semblent avoir eu l’initiative et longtemps le monopole de l’industrie
drapière1. Dans la Flandre et dans le Hainaut, Malines, Ypres,
Saint-Omer, Gand, Yalenciennes, Lille, Bruges, Douai, Cambrai,
Bruxelles et d’autres villes encore envoyaient dès le xne siècle des
draps aux foires de Champagne. A partir du xm6 siècle surtout, les
villes de France imitèrent leur exemple ; dès cette époque, on
remarque entre les villes flamandes et les villes françaises du Nord
non seulement une communauté dans le type de l’organisation industrielle,
mais aussi une véritable similitude dans les productions. Les
Picards étaient réputés pour leur habileté à imiter les étoffes et à
s’approprier les procédés de fabrication ; c’est de Flandre que pendant
longtemps leur vinrent la plupart des innovations techniques :
les pays français profitèrent, non moins que lés pays anglais, des
exemples flamands. Au xvi6 siècle, des tisseurs de toiles fines, venus
de Courtrai, de Gand et d’Ypres, apportent à Yalenciennes, puis à
Cambrai, puis à Saint-Quentin la fabrication des toiles de lin : à cet
événement se rattache le souvenir assez obscur d’un Jean Cromeliek
ou Cromelin qui s’établit à Saint-Quentin vers 18702. Ces précieux
emprunts ne cessèrent pas, soit qu’ils fussent sollicités par les F rançais,
soit qu’ils fussent arrachés aux Flamands. Après la prise d’Arras
par Louis XI, les sayeteurs de cette ville durent s’expatrier. « Le roi
fit deschasser dehors tous les manants et habitants de la ville et la
repopuler de la nation de Normandie, estrangers et autres » ; ils
vinrent s’installer à Amiens, et ainsi la sayetterie (tissus de laine pure
ou mélanges d autres fils) se trouvait introduite en Picardie par l’émi-
gration des ouvriers d’Arras (1480) 3. En 1492, des ouvriers venus de
Tournai fondaient à Amiens la fabrication des tapisseries de haute
lisse, draps d’or et de soie4. L’attraction des Pays-Bas s’accrut encore
auxvne siècle. Beaucoup de sang fut versé pour la possession de leurs
riches cités. En attendant de les annexer, on s’efforça de les imiter,
de les copier. Lors de l’établissement des manufactures d’Aumale, on
fit venir des maîtres et ouvriers de Hollande5. En 1664, il en vint
d’Oudenarde à Arras pour les manufactures de tapisserie6. La même
année, arrivait à Abbeville une colonie de cinquante Hollandais
chargés d’établir une fabrique privilégiée de draps fins sous la direc-
' Bourquelot, 325, p. 2i9.
2 Picard, 363, I, p. 153-156.
3 Fagniez, 341, II, p. LXXI ; Thierry, 598, II, p. 371.
* Pouy, Bull. Soc. Ind. Amiens, 1888.
“ Mémoire de Bignon, p. 11.
0 Gorresp. administr. Lettre de Courtin à Colbert, 12 octobre 1664, p. 692. !
tion de van Robais, manufacturier de Middelbourg. En 1667 se fondait
à Abbeville une manufacture de moquettes façon de F lan d re1.
En 1670, van Robais n’ayant pas consenti à créer une succursale à
Amiens, Colbert faisait venir de Hollande à Amiens un nommé
Maressal pour y faire des camelots façon de Hollande2. L’industrie
textile n ’était pas seule à bénéficier de ce contact. Yers 1746, il
s’établit dans la commune d’Authie une fabrique de clous où travaillèrent
quarante ouvriers belges. Les pannes qui remplacent peu à
peu le chaume dans la couverture des maisons rurales eurent la
même origine ; en 1774, le comte d’Houdant demandait l’autorisation
de fabriquer dans sa terre de Villers cette espèce de tuile utilisée
déjà dans les campagnes de Flandre, de Hainaut et de Brabant3.
Un moment vint où les Pays-Bas qui, pendant de longs siècles
avaient dirigé le mouvement industriel, virent passer à l’Angleterre
leur suprématie. L’antique emblème du sac de laine devenait une
fiction ; une Angleterre nouvelle sortait de terre, dont les inventions
révolutionnaient l’industrie. Pour ne pas disparaître, les industries
françaises durent adopter les machines que les Anglais montaient
dans leurs filatures et les métiers d’où sortaient d’énormes quantités
de tissus à bas prix. La Picardie était aux portes de l’Angleterre ; elle
fut l’une des premières à lui dérober ses secrets et à concurrencer sa
fabrication. Déjà au xvne siècle, bien avant l’ère des machines, c’est
aux Anglais qu’Amiens avait pris l’une des étoffes qui firent au
xvme siècle sa célébrité et sa fortune ; vers 1680, des ouvriers anglais
vendirent aux sayeteurs amiénois, Gottuet Malo,le secret de la fabrication
des peluches ou pannes en laine et poil de chèvre4 ; ce fut une
révolution dans la fabrique amiénoise. Pendant le xvme siècle, la
supériorité grandissante, des.tissus anglais inquiète les commerçants
picards qui cherchent à les imiter. En 1781, nous trouvons dans les
archives un projet de règlement pour les étoffes façon d’Angleterre ;
en 1762, pour satisfaire plusieurs clients espagnols, la Chambre du
Commerce de Picardie fait venir d’Angleterre plusieurs espèces
d’étoffes pour en confectionner de semblables à Amiens5. Mais on ne
pouvait obtenir les mêmes étoffes sans posséder les mêmes machines,
le même outillage. L’Angleterre avait une avance écrasante grâce à
ses machines à filer le coton ; les industriels picards firent de grands
1 Galonné, 510, II, p. 355^356.
2 Ponche, 365, p. 151.
3 Recueil manuscrit de documents à la Ch. de Comm. d ’Amiens, p. 160 et 246.
I Galonné, 510, H: p. 355-356.
II Inventaire... 547. tome II, o\ VIII.