tiles et les oléagineux, elles peuvent provenir comme pour le tabac
de mesures purement artificielles. L’une des plus anciennes parmi
ces plantes cultivées n’existe plus maintenant dans le Nord de la France
qu’à l’état sauvage; c’est la guède ou waide (Isatis Tinctoria, ou
pastel) ; on la cultivait au Moyen Age autour d’Amiens et surtout à
Bertangles pour la belle couleur bleue qu’elle donnait; elle fît la réputation
des teinturiers d’Amiens ; on évalue à près de 700.000 francs
le capital engagé dans cette industrie en 1390. Elle se maintint jusqu’à
l’introduction des teintures exotiques. Au xviB siècle, les cultivateurs
voulurent même faire prohiber l’indigo : mais la guède dut
succomber \
Les textiles. — Le lin et le chanvre furent pendant de longues
années communément cultivés dans la Picardie, l’Artois, le Cam-
brésis et le Beauvaisis. Tous deux ils réclament une terre meuble,
profonde, humide et un peu grasse. Yenus de Flandre, ils s’établirent
aisément sur les plaines fertiles de l’Artois, du Ponthieu et du Yimeu ;
vers l’Est, ils élurent domicile surtout dans les vallées. Au xvne siècle,
le Yimeu expédiait ses lins vers la Normandie et la Bretagne2.
En 1806, le lin de Beauquesne se vendait en partie parle port d’Abbe-
ville à Bordeaux, à Bayonne et en Espagne; une autre partie était
vendue à Mayenne, à Laval. En 1830, on le cultivait dans les cantons
d’Ailly-le-Haut-Clocher, d’Ault, de Gamaches, d’Hallencourt, de
Moyenneville, de Saint-Yalery, de Bernaville, d’Auxi-le-Château, de
Pas et jusqu’à Arras3. En 1842, les alluvions de l’Oise et de la Somme
dans les cantons de Moy, de Ribemont et de Saint-Simon portaient
encore de riches linières, sur le territoire de chaque commune;
en 1862, la même contrée lui consacrait encore ses meilleurs
champs. Bulles, dans la vallée de la Brèche, fournit jusqu’à la fin du
x v i i i 6 siècle de magnifiques lins aux Flamands et aux Hollandais 4.
De nos jours, le lin s’est retiré vers le Nord; il a repassé la Somme;
il occupe encore quelques exploitations dans les cantons de Bernaville
et de Domart, et dans l’arrondissement d’Arras. Le chanvre eut
aussi son heure de vogue5. Délaissant les plateaux, il habitait de préférence
les vallées sur les sols sablonneux et limoneux. On en
recueillait dans les vallées de la Bresle, de l’Authie, de la Somme
' Bouthors, 504, II, p. 532.
3 Bignon, Mémoire, p. 12.
3 Prarond, 580, I, p. LXXIII-LXXVI.
4 Rodin, 311, V, p. 395-398.
5 Id. Cf. Brayer 506, II, p. 62-65. Arch. Somme C 116.
inférieure et de ses affluents, du Thérain et de ses affluents, de 1 Oise,
du Matz, de la Serre. Autour de Ribécourt, en 1835, on en comptait
encore 400 hectares. Le chanvre de Ressons-sur-Matz s’exportait au
xv ii° siècle en Bretagne et à La Rochelle pour la fabrique des toiles à
voiles. On en voyait encore, il y a quelques années, dans la vallée de
la Somme. On n’en trouve plus trace aujourd hui. Le lin et le chanvre
ont succombé devant la concurrence des textiles étrangers et de la
betterave à sucre. La culture du lin 1 coûte beaucoup plus que celle
de la betterave. Le lin est une plante à longue rotation qui ne doit
revenir sur la même terre que tous les huit ou neuf ans ; sinon, elle
deviendrait épuisante. La récolte ne rapporte guère qu’une année
sur trois; sous ce climat variable, elle se trouve à la merci dune
année trop humide ou trop sèche. « Avant que le lin soit bien établi,
disait un dicton, il fait sept fois peur à son maître. » Avèc la betterave,
on recueille moins de bénéfice, mais on s expose à moins
d’aléas ; en outre, elle entre sans peine dans l’assolement triennal et
même souvent elle alterne avec le blé ; on avait intérêt à chasser le
lin pour accueillir la betterave. Mais au moment même où la betterave
envahissait les champs du Nord, des conditions économiques
imposaient l ’abandon du lin. Le lin n’exige pas seulement un travail
de culture, mais un travail de manufacture ; quand il est récolté, il
faut le rouir, le teiller, le. filer. Pendant longtemps ces opérations
s’accomplirent à la campagne; les mêmes bras qui, le printemps et
l’été, avaient soigné la plante, s’occupaient de le rouir et de le teiller
pendant l’arrière-saison. Au xvme siècle, cette industrie complexe
faisait vivre la moitié des journaliers du Vimeu2. Le lin exigeait
donc une grosse dépense de main-d’oeuvre. Un jour vint où nos campagnes
ne furent plus en état de lui assurer ce travail. Les eaux de
la Lys sont bien meilleures pour le rouissage que les eaux de la
Somme, trop crues et trop dures. De plus, en Flandre, on ne manque
pas d’eau; dans la Picardie et dans l’Artois, faute de rivières, on
employait, de tous les rouissages, le plus imparfait, le rouissage à la
rosée. Quand l’automne est humide ou qu’il tombe de la rosée chaque
jour, le rouissage marche bien et peut se terminer en trois semaines,
mais si le temps est sec, il dure parfois cinq à six semaines et détériore
le lin; aussi, lorsqu’il se fonda des filatures mécaniques en
Flandre, nos lins durs, mal rouis et sans finesse, ne se vendirent plus.
Peu à peu la préparation du lin émigra vers des plaines plus humides,
' Mèrchier, 301 ;Véret317.
3 Arch; Somme C, 132. C’est même dans le Vimeu qu’on avait inventé de petites
machines, très simples et peu coûteuses, pour ^coucher le lin.