romanes et les langues germaniques; il setend par Boulogne, Arras,
Douai, Yalenciennes, Tournai et Liège jusqu’aux limites du Flamand,
en passant par le wallon et le rouchi. De nombreux textes confirment
que la limite du picard au Nord n’était autre que le flamand.
En 1229, Mathieu Paris écrit que ceux, qu’on appelait alors vulgairement
les Picards, touchaient a la Flandre. Selon une observation de
Tri thème 1303, on parle le français sur les bords de la Lys, c’est-
à-dire le picard1. Picard et Wallon représentent la même réalité, vue
tantôt par les Français, tantôt par les Flamands. Il arrive qu’on
désigne comme wallon un pays picard, l’Artois par exemple, et réciproquement;
à plusieurs reprises, au cours du Moyen Age, Lille,
Douai, Saint-Omer, Tournai sont comprises parmi les villes de
Picardie.
Opposés par leur langue et leur civilisation, le pays picard et le
pays flamand ont connu, comme toutes les régions en contact, l’incertitude
des frontières sans cesse disputées et les rivalités de voisinage
inévitables alors entre deux groupes ethniques différents. Avant-
garde française, la Picardie refoula vers le Nord l ’idiome flamand.
L etude des noms géographiques permet de considérer comme
ancien pays germanique tout le territoire qui s’étendait de la Lys à
la mer et à la Lanche ■ ; au xme siècle, la langue flamande occupait
le pays compris entre Boulogne, Calais, Mardyck, Bourbourg,
Saint-Omer, Saint-Venant, Herbelle. Tout ce terrain a été gagné
par le Picard et peut-être faut-il voir dans l’expression de « Pas
Piquart » employée par un poète du xive siècle3 un indice de cette
transformation qui avait rendu à la langue française les bords
du Pas-de-Calais. Le souvenir de cette lutte qui ne fut pas toujours
pacifique se retrouve sans doute aussi dans cette Marche (Marka)
dont un vieux texte nous apprend l’existence au xe siècle entre la
Canche et 1 E scaut4. La Picardie se révèle comme un poste avancé,
comme une marche de la France. Quand elle naît a la vie politique,
c’est avec tous les caractères d’un gouvernement militaire établi sur
une frontière menacée : en 13485, le roi dépêche Charles de Montmorency
vers Saint-Omer avec la qualité de « capitaine général de
Sa Majesté sur les frontières de Flandre, et de la mer et en toute
1 Don Grenier, 414, p. 43. Cf. aussi p. 7-11.
‘ Kurth, 423, p. 400, p. 222; Cf. Dehaisne, ,390, et Gallois, Les limites linguistiques
du Français. A. de G. IX, p. 211-218.
3 Dans le Bastard de Bouillon (édition Scheler), vers n» 786.
3 Courtois, 393, p. IV.
5 Don Grenier, 414, p. 3.
langue picarde ». Depuis longtemps déjà, sur cette ligne de bataille,,
les éléments rivaux s’étaient affrontés. La rivalité parfois dégénérait
en hostilité. En 1091 S lorsqu’une guerre éclata entre la comtesse de
Flandre Richilde et Robert le Frison, les villes flamandes s’associèrent
entre elles contre la confédération des villes de langue française
: Arras, Douai, Tournai, Saint-Omer, Aire, Béthune, Boulogne,
Saint-Pol, Lille. Mais bientôt la poussée picarde vers le Nord, aidée
de tout le prestige d’une brillante civilisation, finit par l’emporter;
jusqu’au xive siècle2, le Picard reste l’idiome préféré des classes supérieures
dans les provinces Belges de langue germanique; il pénètre
dans le peuple lui-même ; les jongleurs le font entendre aux carrefours
des rues et dans les grandes salles des châteaux. Longtemps
les Picards arrivèrent en Flandre avec cette assurance que donne aux
gens le sentiment d’une supériorité ; auprès des hommes du Nord, ils
faisaient figure de Méridionaux. Hardis compagnons, mais querelleurs
et hargneux, ils deviennent, sous la domination de la Bourgogne,
d’insupportables voisins pour leurs nouveaux compatriotes ;
dans la chronique de Saint-Denis, on voit qu’à maintes reprises
leur ardeur au butin et leur haine des Flamands faillirent compromettre
l ’armée du duc de Bourgogne. De nos jours encore, il est
curieux d’observer qu’entre Béthune et Hazebrouck, dans les marchés
des villages et des bourgs, les marchands picards représentent
l’élément actif et entreprenant ; ils parcourent le pays flamand,
recueillant dans les fermes les oeufs, le beurre et la volaille et
répandant partout leur langage et leurs manières. Compères gais et
pleins d’entrain, on les distingue vite des Flamands, taciturnes
buveurs de bière.
De tout temps la Picardie apparaît comme le domaine d’un dialecte
vivace des langues romanes. C’est pour cette raison qu’il y avait
des Picards bien avant que la Picardie n’existât comme province et
qu’il y en a encore maintenant que la Picardie n’existe plus.
La Picardie eut sa place marquée parmi les nations de l’Université
de P a ris3 : c’est peut-être la meilleure preuve de son autonomie
littéraire et linguistique. Les écoliers de langue picarde composaient
à l’Université de Paris la nation picarde. Cette association des étudiants
d’une même région formée entre 1215 et 1222 permet de constater
que les diocèses qui recrutaient les étudiants picards consti-
1 Dehaisnes, 395, p. 297.
3 Funck Brentano. Philippe lo Bel en Flandre. Paris, Champion, 1896, p. 20-21.
3 Sur la Nation Picarde, voyez Denifle, Chart. Univ., Paris, I, p. XX-XXII, 123, 338,
390, 449, 521 ; II, p. 407, 445 ; III, p. 56, 85-88, 251.