Abbeville et Amiens, de chaque côté de la Somme, au Nord jusqu’à
1 Authie, au Sud jusqu à la Bresle. S’il s’est maintenu, c’est en se
transformant profondément. 11 ne tient plus au sol même par la
matière première: le chanvre vient de Manille et de la Nouvelle-
Zélande; le jute, de Calcutta. Débarqué à Boulogne, le jute arrive
par chemin de fer aux usines de Flixecourt qui en reçoivent annuellement
45.000 tonnes. P ar ces relations lointaines, l’industrie dépasse
1 antique cadre local; elle trouve ses concurrents à Calcutta même
dont les usines produisent des tissus à des prix dérisoires. Les textiles
ne se cultivent plus dans le pays; les campagnes ne les filent
plus, les grosses filatures s établissent dans les vallées, auprès des
voies de communication. Beauval, où la maison Saint avait créé, au
début du xixe siècle, ses premiers métiers de toile, ne possédant ni
rivière, ni voie ferrée, l’industrie se déplaça et vint s’installer à
Flixecourt dans la vallée de la Nièvre;- c’est là maintenant le coeur
de cette manufacture presque exclusivement picarde qui transforme
en sacs, en bâches, en voiles, en câbles et en cordes le chanvre, le
lin et le jute; là se trouvent concentrés plusieurs filatures et tissages
énormes de la maison Saint. Mais l’usine n’engloutit pas toute la
main-d’oeuvre rurale; elle distribue du travail dans les villages.
Pour 1.553 métiers mécaniques réunis dans les usines, on compte
encore près de 300 métiers à main, tissant dans les campagnes des
toiles à sac et des toiles d’emballage; les uns se répartissent autour
de Domart-en-Ponthieu, les autres autour d’Airaines, entre Hallen-
court, Oisemont et Molliens; enfin, dans les villages voisins jusqu’à
Canaples, de nombreux ouvriers s’occupent chez eux à la couture
des sacs. Dans ce coin de Picardie, c’est l’usine qui procure du
travail au métier campagnard; c’est elle qui l’a maintenu et sauvegardé.
Les articles d’Amiens.
La fabrique d Amiens, rayonne sur les campagnes voisines. Il est
curieux toutefois d observer que les métiers manquent sur un cercle
presque parfait jusqu’à plusieurs kilomètres d’Amiens; c’est que de
tous les villages placés assez près de la ville, il se fait vers ce centre
une migration quotidienne d’ouvriers : leurs parents tissaient naguère
encore, mais depuis la hausse des salaires urbains et depuis le développement
des transports à bon marché, ils préfèrent se déplacer et
abandonnent le métier. Dès que la distance devient un obstacle à
ce va-et-vient journalier, la vie sédentaire reprend l’avantage et
les ateliers reparaissent dans les villages. L’histoire de ces métiers
rurauxest l’histoire delafabriqued’ Amiens. Vers 1830,20. OOOouvriers
dans un rayon de 6 à 10 lieues tissaient les articles d Amiens; en 1864,
les anacostes et les mérinos occupaient encore les villages depuis
Leuilly jusqu’à Esquennoy, Hardivillers, Tilly-le-Crocq et Cor-
meilles. Aujourd’hui on rencontre encore des tisseurs et des coupeurs
de velours, surtout dans la région occidentale d’Amiens, vers le Sud-
Ouest jusqu’à Oresmaux, vers l’Ouest jusqu’à Belloy-sur-Somme,
vers le Nord-Ouest jusqu’à Yignacourt. Mais les tissus reculent partout.
Déjà la chaussure occupe un grand nombre d’ouvriers dans
le canton de Yillers-Bocage, dans la vallée de la Luce et dans la
région comprise entre Breteuil et Ailly-sur-Noye. Dans tous ces
villages, le métier fonctionne rarement toute l’année. Presque tous
les ouvriers s’embauchent pour la moisson dans les grandes fermes
du plateau; les autres extraient la tourbe dans les vallées. Instable
et ingrat, le métier d’hiver se m aintient péniblement autour d’Amiens ;
la ville est trop proche.
La bonneterie du Santerre.
Indépendante d’une grande fabrique urbaine ou d’un gros centre
d’usines, la bonneterie du Sante rre1 se rapproche de la serrurerie
du Yimeu beaucoup plus que du tissage de Basse-Picardie ou bien
de l’article d’Amiens. A Moreuil, à Yillers-Bretonneux, à Bosières,
le travail en fabrique remplace progressivement le travail à domicile;
mais ces trois bourgs'restent encore pour leurs campagnes les
centres régulateurs et distributeurs de l’ouvrage. Autour d’eux, ils
répandent le tricot en pièces qu’ils ont tissé; le rôle de l’ouvrier
rural se borne à coudre l’étoffe et à la border; les femmes font les
boutonnières et posent les boutons. On rencontre sur les routes ces
pauvres gens, chargés de lourds ballots, ou poussant des brouettes,
allant reporter à l’usine le travail achevé; ils y gagnent un franc
par jour. Plus heureux sont ceux qui travaillent eux-mêmes à domicile
sur la machine à tricoter; à tisser l’étoffe qui, découpée et bordée,
donnera les chaussettes, les bas, les châles, les jupons, les gilets de
chasse, les vêtements de cyclistes, ils peuvent gagner jusqu’à 4fr. 50
par jour. La bonneterie de coton et surtout la bonneterie de laine
occupent ainsi plus de 10.000 ouvriers dans les arrondissements
d’Amiens et de Montdidier. Chaque tisserand possède son coin de
terre; il habite au fond de sa cour une maison que la grange et la
grande porte de bois cachent au regard du passant; c’est la maison
4 Cf. Ardoüin-Dumazet, 474, 17° série, chap. x v i i .