Dissertation sur les deux éditions du Trésor de la langue grecque,
par A m b r . F i r m in D id o t .
Les réflexions de M. Passow relatives aux deux éditions du Thésaurus, et les avis contradictoires
de presque tous les bibliographes à leur sujet, m’ont engagé à m’occuper de cette
question typographique. Pour tâcher enfin de la résoudre, je me suis décidé à examiner attentivement
un grand nombre d’exemplaires du Thésaurus Groecoe linguce portant les uns la
date de 15 72 , les autres l’indication de Oliva Henrici Stephani (sans date), afin de découvrir
s’il y a eu effectivement deux différentes éditions. Dans cette question purement bibliographique
et typographique le résultat eût été plus facile à constater, si tous les tomes, dont le
premier seulement porte sur le titre soit la date de 1672, soit les mots Oliva Henrici Stephani,g
appartenaient intégralement à l’une ou à l’autre édition ; mais la confusion des tomes d’une
édition avec ceux d’une autre, et quelquefois même le mélange dans le même tome de parties
séparées ( i ) , m’a souvent déconcerté dans mon travail.
C’est ce qui m’a décidé à publier, comme pièces justificatives , les différences et les similitudes
que j’ai observées sur sept exemplaires, afin de mettre chaque possesseur d’un exemplaire du
Trésor de Henri Estienne à même de vérifier, d’après son exemplaire, si les faits qui résultent
de mon examen et de mes indications sont exacts. S i, comme je le pense, en raison de la
multiplicité des témoignages et de leur accord entre eux, on ne trouve pas de nouvelles
dissidences dans d’autres exemplaires, on pourra enfin, par ce moyen, connaître la vérité sur
ce phénomène typographique.
T o m e Ier.
Le titre, préface et prolégomènes ont eu deux éditions. ( Voyez pièces justificatives A.)
L’article a , signature * ii à *iiii, formant les,colonnes v-vi jusqu’à x x im , n’a eu qu’une
seule édition. (Voy. pièces justificatives B.)
Après cet article 3, depuis la col. 1, signature a. i., commençant au mot ’a I z î î jusqu’à la
colonne 1822, il y a eu deux éditions. (Voy. pièces justificatives,G.)
Après la signature hhhh.iii édition Oliva, et ggggiii (par erreur) édition de ^ 7 2 , viennent
les Addenda du tome Ier, signature iiii.i., jusqu’à oooo.iii. Ces Addenda, précédés dune
préface de Henri Estienne, Lectori hujus Thesauri Groecoe linguoe, formant en tout depuis la
page 1825-1826 jusqu’à, la page 1946* n’ont eu qü’une seule édition. {Voy. pièces justif. D.)
T o m e IL
Le titre du volume, la préface de Henri Estienne, ainsi que les feuillets v-vi, v i i - v i i i , ix-x,
xi-xn, contenant l’article R et le mot KAB02 avec ses dérivés, sont identiques dans tous les
exemplaires. ( Voy. pièces justificatives E.)
Depuis les colonnes 1 -2 , signature A. i, commençant au mot KArxAziî jusqu’à la page
1591-1592... il y a deux éditions. {Voy. pièces justificatives F.)
(1) On peut entre autres juger de ces confusions par l’exemplaire de, la Bibliothèque de l’Institut, qui est formé d’un
mélange des deux éditions (a). Les exemplaires chargés de notes manuscrites de Kuster (b) et d’Hemsterhuys,
appartenant l’un à la Bibliothèque du R o i, l’autre à la Bibliothèque de Leyde, qui font partie de ceux que j ’ai
collationnés, sont entièrement formés de l’édition Oliva, sauf les parties qui n’ont eu qu’une seule édition. Deux autres
exemplaires, ayant la date de tSya, n’ont jamais présenté entre eux aucune variation. L’un des exemplaires que je
possède, dont le premier volume porte l’inscription Oliva, est en effet de cette édition pour tout le premier volume,
mais le second et les suivants sont de l’édition xSya ; un autre exemplaire offre la même particularité. Cette confusion
que j ’ai reconnu depuis être si fréquente est la caus.e de l’opinion émise par mon père dans ses oeuvres, t. I I , p. aao,
sous la forme du doute toutefois.
(a) Il ~est également probable que dans l’exemplaire de la Bibliothèque impériale de Vienne, enrichi des notes manuscrites de Henri
Estienne, les tomes I, III, IV, V, sont de l'édition de et que le tome II est de l'édition Oliva, du moins en partie. Ce qui
me le ferait croire, c’est cette correction manuscrite de Henri Estienne sur ce passage : «habent et àvtiVxmSàvKrûai,» col. 653, A, 1. i
(sic) qui porte en marge : «liabèt et <ruvavTi>Æji8àvio8ai-„ La faute indiquée par Estienne existe dans l’édition Oliva; elle n’est point dans
l’édition de 1572. Cependant, comme la plupart des corrections indiquées ensuite dans le même tome se rapportent à l’édition de 1072,
et non à l’édition Oliva, je ne puis rien affirmer, n’ayant pas l’exemplaire sous les yeux.
(b) Sur l’exemplaire de la Bibliothèque du Roi se trouvent transcrites par un copiste ignorant les notes inédites de Kuster, dont
quelques-unes seront un des nouveaux ornements de notre édition. On lit en tête du volume contenant l’Appendix libellorum et l’Index,
cette note de Kuster : «.Mirum est H. Steph. in hoc Lexico et voces et exempla omisisse, quæ jam ante decennium Rob. Const. in Lexico
suo Græco adduxerat voce, àak&fc, Z|Mvfo), tiavi?, Êvxàvi), «piWai , IvSorçeïaOai. n
««Voces quæ in ultima editione Rob. Constantini Lexici desiderantur, licet ab H. Stephano jam ante adductæ essent. V. ôfvm. —
H. B. Mrfl«), t°m. 2, col. xx, G, 9. tom. 2, A, x. »
Depuis la page 1593- i 594 jusqu’à 1699-1700, signât. AAAA.i. jusqu’à GGGG.iii. contenant
les Adjicienda tomo I I hujus Thesauri Groecoe linguoe, il n’y a qu’une seule édition. {Voy. G.)
T o m e III.
Le commencement du vol. jusqu’à la page 65j -658 inclusivement, contenant l’article n
en entier, a eu deux éditions. {Voy. H.) \
Depuis la page 659-660, commençant la lettre P, jusqu’à la fin du IIIe vol. p. 1792-1793,
contenant la totalité des léttres P. 2. T. Y., il n’y a eu qu’une seule édition. {Voy. I.)
T o m e I I I I .
Le commencement de ce volume jusqu’à la page 67-68 seulement a eu deux éditions. (^.K.)
Depuis la page 69-70 jusqu’à la fin de l’il, page 833-834, une seule édition. {Voy. L.)
Ce commencement du tome IV, contenant les lettres <I>. X. W. S2., est ordinairement relié avec le tome III.
A p PENDIX LIBELLORTjM, ETG. ET INDEX.
Ce volume tout entier n’a eu qu’une seule édition , excepté le faux titre et les deux seuls
traités : 10 De Groecoe linguoe dialectis ex scriptis Joannis grammatici, etc., et 20 De dialectis
a Corintho decerptis, qui ont eu deux éditions; les autres traités n’en ont eu qu’une seule. {V. M.)
Il résulte de cet examen, qu’un peu plus de la moitié de l’ouvrage aurait eu deux différentes
éditions calquées en quelque sorte l’une sur l’autre. Mais par quel motif, dans la seconde
édition, Henri Estienne n’aurail-il pas remis à leur place le grand nombre de mots qu’i l \
avait omis dans le cours de son travail et qu’il a été obligé de rejeter à la fin des deux premiers
volumes ou dans son Index (1)? C’est ce qui semble difficile et presque impossible d’expliquer.
Ni lui, ni Almeloveen, ni Maittaire, n’ont rien dit sur ce fait extraordinaire (2). On est donc
réduit à se borner à des conjectures plus ou moins plausibles.
On n’a aucune donnée sur la date de la publication de l’édition portant sur le titre
l’indication Oliva Henrici Stephani. Maittaire nous dit : « Posteriorem illius Thesauri editionem
prodiisse tam certum est, quam quoanno prodierit incertum», (p. 355).
Si on admettait que Henri Estienne eût fait une seconde édition complète de son dictionnaire,
il faudrait admettre aussi que la première aurait été promptement épuisée; ce qu’il est difficile,
d’admettre, car alors tomberaient une partie des torts reprochés à Scapula (3), et la touchante
épigraphe placée par H. Estienne derrière le titre de la première édition perdrait une partie
de son intérêt.
Mais nous voyons par l’examen auquel je me suis livré qu’il n’y a pas eu deux éditions
entières, et le silence extraordinaire de Henri Estienne sur un point aussi important de son
histoire typographique me semble un indice pour croire que les parties réimprimées l’ont été
dans deux pays différents et simultanément avec la première édition, ce qui a dû accroître
singulièrement les immenses dépenses qui contribuèrent à la ruine de Henri Estienne.
Je serais dotic porté à croire que Henri Estienne craignant qu’on ne fît une contrefaçon de son
ouvrage à Genève où, selon la tradition , l’édition Oliva fut exécutée, et profitant de l’avantage
que lui donnait l’imprimerie qu’il y possédait (4) , fit ostensiblement exécuter à Genève une
(1) « Quæ ilium subterfugerunt aut (si potius ita loquendum est) illi tanquam e ïnanibus elapsa sunt (quod mirum
non fuit in tanta tam variorum dérivatorum multitudine). » Voy. tom. I , pag. 1825-1826, et Index, pag. 23o.
(2) J’espérais, mais en vain, trouver quelques renseignements dans les lettres inédites de Henri Estienne à Craton de
Craftheim, que M. Passow vient de rendre le serviée aux lettres de publier à Breslau.
(3) « Ministri seu adjuræ sui Scapulæ fraude et deceptione minus ex ilia editione sua lueri quam gloriæ
collegit, adeoque sumptibus immensis ob tardiorem esemplarium distractionem non satis celeriter receptis fortu-
narum jacturam aliquam fecit. » Almel. p. 100 ex Malinc. Dissèrt. de Arte typogr. c. 14. Maittaire dit aussi : « Eam animi
(ut conjicio) ægritudinem effecerat res, quam positi in literis promovendis præsertim in Græco Thesauro absolvendo
sumptus exhauserant domi angustissima», p. 355. Henri Estienne dans l’intéressante préface de son Thesaurus, en
parlant dé son amour pour la langue grecque qui le soùtenait dans le cours de son travail que l’on peut appeler
surhumain, dit, page 10 : <« Quoties tantis difficultatibusdeterritum pedem referre vòluisse arbitraris?-ÿerùm ut de
Ænea cecinit Maro, Vieil amor patrioe : ita de me aflirmare possum, V icit amor linguæ.... Canit de amica sua quidam,
Quin etiam sedes jubeat si vendere avitas, ' *
Ite sub imperium $ub titulumque lares.
At ego propter amicam meam linguam Græcam et præ ardenti construendi ejus Omoaupoù desiderio, penè universas
meas divitiolas paulatim à7roTE6ncaupiap.ivaç repente me ¿x-reênaauptxsvai, utinâm pon tam vere dicere possem. »
(4) « Ego . . . . . censucrim Henricum Stephanum semper Genevæ Typographeion habuisse, in quo vel éo absente
etiam excudérentur lib r i, quò, mòdo siquid haberet excusum, mitteret. » Almelov. p. n i . Cette imprimerie était