnllon ; leur
influence sur le relief reste nulle ; ils se fondent dans le modelé général
de la plaine. Mais très souvent les témoins tertiaires surgissent
dans la topographie sous forme de tertres, de buttes, de monticules
isolés (pl. Y). Leur valeur géographique dépend surtout de leur • Y ’ ’-'- ■
composition minéralogique. En général, ce sont des argiles et des
sables qui les composent, La butte de Saint-Josse près de Montreuil
montre2 au-dessus de la craie, d’abord une couche de 3 à 4 mètres
de sable, ensuite 20 mètres d’une argile alternant à sa base avec des
couchés de sable argileux et de calcaire argileux rempli de limonite.
Aux environs de Saint-Quentin les buttes tertiaires présentent presque
toutes une superposition de lits sableux et de lits argileux. P a rfois
le sable domine qomme dans les monticules qui jalonnent la
plaine de Laon depuis Molinchart jusqu’à Chalandry : des blocs de
grès, respectés par l’érosion, couronnent leur sommet. Ailleurs,
comme dans le bois de Lihus, au Nord-Ouest de Crèvecoeur, ce sont des
galets qui forment le dépôt tertiaire; il donne sur plusieurs hectares
l’illusion d’une véritable plage et justifie les noms de lieux : le village
du Gallet, le bois des Galets près de Gaudechard, la Montagne
à Galets près de Siraumont. Souvent, c’est l’argile qui l’emporte; a
Lihons-en-Santerre, une couche d’argile plastique, étendue sur
* Gosselet, 52, p. 117. Buteux, 22, p. 16. Feuille de Cambrai (Légende).
1 Gosselet, 65.