grains et du bétail. A la différence d’autres régions de la France où
ces fortunes territoriales se reconstituent surtout autour des châteaux
seigneuriaux, ce sont ici les habitants des villes, les bourgeois qui
deviennent les propriétaires des biens ru rau x 1 ; il faut y joindre pour
l’Artois les communautés religieuses. Ces propriétés bourgeoises
reçurent dès leur naissance l’empreinte de leur milieu na ta l; elles
se constituèrent sur une terre déjà divisée par la multitude des cultivateurs
en une infinité de parcelles ; au lieu de rester groupées en
un bloc compact comme en d’autres pays, elles se composaient d’un
grand nombre de pièces ; les grands domaines, avec château au
centre, grosse ferme à proximité et toutes les terres d’un seul tenant,
sont beaucoup plus rares ici que dans le Berry, par exemple. Réciproquement
cette propriété bourgeoise a influé directement sur le
mode de tenure des terres ; tandis que dans les pays où les propriétaires
seigneuriaux demeuraient rapprochés de leurs terres (Sologne,
Berry, Marche, Limousin, Anjou, Yendée, Maine, Bourbonnais), le
métayage prévalut, ici les propriétaires forains ont préféré le fermage,
le bail à ferme qui, par la liberté commune laissée au propriétaire et au
cultivateur, est le régime des pays agricoles les plus avancés. Ainsi,
la terre appartient en partie à des propriétaires forains qui ne l’exploitent
pas; à ces propriétaires non résidants, il faut ajouter les
cultivateurs enrichis, les petits rentiers vivant à la campagne et les
commerçants de village.
Le paysan qui veut avoir une exploitation suffisante et qui ne
possède pas assez de terre pour la former doit donc s’adresser à
un propriétaire. Le cultivateur est à la fois fermier et propriétaire.
Le fermier, tel qu’on le rencontre aux environs de Paris, dont
l’exploitation tout entière se compose de terres tenues à ferme,
est un type rare ici; au contraire de certains pays où le mot cultivateur
peut être pris comme synonyme de fermier et le mot de
ferme comme synonyme d’exploitation, les deux notions demeurent
le plus souvent distinctes dans les campagnes picardes et artésiennes.
A Achicourt près d’Arras, sur les 122 cultivateurs,' on en relève 3
qui sont propriétaires de leurs exploitations et 119 qui sont à la fois
propriétaires et fermiers. A Anzin-Saint-Aubin, la majorité des
terres appartient à des forains ; avant la Révolution, elles étaient la
propriété des religieux d’Arras et du Mont-Saint-Eloi. A Wailly, le
territoire appartient à 640 propriétaires; 5 gros (73, 65, 38, 21,
18 hectares) ne résident pas ; le plus considérable habite en Belgique
près de Tournai ; 400 propriétaires plus petits sont aussi des
forains ; par contre, 233 propriétaires indigènes cultivent, avec leurs
propres terres, celles qu’ils louent aux 406 autres. A Mondicourt, un
grand propriétaire possède les 2/5 de la commune ; trois autres ont
ensémble 110 hectares; le reste (200 hectares) appartient à de petits
propriétaires qui, pour réunir une exploitation suffisante, doivent
louer les terres des autres. Ailleurs la proportion des terres possédées
par les cultivateurs est beaucoup plus élevée, comme à Grévil-
lers, Frémicourt, Morval, Sapignies, Bihucourt. Mais, quelle que soit
cette proportion, un fait général ressort de l’observation de chaque
commune : dans sa condition ordinaire, le cultivateur est à la fois
propriétaire et fermier ; c’est un type original, à côté du grand fermier
de la Brie et du Yalois,*du métayer solognot ou vendéen, du
petit propriétaire des pays de la Garonne.
La propriété paysanne.
La participation du paysan à la propriété date déjà de loin. Nulle
part il ne s’est montré plus opiniâtre dans la conquête du sol ; mais
nulle part le développement de la propriété paysanne ne s ’explique
mieux ; c est 1 effet de causes naturelles, de causes sociales, de causes
économiques. Sur un sol aussi fertile et aussi bien cultivé, il était
naturel de voir la valeur de la culture se traduire par la haute valeur
des terres, 1 idée du droit de propriété dériver du devoir de culture.
De là, la personnalité de chaque champ, l’attribution de ce champ à
son tenancier comme condition d’un meilleur travail, comme gage
d’un meilleur rendement. En fait, les lois de Vervins, de Beaumont
et de Chambly1 nous montrent dès le xne siècle les terres réparties
entre les mams des cultivateurs, chaque famille ayant sa maison
sa terre et transmettant à ses enfants son foyer, « ses traditions et
son instrument de travail », chaque paysan possédant sa terre à lui
moyennant un faible droit annuel.
Des causes d’ordre social sont venues au cours des siècles faciliter
cette dispersion de la propriété. En Picardie, le droit d’aînesse,
pour ce qui concernait les biens roturiers et les biens meubles
accordait plus de latitude au père de famille, plus d’importance ai!
principe d’égalité ; de là, plus de mobilité dans les mutations, une
circulation plus facile de la propriété. A maintes époques on signale
le développement de la propriété paysanne. En 1401, àMoreuil 2, un
1 Ramevau Saint-Père, 455, p. 60-61.
* Beauvillé, 477, II, p. 113.