aux eaux lentes et douces, vers la Lys et Vers la Scarpe; elle y trouvait,
en outre, grâce à la densité de la population, une pléthore de
main-d’oeuvre à bon marché. En perdant le rouissage et le teillage,
la culture du lin perdait ses compléments indispensables ; en supprimant
teilleurs et rouisseurs, ce déplacement du travail enlevait à la
culture du lin ses meilleurs ouvriers.
Cette solidarité étroite entre les intérêts agricoles et les intérêts
industriels fut ébranlée surtout à partir de 1844, dès que le tissage,
menacé par la concurrence du coton, dut exiger des lins à bon
marché ; pour produire des tissus à bas prix, on ht appel aux chanvres
italiens et aux lins russes. Naturellement les premiers frappés
par cette mesure furent les pays où la culture et le travail du lin
coûtaient le plus cher; de Picardie, d’Artois et de Cambrésis, le lin
se retira dans la plaine flamande. La Flandre elle-même, subissant
cette loi économique, renonce peu à peu à la culture du lin pour n’en
plus garder que la préparation : curieux exemple d’une culture ayant
créé une industrie, puis disparaissant pour ne plus laisser que l’industrie
1.
Les Oléagineux. — Vers la fin du xviib siècle, le colza et l’oeillette
se répandirent de Flandre dans l’Artois et la Picardie. Ces cultures
riches entrèrent dans l’assolement en un moment où l’on songéait à
supprimer les jachères. Outre leur valeur propre, elles préparaient,
grâce aux sarclages et aux fumures, les terres pour d’autres récoltes.
De plus, les arrivages d’huile de poisson et d'huiles., de graines
russes étant arrêtés par les guerres à partir de 1796, l’huile d’olive
coûtant trop cher, on rechercha les huiles de colza et d’oeillette. Jusqu’au
milieu du xixe siècle elles donnèrent de gros rapports. On
réservait aux plantes oléagineuses les meilleures terres, et, sur la
côte, les molières récemment encloses. En 1842, on comptait dans
l’arrondissement de Saint-Quentin 1.515 hectares de colza et 1.526
d’oeillette. En 1859, le département du Pas-de-Calais contenait
9.412 hectares de colza et 20.571 d’oeillette, presque tous dans les
arrondissements de Béthune et d’Arras. Mais bientôt survint la concurrence
étrangère : dès 1845, apparurent les huiles fabriquées à
Marseille avec les sésames d’Egypte; vers 1860, les graines d’arachides;
en 1868, le pétrole, puis enfin les huiles de coton d’Amérique2.
Peu à peu les plantes oléagineuses reculèrent devant la betterave.
Dans cette lutte inégale, le colza, très sensible aux froids, a presque
1 Voy. à la fin du chapitre, le tableau de l’étendue cultivée en lin en 1898.
! Pas-de-Calais, 572, IV, p. 170-182.
totalement disparu ; l’arrondissement d’Arras ne lui consacrait plus
que 962 hectares en 1898. L’oeillette couvrait encore 2.001 hectares
en 1898 dans l’arrondissement d’Arras, 1.662 dans celui de Saint-
Pol ; on la trouve toujours dans l’arrondissement de Doullens, mais
elle rapporte de moins en moins. A Pommera, tandis que le lin
laisse 350 francs à l’hectare, l’oeillette ne donne qu’un bénéfice de
J75 francs. En 1900, on considérait sa culture comme désastreuse
et sa chute comme irrémédiable. Mais il s’est produit, comme pour
le lin en Flandre, un curieux phénomène de survivance industrielle
qui rappelle la belle époque des cultures oléagineuses : Arrâs centralise
toujours une importante fabrique d huiles ; privée de sa
matière première par la ruine de la culture locale, elle s’approvisionne
à l’étranger et travaille encore environ 50.000 tonnes de
graines par an.
Le Tabac1. ,— Tout autre est la condition du tabac dont la culture
est protégée contre la concurrence et limitée pour des motifs fiscaux.
Malgré cette tutelle, le tabac, par les soins qu’il exige, apparaît
comme une plante bien représentative de ce milieu de culture intensive.
Sa racine chevelue demande une terre substantielle et meuble ;
on lui destine souvent les anciennes terres a lin et à chanvre. Dans
le Pas-de-Calais, il s’étend sur 1.000 hectares et dans 230 communes,
dont 104 pour l’arrondissement de Saint-Pol et 69 pour l’arrondissement
d® Montreuil; il aime les terres franches et profondes
de la vallée de la Ganche et des plateaux voisins. C’est un véritable
jardinage que sa culture, une véritable industrie que la préparation
deses-feuilles; oncompte3.718 planteurs pour 5.111 parcelles (1898).
La même terre donne du tabac pendant douze à quinze ans ; on la
rassasie d’engrais et de fumier. Les graines germent dans du terreau
ou du marc de café qu’on maintient auprès du foyer ; quand elles
montrent un point blanc, on les sème sur couche, puis on plante
les pieds à raison de 45.000 en moyenne par hectare. On choisit le
champ en plein soleil, à l’abri du vent du Nord. Pendant la végétation,
chaque pied est surveillé, écimé, ébourgeonné. En Août ou
bien en Septembre, on cueille les feuilles avec soin ; on les fait sécher
dans le jardin, près de la maison; quand le jardin n’est pas assez
grand, on les voit chercher le soleil le long des murs jusqu au toit.
La préparation s’achève pendant les mauvais jours et les veillées
d’hiver. On récolte ainsi près de deux millions de kilogrammes de