étendu sa portée. Vers le Nord et vers le Sud, des voies nouvelles
drainent des régions de plus en plus éloignées. Vers le Nord, le
canal de la Sensée en 1820, le canal d’Aire à La Bassée en 1825 complétèrent
la ligne navigable qui joint Dunkerque à l’Escaut ; en 1814,
le canal de Mons à Condé avait uni le Borinage à l’Escaut. Vers le
Sud, le trafic du canal de Saint-Quentin put se prolonger en 1822
par le canal de Manicamp, en 1833 par l’Oise canalisée, en 1841
par le canal latéral à l’Aisne, en 1845 par le canal latéral à la Marne,
en 1848 par le canal de l’Aisne à la Marne (Reims à Berry au Bac),
en 1851 par le canal de la Marne au Rhin, en 1860 par le canal de
l’Aisne à la Marne (Reims à Condé-sur-Marne), en 1889 par le canal
de l’Oise à l’Aisne. Enfin, à partir de 1879, la rapidité du trafic était
assurée par l’unification de tout le réseau sur le type de la péniche
flamande (38J ,50 de longueur, 5m,20 de largeur, 2 mètres de mouillage).
Grâce à cet ensemble de travaux, cette voie navigable qui unit
le versant de la mer du Nord au bassin de la Seine dépasse les pro-
portions d’une route régionale3; c’est un grand chemin de transit,
indispensable à l’existence de plusieurs régions industrielles. Non
seulement elle dessert le bassin houiller de Valenciennes et toute la
région d’industrie et de culture intensive que traversent l’Escaut, la
Haute-Somme et l’Oise, mais encore elle se relie par le Bas-Escaut
avec Gand et Anvers, par la Dendre avec les carrières de Lessines,
par les canaux du Nord et du Pas-de-Calais avec les bassins houillers
de Douai et de Lens, avec Calais et Dunkerque, avec Lille et Rou-
baix ; par la Somme avec les campagnes du Santerre et les carrières
de phosphate de Picardie; par l’Oise et l’Aisne avec les forêts, les
carrières, les forges, les mines de sel, les fabriques des Ardennes,
de la Meuse, de la Champagne, de la Lorraine, des Vosges; par la
Seine avec Rouen et Le Havre. On aura une idée de ce trafic, de sa
nature et de son intensité si nous étudions, d’Etrun sur l’Escaut à Jan-
ville sur l’Oise, le fonctionnement de cette voie navigable pendant l’année
1900 ; ce tronçon comprend le Haut-Escaut, le canal de Saint-
Quentin et le canal latéral à l’Oise. La houille est l’élément essentiel
du trafic : 90 p. 100 sur le Haut-Escaut, 86 sur le canal de Saint-
Quentin, 91 sur le canal latéral à l’Oise ; d’où, le caractère de la circulation
beaucoup plus active vers le Sud que vers le Nord, et le
passage fréquent de bateaux vides qui regagnent les houillères. De
toutes les catégories de trafic, c’est le transit qui l’emporte de beaucoup
: 95 p. 100 sur le Haut-Escaut, 81 sur le canal de Saint-Quen-
1 Pour l’analyse du trafic, voyez Statistique..., 372.
tin, 97 sur le canal latéral à l’Oise; vers le Sud, c’est la houille qui
gagne par masses énormes la Seine et la Meurthe-et-Moselle ; vers
le Nord, ce sont surtout les minerais de fer des environs de Nancy
qui vont alimenter les hauts fournaux du Nord. On peut dire que
cette voie navigable n’appartient pas en propre à la région qu elle
traverse ; le trafic régional y est comme submergé, englouti dans le
trafic de transit. Ce dernier suit une progression étonnamment rapide
provoquée par l’extraordinaire activité des houillères ; le transport
de la houille, qui était de 2.271.801 tonnes sur la section Etrun-Jan-
ville en 1890, atteignait 3.189.225 tonnes en 18991. Cette intensité
de circulation portait à 6.092.804 tonnes le trafic total du canal de
Saint-Quentin en 1900, à 26.500 le nombre des bateaux éclusés à
Tergnier pendant la même année. Il n ’est pas étonnant que la voie
soit encombrée et qu’on ait vu en 1900 des bateaux en location à la
journée partir de Cambrai pour Aubigny-au-Bac et mettre sept jours
pour parcourir 12 kilomètres2. Quiconque a vu le bassin rond d Etrun
peut seul se faire une idée de cet encombrement si préjudiciable au
commercé. De là vient le projet du canal du Nord qui, laissant la
Sensée à Arleux, passant par Péronne et gagnant l’Oise à Noyon,
doublerait utilement le canal de Saint-Quentin3.
Il n’existe pas en France de voie navigable plus fréquentée;
aucune ne réunit au même degré les mêmes éléments de trafic intérieur
et de transit; elle draine à la fois un commerce local, un commerce
interrégional, un commerce international. Elle a fixé sur ses
rives de grosses sucreries auxquelles elle apporte les betteraves et la
houille, des distilleries qu’elle approvisionne de mélasses. Dans ces
régions fort peuplées et sillonnées de routes, elle amène de la Belgique,
de l’Oise, de la Champagne et de la Lorraine les matériaux
d’empierrement et de construction. Elle expédie des sucres pour les
ports de Dunkerque et d’Amsterdam et pour Paris ; des chicorées
pour la Belgique, pour Paris et pour l’Est ; des céréales pour Lille
et Paris; des alcools pour Paris, Épinal, Besançon, Lyon; des farines
pour Paris; des engrais pour Dunkerque, Gand, Louvain, Ruhrort,
Reims, Paris, Montargis. Elle reçoit les houilles du Pas-de-Calais;
les sables de Nemours; les plâtres des environs de Paris ; les pierres
d’Euville; les graines oléagineuses venant de Dunkerque; les
' Chambre de Commerce de Cambrai, 332, avril 1900.
■ Ici., octobre 1900.
3 La Rivière, 347 et 348. Cf.-aussi Paul Léon. Notre réseau navigable. Revue de Paris
15 janvier 1902 ; L’organisation commerciale des transports p ar eau dans le Nord, Bull,
de la Mutuelle Transports, janvier 1904 : Quelques réflexions à propos du canal du Nord,
Revue politique et parlementaire, mars 1902.