la qualité et produire la betterave riche, dosant au moins 14 p. 100
de sucre. Elle améliora ses graines, adopta des variétés allemandes,
modifia ses pratiques. Les éléments du sucre étant empruntés à l’air,
elle rapprocha les betteraves dans les plants, à raison de 10 au moins
par mètre carré. La betterave riche exige un sol très profond, parfaitement
fumé, très homogène; mais, la culture étant prise au
dépourvu, on planta d’abord des races un peu moins riches, on multiplia
les labours et les façons, on obtint graduellement des sols susceptibles
de produire la betterave riche. On dut encore changer les
engrais; on avait jusqu’alors fourni à la betterave des engrais azotés ;
or l’abus du fumier affaiblit la richesse saccharine ; il fallut par une
suite de tâtonnements diminuer les engrais azotés et augmenter les
engrais phosphatés qui sont les grands régénérateurs des matières
hydrocarbonées. Ainsi c’est à une véritable révolution agricole qu’on
put assister lorsque la culture abandonna la recherche du rendement
en poids pour la recherche de la densité en sucrei. Par cette nécessité
continuelle de lutter contre la concurrence, la culture est devenue
une véritable industrie. L’antique champ de blé est maintenant
un véritable laboratoire où s’effectuent de fructueuses combinaisons.
La crise de 1884 passée, la production reprit sa marche normale.
Mais de nouveaux dangers l’attendaient, et surtout la concurrence
de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique sur le marché anglais.
Maintenant on prévoit déjà la concurrence victorieuse des sucres
coloniaux. Une nouvelle adaptation de la culture va sans doute
devenir nécessaire ; il faudra ou bien qu’elle cherche à diminuer ses
prix de revient ou bien qu’elle s’adapte à d’autres produits; déjà
dans les environs de Cambrai, certaines exploitations substituent la
chicorée à la betterave ; ailleurs on paraît volontiers revenir au lin ;
ailleurs enfin on renonce à la richesse saccharine et l’on plante des
espèces de betteraves très productives, à fort rendement, qui laissent
des résidus abondants pour l’engraissement du bétail. En dehors du
labeur quotidien qui le courbe sur sa terre, le cultivateur moderne
doit lever les yeux et regarder loin de son champ ; quand on voyage
dans ces campagnes, on rencontre à chaque pas les preuves de cette
intelligence; les paysans savent raisonner de leurs pratiques, discuter
leurs méthodes, doser leurs engrais ; nulle part on ne trouve
plus de lecteurs des journaux agricoles.
1 Tandis qu’en 1881-1882, le rendement en sucre raffiné par tonne de betteraves
était de 47l‘s,01 etle rendement en poids à l’hectare de 41.544 kilogrammes, en 1898-1899 le
rendement en sucre atteignait 117,k«12 et le rendement à l’hectare était descendu à
26.298 kilogrammes (Pas-de-Calais, 572, 111, p. 127).
En pénétrant dans l’assolement, la betterave préparait une véritable
révolution agricole. Depuis la mévente des blés, elle constitue
par excellence la récolte rémunératrice. A Marquion, un hectare de
betteraves peut donner en moyenne 30.000 kilogrammes à 28 francs,
soit 840 francs ; un hectare de blé peut donner en moyenne 3.600 kilogrammes
de paille à 20 francs les. mille kilogrammes, soit 72 francs,
et 24 hectolitres de grain à 15 francs, soit 360 francs, et, en tout,
432 francs. La betterave peut atteindre un rendement de 1.000 francs
à l’hectare à Sauchy-l’Estrée et à Oppy, et même 1.100, 1.200 francs
à Heudecourt-les-Cagnicourt. Les frais déduits, on constate à Vaulx-
Yraucourt que le bénéfice net à l’hectare est de 250 francs pour la
betterave, 100 francs pour le blé, 120 francs pour l'avoine, 130 francs
pour l’escourgeon. Dans les plus mauvaises conditions, le revenu de
la betterave dépasse d’un quart celui des autres récoltes. Aussi c’est
vers elle que s’oriente la culture ; elle occupe la première sole sur
fumier.
Son influence domine toute la culture. Les sarclages qu’elle exige
débarrassent le sol des plantes nuisibles aux moissons. Les labours
profonds l’ameublissent, tandis que les engrais l’enrichissent. P a rtout
où l’on cultive la betterave, le rendement du blé croît dans des
proportions énormes ; les emblavements en blé varient peu, mais le
produit double. Le blé n’est rémunérateur que parce qu’il succède à
la betterave sur une terre bien préparée et bien munie. D’autre part,
comme la pulpe constitue une excellente nourriture pour les bestiaux,
il en résulte pour toute la contrée un gros accroissement de
la quantité de fumier disponible, c’est-à-dire un surcroît de fertilité,
ensuite les revenus d’une belle production de viande. Ainsi, la région
du Nord doit à la betterave sa richesse agricole et presque toute sa
richesse ; car, en mettant à part les centres d’industrie textile, c’est
à la transformation des produits de cette terre féconde et plantureuse
que sont occupées les sucreries, les distilleries, les brasseries, les
minoteries.
Lin, chanvre, colza, oeillette, tabac, chicorée.
La fortune des cultures ne repose pas seulement sur la fertilité
du sol; on a vu des cultures naître et s’étendre pour languir et disparaître
sans que la terre fût devenue incapable de les porter ;
d’autres se cantonnent sur certains terroirs en dehors de toute détermination
physique. Quand cette évolution et celte localisation ne
sont pas les effets de vicissitudes économiques comme pour les tex