l ’Artois un danger redouté. En 1664, on avait mis une imposition de
12 sous 6 deniers sur chaque rasière de blé *; la conséquence de
cette mesure, nous apprend une lettre de Courtin à Colbert, fut que
« l’Artois qui ne produit que des grains ne les pouvait débiter en
Picardie où l’on n’en avait pas besoin, ni voiturer à Paris sans de
trop grands frais, n’avait plus aucun commerce parce que les Flamands
qui avaient accoutumé de l’acheter aimaient mieux tirer leurs
bleds de Hollande (Pologne)2 ». On conçoit dès lors que, si la
Picardie s’attachait de préférence à l’Ile-de-France, les relations de
commerce entraînaient l’Artois vers l’Escaut et la Meuse plutôt que
vers la Somme et la Seine ; on comprend aussi que la France, ayant
conquis l’Artois, fut amenée à conquérir son complément économique,
la Flandre. Au xix“ siècle, lorsque vers 1830 Arras fut devenu l’un
des grands marchés régulateurs pour les graines oléagineuses, il
expédiait 13 à 14 millions de kilogrammes de tourteaux à Lille'et en
Belgique pour la nourriture des bestiaux et 1 engrais des terres. Ces
relations ne se sont pas éteintes. La création des centres miniers au
pied même du plateau agricole a misi en contact immédiat et, en
quelque sorte, localité par localité, les deux milieux. Les paysans de
Thérouanne ont une manière très curieuse d’exprimer ces phénomènes
d’échanges qui s’accomplissent aux portes de leur village ;
parlant de Thérouanne qu’ils opposent à Estrée-Blanche où commencent
les- mines, ils disent : « Ici, c’est nous qui faisons notre pain ;
à Estrée-Blanche, on en achète à nos boulangers. » Sur d’autres
points, ce sont d’autres vivres que la population ouvrière achète à la
population rurale, le beurre, le lait, les oeufs ; parfois même les cultivateurs
renoncent à la vente des grains et tournent leur exploitation
uniquement vers les produits de basse-cour et d etable. Sur
toute la lisière de mines et d’usines qui se prolonge de Saint-Omer
à Yalenciennes, nous rencontrons ainsi l’expression multiple et concrète
de ce courant d’échanges entre les campagnes agricoles et les
centres industrieux.
Yers le Sud, c’est Paris qui oriente le trafic. La puissance de ce
marché date du développement de la ville; aussi le débouché parisien
est-il moins ancien que le débouché flamand. G est surtout à
partir du xvme siècle qu’il s’ouvrit largement aux productions de la
Picardie, d’abord aux blés et aux grains, puis plus tard à la viande,
à. la laiterie. Les deux centres d’expédition du blé étaient alors
1 D’après Vasse, Bull, agricole de Douai. 1870-1872, p. 212.
3 Corresp. administrative, III, p. 128.
Clermont et Noyon1. Clermont drainait par ses blatiers tout le pays
jusqu’au Santerre méridional; de Clermont on conduisait une partie
du blé à somme ou en charrette à Gonesse ou à Paris : à la halle,
on l’appelait le « blé picard » ; on menait l’autre partie au marché
de Beaumont où les boulangers de Paris venaient l’acheter pour
l’envoyer aux moulins de l’Oise. Noyon recueillait les blés jusqu à
Péronne, Lihons et Albert, et les embarquait à Pont-l’Évêque sur la
rivière d’Oise qui les portait aux fariniers de Pontoise et à Paris.
Lorsque le canal de Picardie fut construit, tous les grains du Santerre
furent expédiés directement vers la capitale. Aujourd’hui la
culture a développé à la fois et varié ses ressources ; mais par les
denrées qu’elle apporte à Paris, la région picarde garde sa situation
de grand marché agricole. Youéepar sa nature propre à la culture,
elle laisse à d’autres contrées le soin d’approvisionner Paris de viande.
Le seul bétail quelle lui envoie par grandes quantités, c’est le mouton
; après la Seine-et-Marne, la Seine-et-Oise et l’Eure-et-Loir,
c’est l’Aisne qui en vend le plus aux marchés parisiens (92.827 en
1900); de la Somme, il en venait 19.70S et de l’Oise 10.8472. Mais
ces grandes plaines sans eau sont défavorables à l’élevage aussi bien
qu’à l’engraissement du gros bétail. Les départements betteraviers
envoient bien à Paris une dizaine de mille de boeufs sucriers • «**•*«*.< : j
(11.748 en 1900), mais leur contingent paraît bien faible auprès
des troupeaux des pays à herbe (64.000 Berrichons, Charolais et
Nivernais, 77.000 Angevins, 74.000 Normands), Leur spécialité
exprime [leurs aptitudes agricoles. Les petits cultivateurs trouvent
grand profit dans la vente des produits d’étable et de basse-cour. La
production du la it3 s’est accrue avec le progrès des cultures fourragères.
Le long du chemin de fer du Nord jusqu’au voisinage d’Amiens
de grosses laiteries, comme celles de Clermont et de La Faloise, font
recueillir le lait dans les campagnes pour l’expédier à Paris ; il en
vient même d’Ailly-sur-Noye (112 kilomètres). Quand les communications
sont peu commodes, c’est le beurre qu’on envoie ; par la
ligne duTréport à Paris, il en vient de beaucoup de villages situés
entre Beauvais, Poix et Aumale ; en 1900, Paris en a reçu
280.000 kilogrammes de la Somme, de l’Oise et de l’Aisne. Il y
avait autrefois dans les campagnes de l’Oise des « coquetiers » qui
recueillaient les oeufs et les transportaient à Paris toutes les semaines ;
1 De Luçay, 438, p. 98-99. Corresp. des Contrôleurs généraux, I, n» 1629 ; Brayer, 506,
II, passim ; Bignon, Mémoire, p. 12; Hiver, 292, p. 121; Arch. Somme, C. 74 et 132.
* Rapport annuel... 307. Cf. Massy, 357, p. 100-152.
3 Vincey, 320.