qui font penser à un damier. Les fossés sont pleins d’herbes folles
qui, sans les faucardements et les curages, envahiraient et combleraient
tout; bordés de saules, ils encadrent d’étroits morceaux de blé
d avoinç, de bisailles ou de betteraves; on a peine à suivre toul
leurs crochets et leurs zigzags. De leur bon entretien dépend le dessèchement
des terres. Un syndicat de propriétaires assure le curage;
des percepteurs, appointés par le syndicat, recueillent dans les
villages la redevance de chaque membre; la cotisation, qui-est en
moyenne de quatre francs par hectare, varie selon la valeur et la
position des terres; si les fossés sont mal entretenus, les ponts se
bouchent et les eaux se répandent dans les champs; aussi la surveillance
des travaux est sévère.
Entre la Somme et l’Authie, les travaux avaient un double objet :
l’égouttement des terres et le dessèchement des étangs et des marais.
C est à cette dernière tâche qu’on s’appliqua surtout au xvni6 siècle.
Au Nord de Rue s’étendaient encore en 1782 les marais de Lannoy, de
Larron ville, de Cantereine, de Camp-Pommier, de Herre, de Villers
et de Quend. Au Sud de Rue, l’étang de Rue couvrait 477 arpents1.
Grand vivier exploité au profit de l’État, il avait été arrenté le
15 septembre 1702 à Jean Duflos, maître pêcheur de poisson d’eau
douce à Abbeville. Il existait déjà au xin6 siècle; en 1205, Wille,
comte de Ponthieu, fît à l’église de Saint-JosSe-aux-Bois un don de
poisson pris dans ses viviers de Rue2. Tous les ans, on y chassait
le canard sauvage. Il était entouré de digues coûteusement entretenues.
Mais, en maints endroits, il s’envasait et présentait de larges
espaces couverts de roseaux, d’ajoncs et d’herbes; le trop-plein de
ses eaux, quittant ce sol exhaussé, remontant la vallée de la Maye,
inondait les prairies d’Arry. D’autre part, la Maye, débordant de son
lit ensablé, barrée p a rle radier du moulin de Rue, se répandait dans
les bas-fonds et noyait toute sa vallée jusqu’à la Haye Pénée. En
même temps les sources de la craie, débouchant par les vallons de
La Neuville, de Nouvion et de Sailly-Bray, alimentaient une longue
traînée marécageuse depuis Rue jusqu’à Ponthoile et Noyelles. Afin
de débarrasser Je pays de ces eaux stagnantes, on entreprit la construction
d un véritable reseau de canaux et de fossés pour les amener
directement à la Somme et à l’Authie. Préparés dès 1773 par le comte
d’Agay et par M. de Béville, ordonnés par un , arrêt du Conseil
. ' Sllr le dessèchement des étangs des environs de Rue, les Archives Nationales fournissent
une grande abondance de documents : surtout dans R' 95 et R' 103 puis un
peu dans R1 104, 105, 106 et dans Q' 1536, Cf. aussi Prarond 580, V. p. 235-259 ■ Lefils
559, p. 224 e t 570, p. 101.
3 Cartulaire de Ponthieu, p. 43.
de 1775, commencés sous l’administration du comte d’Artois, ces
travaux étaient terminés vers 1789. On s’attaqua d’abord aux marais
de Villers-sur-Authie. Une compagnie de pionniers, envoyée de Paris
et installée dans des baraques, avait terminé le dessèchement en 1784.
Les eaux des marais de Cantereine et de l’étang du Gard, recueillies
dans le canal du Gard, furent menées jusqu’à une écluse qui les
jeta dans l’Authie. En même temps, on desséchait la vallée de la
Maye. On construisit de Bernay au Crotoy le canal de la Maye, long
de 10.920 mètres, et profond en moyenne de 2m,10. On avait d’abord
songé à ouvrir ce canal à la navigation : les bateaux y devaient
prendre les bois de la forêt de Crécy ; mais il resta un simple canal
de dessèchement qui recueillit dans un lit rectiligne une partie des
eaux de la Maye et vida l’étang de Rue. A la fin de 1783, on pouvait
déjà traverser en voiture le fond de cet étang; et bientôt de belles
prairies y remplacèrent les marécages et les fondrières. Par contrecoup,
les marais de Rue, de Lannoy et d’Arry furent égouttés. Tout
ce canton, jadis couvert d’eau, n’est plus maintenant qu’un vaste
pâturage. Au sud de la Maye et jusqu’au de là de Ponthoile, la même
opération trouva le même succès ; les eaux de Romaine furent jetées
dans une course qui gagnait Morlay ; sur Favières, on creusa 5km,500
de fossés ou « nocs » qui furent raccordés avec les égouts des
molières et pourvus de solides écluses. Enfin, sur Ponthoile, Morlay
et Le Hamel, l’écoulement des eaux datait déjà de 1740. Le dessèchement
des marais fut donc surtout l’oeuvre du xvme siècle.
Dans le Marquenterre, les premiers canaux d’égouttement sont
contemporains des premières digues ; les uns et les autres, pour être
efficaces, devaient être solidaires. L’ensemble des travaux d’écoulement,
« nocqs, eschaulx et courses » constituait le « nocage ». Le
« nocquier » était chargé de la garde et de l’entretien des canaux et
de la perception des cotisations. Le mayeur et les échevins constataient
les réparations nécessaires et les signalaient au nocquier h Ce
service fonctionna hien pendant longtemps, Mais il advint que les
entrepreneurs exécutèrent mal les travaux adjugés, que les autorités
locales demeurèrent impuissantes contre ces malfaçons et que l’argent
de la caisse tut employé par la commune au paiement des
impôts. Le pays tomba dans un état lamentable. Les fossés dont
s’entourait chaque héritage regorgeaient d’eau ; les talus des
« courses », piétinés par les bestiaux, s’éboulaient ; l’écoulement étant
entravé, l’inondation s’étendait sur tous ces terrains plats. Il fallut
' Bouthors 504, I, passim, p. 488, p. 419, nous renseigne sur les coutumes locales
qu avait créées le service du dessèchement.