les plus riches et les rendements les plus forts. A ce double point de
vue, les cinq départements de l ’Aisne, du Nord, d e l Oise, du Pas-de-
Calais et de la Somme, dans une commune émulation, tiennent
presque toujours la tête de la production française. Parmi les céréales,
ils cultivent surtout les deux plus précieuses, le blé et l’avoine; ils
font partie de la grande région à forts rendements qui embrasse la
Flandre, l’Artois, la Picardie, la Brie, la Beauce, le Perche, la Champagne,
qui a toujours été le grenier de la France et qui conserve
encore sa prééminence. Tous les cinq, en 1900, ils ont produit un
total de 14.201.000 hectolitres de blé, soit plus du dixième de la
production française ; leur rendement moyen dépasse celui de la
France (16,7), le Nord avec 27 hectolitres - à l’hectare, la Somme
avec 19. Tous les cinq, ils fournissent le cinquième de la production
française en avoine (17.228.000 hectolitres en 1900 sur 88.309.000).
Ce qui achève de définir leur production agricole, c’est l’extension des
plantes industrielles et surtout delà betterave à sucre ; dans la campagne
1899-1900, sur un poids total de betteraves égal à 7.394.475.708
kilogrammes, ils en ont travaillé 6.038.701.860, soit plus des 4/5.
Céréales et betteraves, tels sont les grands produits de la culture
dans cette région agricole1.
Les céréales.
Depuis le xne siècle, le siècle des abbayes, jusqu’aux temps modernes,
les céréales, surtout le blé, occupent la première place dans
les cultures. Au xne siècle, c’est en blé que se paie une partie des
redevances au Chapitre d’Arras2. Cette céréale est déjà le point de
départ de l’assolement. Dans les meilleures terres, aux environs de
Pas et d’Auxi, on pratique l’assolement triennal; parfois même la
troisième sole reçoit des plantesfourragères et des fèves. On connaît
le prix d’une culture soignée ; on donne quatre labours aux terres à
blé. Par les corvées que le seigneur exigeait de ses tenanciers à
Fontaine-sur-Somme au xnT siècle, on peut juger du travail qu’on
s’imposait alors pour les façons culturales, « une corvée en Mars pour
le labour de printemps, une corvée pour le labour des terres en
jachères ; une corvée pour le labour au binot, un labour pour enfouir
les semences3 ». Dans les bonnes terres d’Artois, le rendement du blé,
' Chiffres pris dans l'Annuaire statistique de la France. Voy. à la fin du chapitre,
les tableaux de rendement du blé et de l’avoine.
* Cartulaire du chapitre d’Arras, p. 33.
s Thierry, S88, IV, p. 765.
déjà fort rémunérateur, était au rendement actuel comme 8,6 est à
11 ou à 13 h Comme il donnait le principal de la recette annuelle,
on lui réservait presque tout le fumier. L’avoine n’en recevait presque
point ; mais elle occupait une bonne partie de la seconde
sole, car, si on la donnait aux chevaux, elle servait aussi à préparer
le grumel ou bouillie des paysans. Sur les terres moins bonnes,
régnait partout le seigle. Pendant de longs siècles, telle fut la culture
traditionnelle ; la Picardie, l’Artois, le Cambrésis, le Beauvaisis
étaient des pays à grains, à rotation triennale, avec le repos obligé
de la jachère.
Au contact de l’industrieuse Flandre, d’autres cultures, d’autres
méthodes se propagèrent peu à peu. Le lin, le chanvre, l ’oeillette, le
colza, la betterave entrèrent successivement dans l’assolement. On
vit s’établir entre les régions médiocres incapables de les nourrir et
les régions fertiles capables de les faire prospérer, une distinction
qui n’a rien perdu de sa valeur ; d’un côté, les plateaux élevés et caillouteux,
refuges de la jachère, asiles de la routine qui avoisinent le
Boulonnais et le Bray ; d’un autre côté, les terres plus épaisses, plus
complètes, plus fécondes, moins accidentées des plaines d’Arras, du
Cambrésis, du Santerre et du Vimeu; là-bas, un sol rebelle qui tient
à ses produits, on dirait presque, à ses préjugés; ici une terre souple,
assimilatrice, enrichie par la culture intensive ; là-bas, des champs
où le blé, pivot de l’assolement, constitue toujours le principal produit
de la terre ; ici des champs où le blé, dépossédé de la première
place, malgré de forts rendements, ne forme plus qu’un appoint de
recette dans le budget du cultivateur. Cette distinction entre deux
types de culture, dont nous avons trouvé la raison première dans
l’étude du sol, s’est encore accrue de nos jours depuis l’introduction
de la betterave ; par là, une cause économique donne toute sa valeur
et tout son relief à une opposition naturelle. Le premier type,
répandu sur les parties les plus élevées du pays, embrasse les campagnes
qui s’étendent de Poix à Beauvais ; interrompu par le Vimeu
et la vallée de la Somme, il reprend au Nord de l’Authie et surtout
de la Canche pour ne cesser qu’à Saint-Omer. Le second type s’étend
stfr les terres au limon épais et continu, dans tout le pays que traversent
les routes menant de Paris en Flandre, par Arras, Cambrai,
Péronne, Roye, Montdidier, Saint-Just.
Pour comparer par le concret et par le détail ces types de culture,
nous choisirons une commune dans l’un et dans l’autre: Boves
' Richard, 309, p. 388-404.