Royon. Les royons les plus anciens, très reconnaissables en général
dans la physionomie du pays, marquent la succession des « ren-
clôtures « qui l’ont agrandi aux dépens du domaine marin; la plupart
des routes des Bas-Champs suivent des digues; elles en gardent
le tracé irrégulier et anguleux ; leurs crochets à travers champs et
villages allongent les itinéraires ; mais elles restituent en témoins
fidèles 1 histoire de ce travail de fortification, exécuté pied à pied
selon les besoins du moment sur les points les plus menacés ; on en
a l’impression très vive de Saint-Yalery au Hourdel, de Cayeux à
Brutelles et à Ault, du Crotoy à Noyelles (carte n° II).
Au Sud de la Somme, le triangle d’alluvions compris entre Saint-
Yalery, le Hourdel et Ault, était exposé des deux côtés aux atteintes
de la mer ; frappé à l’Ouest directement, les eaux de la baie de la
Somme le menaçaient au Nord-Est. Un procès verbal de 18881
prouve qu’il y eut vers le Hourdel (Enclos de Nevers) et sur Routhiau-
ville des terres labourables, d’abord rencloses, que la mer emporta
et qu’il fallut de nouveau renclore. A l’Ouest, la digue naturelle de
galets pliait quelquefois ; à la fin du xviii3 siècle, de vieux marins
attestaient que Cayeux avait dû reculer devant les flots ; en outre,-il
existait dans cette digue une brèche qui permettait aux marées
d’inonder un large bassin appelé le Hâble d’Ault. Des deux côtés on
a fait face à la mer pour la refouler. La base d’opérations fut le terrain
solide où s’établirent les agglomérations humaines : Wathiéhurt,
Hurt, Cayeux; on retrouve ces noms dans les textes les plus anciens2.’
De part et d’autre de cet étroit canton, les noms de lieux sont d’origine
recente ; c’est de là que les digues se sont avancées parallèlement
vers le Nord-Est et vers le Sud-Ouest. Vers le Nord-Est la première
dont nous trouvions l’indication formelle est le chemin de
Sallenelle à Molière d’Amont qui figure sur un plan de 1782 3 sous
nom de digue de l’Anguille de la Malassise ; vers le Sud-Ouest, la première
digue est la Chaussée de Cayeux à Brutelles. Au delà de ces
digues, toute 1 étendue des Bas-Champs représente d’anciennes
molières. Au Sud de la chaussée de Brutelles à Cayeux, plusieurs
chemins parallèles sont des digues, appuyées à l’Ouest au cordon
littoral, à lE s t à la falaise morte : la digue de l’Enviette, continuée
par « la digue vis-à-vis de Beaumier » ; la digue de la Motte ou
d’Hautebut; la digue du marais de Woignarue; la digue d’Onival.
Les champs qu’elles protègent sont des renclôtures : enclos de l’En-
■ Arch. Nat. R‘ 423.
2 Cf. Gamier, 409.
3 Arch. Nat. N2 21 et R1 105.
viette, enclos de Montmignon, enclos d’IIaulebut, enclos de Mont-
cavrel. Les textes ne nous ont rien fourni de précis sur la date de
ces travaux; en tout cas, ils étaient tous exécutés en 1667,' comme
le montre une carte des Archives. Au contraire, nous sommes mieux
renseignés sur la disparition du Hâble d’Ault1. La même carte définit
le Hâble d’Ault, dont le sol est aujourd’hui couvert en partie de
labours et de pâtures, comme une anse à goulet étroit, occupée en
son milieu par une île derrière laquelle s’abritent des bateaux. Un
accord de 1388 entre l’abbaye de Saint-Yalery et le seigneur de cette
ville parle des navires qui mouillaient au port du « hâble de Aute-
bue ». C’était alors au milieu des terres un enfoncement qui s’asséchait
à marée basse et s’emplissait à marée haute, mais dont le
chenal, maintes fois déplacé, se comblait peu à peu de galets. Au
xve siècle, l’embouchure du Hâble était très voisine d’Onival ;
au x v i i i0 les vents dominants l’avaient transportée à 7 kilomètres
au Nord, près de Cayeux; bientôt elle devint impraticable aux
bateaux ; mais elle restait un danger pour le bas pays comme un
chemin ouvert aux fortes marées. On songea à la fermer. Le comte
de Rouault, seigneur de Cayeux, obtint un arrêt du Conseil d’État
1 Sur le Hâble d’Ault, voyez Leflls, 557, p. 234 ; Louandre, 263, p. 578 ; Arch. Nat.
N3 62. Somme (1 plan, d'environ 1755) et N3 78 Somme (1 plan de 1667).