battu par les vents de mer au sol inconsistant, couvraient les rudes
plateaux où la Lys et l’Aa prennent leurs sources et les terrains
humides du Bas-Boulonnais, autre forêt devenue pâture; depuis le
pays des watergands jusqu’à la Somme, on note encore sur les
cartes les morceaux de ce domaine forestier (forêts de Guines, Lic-
ques, Tournehem, Boulogne, Desvres, Hesdin, Crécy); la contrée
fourmille de noms de lieux qui rappellent un défrichement, un
essartement, et la multitude des lambeaux de bois permet encore do
reconstituer par la pensée la continuité de l’ancien manteau arborescent
qui, par les forêts de Crécy, de Yicogne et des bords de
l’Authie, rejoignait l’Arrouaise et complétait au Sud les limites des
Atrebates. Vers le Nord-Ouest, au delà des bois et sur la côte, habitaient
les Morini.
Au moment de la conquête romaine, le Nord de la Gaule entre
la Seine et les Pays-Bas présentait plusieurs centres de peuplement
dont l’origine remonte sans doute très loin; leurs territoires étaient
isolés par les bandes forestières, plus ou moins continues, plus ou
moins épaisses, déjà percées de clairières et traversées par des
routes. C’est le fait primitif auquel il faut remonter pour comprendre
les divisions territoriales. Parmi les zones boisées, les unes ont disparu
laissant comme trace leur nom; mais ce mot qui s’appliquait
jadis à un aspect du sol est maintenant vide de sens; c’est en vain
qu’on chercherait dans la réalité actuelle la physionomie géographique
d’une « Arrouaise », d’une « Thelle », d’une «Beine», d’une
« Lyons ». Les autres ont légitimement transmis leur nom à leur
emplacement, parce que l’homme a pu transformer l'aspect primitif
du pays, mais non pas le détruire; les conditions naturelles qui
avaient créé la forêt lui ont survécu, en perpétuant à la même place
une forme de paysage caractéristique, un mode d’exploitation original;
le Bray et la Thiérarclie correspondent à des régions naturelles
bien vivantes, géologiquement et économiquement différenciées.
Quant aux zones cultivées et populeuses qui isolaient ces forêts, il
est remarquable qu’elles soient restées de tout temps les terroirs les
plus fertiles de la contrée; ce sont les riches campagnes d’Arras,'du
Santerre, du Yimeu. Centres des principaux groupements humains,
elles constituaient le territoire des peuples gaulois que les Romains
y rencontrèrent: Bellovaci, Ambiani, Yiromandui, Atrebates. Ce fut
l’origine des cités gallo-romaines et des diocèses du Moyen Age
autour de Beauvais, d’Amiens, de Saint-Quentin, d’Arras. Il faut
examiner maintenant ce que sont devenus ces premiers groupements,
quelle part ils ont pris dans les répartitions ultérieures des hommes,
comment ils se transformèrent et dans quelle mesure ces nouvelles
vicissitudes ressentirent l’effet des conditions naturelles.
I I I
ARTOIS, AMIÉNOIS, VERMANDOIS, BEAUVAISIS
On admet en général que les diocèses succédèrent presque
exactement aux cités gallo-romaines comme circonscriptions territoriales.
Ainsi les limites des diocèses d’Arras, d’Amiens, de Noyon
et de Beauvais représentent à peu près les limites des Atrebates, des
Ambiani, des Viromandui et des Bellovaci; on peut dire que jusqu’à
la Révolution Française les plus anciennes divisions de notre sol se
reflétèrent dans les divisions ecclésiastiques. Imposées, dès l’origine,
par des nécessités géographiques, elles perdirent peu à peu
toute assiette n ature lle ; elles devinrent des lignes conventionnelles
séparant des hommes et des choses de plus en plus semblables. Cent
territoires nouveaux s’y découpèrent au gré des politiques, chevauchant
les uns sur les autres, toujours remaniés, morcelés, complétés
sans qu’il soit possible de reconnaître au-dessous de cette mobilité
la puissante fixité d’une cause naturelle. Les pays de montagnes
connaissent cette tyrannie des conditions physiques; beaucoup de
vallées alpestres forment autant de petits mondes originaux par leur
nature et leur vie. Il n’en est pas de même dans ces plaines d’allure
tranquille, exemptes de ces contrastes impérieux qui sont des limites
pour les groupements humains et des obstacles à leurs relations.
Aussi la plupart des divisions de cette contrée ne procèdent pas de
la nature, mais bien de l’histoire.
Artois1.
De la cité des Atrebates est sorti le diocèse d’Arras qui la reproduit
dans ses grandes lignes, puis l’Artois qui ne coïncide plus avec
elle. La cité ou diocèse d’Arras à l’époque Carolingienne comprenait,
au point de vue civil et ecclésiastique, deux divisions : le pagus
Atrebatensis et l’Austrebantum ; nous les retrouvons encore dans la
terminologie sous les noms d’Artois et d’Ostrevent (Marcq-en-Ostre-
vent, Sailly-en-Ostrevent). Que représentent-ellès dans la géographie
actuelle? Le pagus ou l’archidiaconé d’Ostrevent2 prolongeait le dio-
1 Sur l’Artois, voyez Desnoyers, 399, p. 299-321 ; Longnon, 433, p. 123 (texte) et planches
XII et XV.
2 Sur TOstrevent, voyez Leglay, 427 ; Desnoyers, 399, p. 323-327.