deau, comparables à celles que nous imposent un peuplement et une
appropriation du sol de plus en plus complets; les peuples gaulois
occupaient des zones habitées séparées par des zones forestières. Les
Fig. Les anciennes fo r ê ts, limites des groupements humains.
Le grisé indique l’étendue approximative des anciennes forêts.
difficultés que nous éprouvons à tracer leurs limites viennent de ce
qu’ils étaient voisins sans se toucher.. Les forêts s’étendaient entre
eux comme des marches, comme des territoires neutres, frontières
naturelles qui les défendaient mieux que des montagnes et des vallées
et qui les isolaient mieux que la mer. César rapporte que les Bello-
vaci, les Ambiani et les Atrebates, attaqué^ par les légions, se réfugièrent
dans leurs forêts et y cachèrent leurs bagages ; pour les
réduire, les Romains y mirent le feu1. Plus tard encore, les forêts
servirent de retraites aux Francs contre les Romains. Rempart contre
l’ennemi, la forêt était, en outre, la réserve du bois et du gibier, le
pâturage du bétail et des pourceaux. A l’aide des textes et des noms
de lieux, on peut reconstituer dans ses grandes lignes l’étendue de ces
masses boisées et leur rôle géographique.
Au Sud du territoire des Ambiani et des Bellovaci s’étendait
depuis la Manche jusqu’à l’Oise une épaisse bande forestière comprenant
la forêt d’Eu, la forêt de Bray doublée par la forêt de Lyons,
la forêt de Thelle doublée par la forêt de Hez. Les plateaux humides
et argileux qui séparent la Bresle de la Yarenne étaient occupés
par des bois imposants dont nous retrouvons les vestiges dans la
Haute et Basse-Forêt d’Eu, dans la forêt d’Arques et ses dépendances
(Hallet, Croc, Nappes, Eawy, Saint-Saens) ; c’est seulement du xie
au x if siècle que les moines de Foucarmont créèrent par leurs défrichements
la vaste clairière qui sépare aujourd’hui les deux parties de
la Forêt d’Eu. Les noms de lieux abondent qui rappellent cette
ancienne étendue (Saint-Léger au Bois, Saint-Martin au Bois, Vert-
Bois, les Essarts-Varimpré, les Yatines, Landes, etc.); ils se pressent
tous dans un espace de moins de 10 kilomètres à droite et à
gauche de l’Yères. Entre la Bresle et le Liger, cette forêt poussait
une avancée, la forêt d’Arguel, dont la traversée garda longtemps
mauvaise réputation auprès des voyageurs (LaNeuville Coppegueule).
L’emplacement que des documents antérieurs au xie siècle appellent
le pays deTalou2 ou Teliau coïncide avec ce territoire boisé; le nom
de pays aurait disparu avec l’unité de la forêt: moins heureux que
l’Arrouaise dont quelques bouquets d’arbres perpétuent le souvenir,
il est maintenant ignoré dans la toponymie. Mais la valeur de ce
rempart boisé comme limite s’est longtemps maintenue ; après avoir
séparé les Caleti des Ambiani, il s’est perpétué dans les divisions postérieures.
Contrairement à ce qu’il semblerait naturel d’admettre, la
vallée de la Bresle ne forma pas la séparation primitive de la Normandie
et de la Picardie. En certains points des environs de Gama-
ches, elle n’avait jamais été avant la Révolution la limite des duchés
féodaux, ni des provinces, ni des généralités. L’Épinoy, Soreng,
Bazinval, villages situés sur la rive gauche et rattachés assez tard
au diocèse de Rouen, étaient considérés comme picards; Samson,
dans sa carte de 1681, les met en Picardie; ils ne possédaient pas de
' Maury, 300, p. 85.
4 Desnoyers, 399, p. 517.