vendit 170.000 pièces, soit une valeur de près de 18 millions ; en 1789,
140.000 pièces dont 50.000 s’écoulèrent en France, 30.000 en
Espagne, 24.000 en Allemagne, 12.000 en Hollande, 10.000 en
Angleterre. A cette époque 70.000 fîleuses et 6.000 tisseurs travaillaient
pour Saint-Quentin1.
Mais déjà le coton avait fait son apparition. La consommation
des claires et des batistes tombait ; en 1815, elles ne trouvaient plùs
guère de débouchés que dans le pays de Caux et dans la Basse-
Normandie pour la coiffure des femmes ; à l’étranger, les colonies
espagnoles et les États-Unis seuls en demandaient. En 1827, la
fabrique de Saint-Quentin n’occupe plus que 5.000 fîleuses et 600 tisseurs
et ne produit plus que 12.000 pièces; en 1835, la crise bat son
plein. Mais l’héritage du lin passait petit à petit au coton; Avec cet
esprit averti et ce sens des affaires qui sont comme l’instinct de la
vie chez les cités actives, les fabricants de Saint-Quentin pressentirent
le rôle du textile nouveau. De 1752 à 1754, l ’arrivée des mousselines
des Indes sur le marché français n’avait pas échappé à leur
attention. Lorsque le danger devint menaçant, ils se mirent résolument
aux étoffes de coton ; en 1756, la place produisait déjà 580 pièces
de coton; en 1760, 1.033 ; en 1763, 7.291. La mousseline y demeura
longtemps un accessoire, mais elle préparait les esprits et les mains
à une évolution nécessaire; ces essais marquent l’origine de l’industrie
moderne de Saint-Quentin; ils contiennent le germe que le xixe siècle
a développé si magnifiquement.
Les étoffes de coton2.
En succédant au lin, le coton ne prit pas exactement la même place
dans l’industrie de Saint-Quentin. Yers l’époque même où la matière
première changeait, les inventions techniques révolutionnaient la
fabrication ; en l’espace de cinquante ans, Saint-Quentin put acquérir
successivement les grands outils du travail contemporain : métiers
mécaniques, machines à vapeur, canaux, voies ferrées. Le premier
effet de ces nouveautés fut, au moins pour une partie du travail
industriel, de détacher Saint-Quentin de son milieu rural. La filature
1 Sur les toiles de Saint-Quentin, voÿ. Picard, 363, I, p. 201, 220, 229, ; II passim;
Dupin, 339, II, p. 104-106; Rouit, 368, p. 221.
2 Sur les cotonnades à Saint-Quentin et l’histoirë de cette fabrique au xix° siècle,
voÿ. : Brayer 506, II, p. 229 et sqq-; Dupin, 339, II, p. 106 et ssq ; Picard, 363, I I passim ;
Rousseau, 369, p. 6-12; Dauchy, 528passim; Normand, 362, p. 90 et ssq; Chambre de
Commerce de Saint-Quentin, 333 ; Mémoires des délégués, 359 ; en outre, renseignements
oraux dus à M. Emm. Lemaire.
de coton ne remplaça pas dans les campagnes la filature du lin; fait
curieux, l’industrie du coton ne commença pas à Saint-Quentin par
le filage, mais par le tissage; car l’Angleterre, patrie de la filature
mécanique, fournit d’abord tous les filés de coton; c’était la ruine du
rouet familial. Non seulement cette révolution tranchait brusquement
Pun des liens qui rattachaient étroitement l'industrie au sol local,
mais encore elle commençait à la rendre solidaire de l’industrie étrangère.
, ,
La filature de coton n’a jamais vécu que péniblement, ou prospéré
que momentanément à Saint-Quentin. La première filature mécanique
fut fondée en 1800 à Saint-Quentin, la seconde à Roupy, d autres
aux environs. En 1810, là ville en comptait sept qui, avec leurs
1.500 ouvriers, mettaient en oeuvre 230.000 kilogrammes de coton.
En 1825 elle en avait 29 ; au dehors, d’autres fonctionnaient à Roupy,
Homblières, Yermand, Happencourt, Yendeuil, Hargicourt, Guise,
Saint-Michel, Bohéries, Voulpaix, Chauny, Vesles. Mais ces usines
durent traverser des crises terribles; vers 1840, elles fermèrent
presque toutes. Comme les cotons employés étaient généralement des
numéros fins qui pouvaient supporter le transport, elles ne purent
lutter contre l’Alsace que favorisaient ses chutes d’eau et le bas prix
de sa main-d’oeuvre; puis survinrent successivement la concurrence
de Lille et celle de Rouen. A partir de 1870 il fallut résister aux files
anglais ; en Angleterre, les grosses usines produisaient par grandes
quantités les fils de même numéro ; le climat permettait de pro une
de bons filés avec des cotons de moindre qualité. Enfin vers 189D
entrèrent en ligne les filatures des Vosges marchant jour et nuit.
Ainsi se créait dans la fabrique une division du travail qui, après
avoir enlevé la filature du coton aux campagnes, menaçait d en déposséder
la ville; l’industrie de Saint-Quentin devint, ayant tout, le
tissage; aujourd’hui c’est à l’Angleterre, à la Suisse, à Roubaix, a
Lille et à Rouen qu’elle demande une grande partie de ses files.
Le tissage lui-même n’a pas triomphé sans peine des nouvelles
conditions économiques; ce fut au prix M o r t s constants pour
varier ses produits, chercher, des nouveautés, plaire à la clientèle,
suivre la mode et même la créer. De là, au cours du xixe siècle, a
prodigieuse variété des articles de Saint-Quentin, révélant l’intelligente
évolution de sa fabrique. Elle confectionna d’abord des basins,
puis des toiles d’impression dites calicots, puis des percales, des
gazes, des piqués, des mousselines. Après 1814, elle se mit au linge
damassé qui jusqu’alors venait de Silésie, au tulle de coton impoi te
d’Angleterre, aux broderies sur mousseline et sur tulle, aux châles