Sur les limites de la Normandie et de la Picardie, Gerberoy formait
dès le xi8 siècle un entrepôt, où l’on venait d’Aumale, de Gisors et
d’au delà. Tous ces bourgs n’ont pas résisté aux transformations que
les moyens de transport ont introduites de nos jours dans les habitudes
commerciales. Ce sont les marchés de grains qui ont le plus
souffert. Dès 1820 *, on signale le mode de transaction plus expéditif
et plus économique qui consiste à vendre sur échantillons et sur
montre ; les voies ferrées ont développé cette habitude de sorte que
peu à peu la vie commerciale disparaît des bourgs ; à Grandvillers, à
Breteuil, à Clermont, à Péronne, à Montdidier, à Noyon, à Doullens,
à Montreuil, à Amiens et à Arras, partout les halles se vident ;
l’acheteur et le vendeur ne prennent plus guère contact sur les places
de marché, mais plutôt sur le quai des gares. Seuls, les marchés de
chevaux et de bestiaux se maintiennent ; on rencontre encore certaines
petites villes qui, après une profonde somnolence de plusieurs
jours, se réveillent un matin par semaine sous l ’afflux des campagnards,
s’emplissent momentanément d’une cohue affairée et retom-
bentle soir dans leur torpeur ; ainsi, chaque mercredi, arrivent sur le
marché de Formerie 3.000 porcs, 150 veaux, des vaches grasses et
des vaches laitières ; quarante hôtels, auberges et cafés regorgent de
monde; toute leur recette se fait en quelques heures; grâce au
marché, la commune perçoit 26.500 francs, de quoi tenir le rang de
ville ; mais le reste du temps, tout est calme et mort.
Tandis qu’autour des marchés ruraux les villes s’étiolent et languissent,
on en voit qui s’éveillent et qui croissent au contact des
voies ferrées. Ce sont les chemins de fer qui ont semé sur la côte
ces pimpantes villes de bains de mer, nées presque d’un seul coup au
milieu des sables et des galets : Cayeux, Berck, Paris-Plage ; d’autres
émergent déjà de terre, à l’extrémité des petites lignes où les
express de la Compagnie du Nord viennent déverser leurs voyageurs.
Parfois les gares sont par elles-mêmes des organismes assez puissants
pour fixer une grosse agglomération; au point de jonction de
la ligne Paris-Namur avec les lignes de Lille et de Mézières, le village
de Busigny est devenu une petite ville de 2.750 habitants. Ter-
gnier demeura longtemps un hameau; mais depuis le jour où, dans
sa gare, se croisent les lignes de Paris-Bruxelles et de Calais-Bâle,
de vastes ateliers de construction ont groupé plus de 5.000 âmes.
Lorsque la voie ferrée se double d’un canal, les voies de communication
font surgir des centres plus puissants encore. Chauny et Creil,
* Arch. Nat. F lc III, 7 (Somme).
simples bourgades au début du siècle, sont maintenant de grandes
cités ouvrières. A Chauny, la fabrication des produits chimiques a
créé sur la rive gauche de l’Oise toute une ville noire d usines, desservie
par la ligne du Nord, par le canal de l’Oise à l’Aisne et par
le canal de Saint-Quentin, atteignant 10.000 habitants. Plus bas, sur
le territoire d e 'C re il, de Montataire et de Nogent-les-Vierges, la
métallurgie condense une masse de 20.000 habitants sur un emplacement
où végétaient, il y a cinquante ans, deux villages et une
bourgade; mais Creil dispose de la voie navigable qui joint Paris
aux bassins houillers du Nord ; elle occupe le noeud des trois grandes
voies ferrées qui gagnent Paris venant l’une du Tréport par Beauvais,
l’autre de Flandre par Amiens, la troisième de Belgique par Saint-
Quentin; tandis que l’antique centre de Creil demeure sur la rive
gauche de l’Oise, pressé entre la berge et la falaise, les usines et les
quartiers ouvriers se répandent à droite sur la plaine d alluvions
'où l’espace ne leur manque pas et où s’étale le réseau des rails : pour
le trafic en petite vitesse, la gare de Creil dépasse Arras et Amiens.
La position des villes.
Si la fonction d’une ville peut donner la mesure de son développement
comme aussi la raison de son origine, elle ne suffit pas à
expliquer son emplacement. Dans nos contrées dont l’histoire déjà si
longue renferme tantde révolutions et de guerres, 1 emplacement des
villes se subordonnait à des considérations que n’inspirait pas toujours
leur rôle économiqne; pour défendre leurs intérêts et leur sécurité,
les villes durent jouer un rôle militaire; et pour cette oeuvre de
défense, elles utilisèrent un certain nombre de dispositions naturelles
auxquelles la nature des engins guerriers et les procèdes
d’attaque laissaient alors toute leur valeur.
Dans ces pays de plateaux et de plaines peu accidentés, le relief
ne pouvait pas fournir autant de positions fortes qu’en pays mon-
tueux; mais on les recherchait d’autant plus quelles étaient plus
rares. Saint-Quentin occupe le penchant d’une colline de craie
protégée par des fonds marécageux et par un ravin. Montdidier,
juché sur un roc de- craie entouré d’une vallée et de deux ravins,
impose au visiteur une pénible montée; tandis que, sur le fond
humide de la vallée, s’étendent les jardins de la ville basse, la ville
haute entasse ses maisons le long de rues étroites autour des édifices
communaux. Montreuil-sur-Mer, bâti sur un promontoire de
craie dont la Ganche contourne le pied, laisse encore avec ses rem