Or, depuis le commencement du xix° siècle, la plupart des événements
économiques ont eu pour résultat d’ébranler et de compromettre
cette situation. A cette époque, les cultures industrielles, textiles
et oléagineuses exigeaient un très grand nombre de journées
à des moments où la culture des grains laissait inactifs la plupart
des ouvriers; cette ressource disparut; en même temps, rouisseurs
et teilleurs perdaient leur travail sédentaire. Puis sont venues les
machines qui ont tué le battage en grange pendant l’hiver. Longtemps
la betterave lit fortune, et l’on vit, à la suite de la crise industrielle
de 1831-1832, presque tous les tisseurs se tourner vers les
fabriques de sucre; telle commune de l’Aisne qui comptait en 1825
200 habitants en possédait 300 en 1835 parce qu’on y avait établi une
sucrerie. Mais la betterave nè remplaça pas les autres cultures comme
emploi de main-d’oeuvre; on ne la cultive qu’en des cantons privilégiés;
d autre part, la durée de la fabrication ne cesse pas de se
réduire. Tandis que la culture restreignait ses commandes de main-
d oeuvre, 1 industrie livrait bataille à la concurrence, l’ouvrier luttait
contre la machine, le travail s’arrêtait souvent dans l’atelier familial.
Yers la fin du xvme siècle, la bonneterie et la sayètterie, qui avaient
enrichi le pays pendant plus de cent années, commencèrent à déserter
la région de Marseille, de Crèvecoeur, de Songeons, de Formerie, de
Breteuil, de Conty; elles en avaient disparu au commencement du
xixe siècle; tandis que dans le rayon de Saint-Quentin le coton se
substituait aisément au lin sur le métier campagnard, les métiers à
laine moins souples restèrent désoeuvrés, et tout le pays compris
entre Amiens et Beauvaisperdit un gagne-pain; c’est lui qui ressentit
le premier les symptômes de la dépopulation, bien avant l’époque
des chemins de fer et des grandes usines; deux exemples précis, un
canton et une commune, en fournissent la preuve éclatante (fig. 38).
Canton Commune de Blicourt
de Songeons4. (Marseille)2.
1791............................... • - • ■ • . 11.823 h a b ita n ts . 630 h a b ita n ts
1806............................... 13.195 - v - ’. 619 —
1821...................... 591 —
1836........................... 567 - ^ 9
1846.................. 533 —
1851.................. 518
1866...................... 406
1876......................
O
ÇJZ
00
334 «¡PS8
1886..................
1901.................. 304 —
' Lhuillier, 562, p. d8.
- Malinghen, 565, p. 774.
Partout on constate un étroit rapport de cause à effet entre la
chute des métiers et la diminution des habitants. Tous les dénombrements
rapprochés de l’histoire des industries rurales en font foi. Au
Quesnel, où 190 métiers à satin battaient encore en 1830, on n’en
comptait plus que 50 en 1899 ; de là, 799 habitants en 1846, 394 en
1901. A Camps-en-Amiénois, 30 métiers à toile d’emballage vers
1880, 4 ou 5 en 1900 ; de là, 400 habitants en 1876, 311 en 1901.
A Grattepanche, 70 métiers à velours d’Utrecht en 1880, 7 en 1900 ;
d e là , 256 habitants en 1876, 175 en 1901. La loi est inexorable et
sans exception. A W4encourt-l’Lquipee, 80 métiers à bonneterie en
1875, 35 en 1900 ; de là, 421 habitants en 1876, 380 en 1901. A
Villers-Bocage, 150 écoucheurs de lin en 1801, pas un aujourd’hui ;
de là, 1.193 habitants en 1801, 824 en 19011 Même quand il a survécu
aux crises, le métier rural n’en demeurait pas moins le jouet
de toutes les vicissitudes économiques : incertitude des débouchés,
concurrence étrangère, concurrence des machines, chômages prolongés,
transformations d’outillage ; tout rendait sa vie précaire à la
campagne. De là, l’exode des ouvriers agricoles, leur émigration à la
suite de leur gagne-pain qui avait fui. La décadence des industries
rurales est donc à la source de rémigration des ouvriers agricoles ;
c’est le départ des ouvriers agricoles qui est le principe de la dépopulation
des campagnes.
C’est à cette émigration, c’est-à-dire à un fait économique, et non
pas à quelque mystérieux calcul qui réglerait les mariages et les
naissances, qu’il faut^ attribuer aussi la diminution de la natalité.
Ceux qui partent du pays natal, ce sont les jeunes gens qui procréent
et qui fondent des familles. Le village garde les vieux, désormais
inutiles, attachés jusqu’au bout au sol sur lequel ils veulent mourir.
La preuve visible de ce phénomène, on la rencontre à chaque pas
dans les campagnes, on l’aperçoit même sur les cartes ; des hameaux
disparaissent dont on trouve dans les champs les murs écroulés ; tels
le Lombu dans la commune de Sains-Morainvillers, Le Quesnoy et
Grattepanche près de Crèvecoeur-le-Petit ; d’autres vont être abandonnés
et ne contiennent plus que de vieilles gens, tels Harissart,
Péronnes dans la commune de Welles ; Doméliers, Abbémont dans
la commune de Boyaucourt. Le départ des jeunes détruit tout espoir
de peuplement.
Les termes de ce problème ont été bien définis dès l’origine ; en
1851, l’Académie d’Arras, pour mettre un terme à la dépopulation
1 Renseignements recueillis auprès des instituteurs