Déjà les judicieuses observations de J. Aug. Ernesti sur l’emploi des lexiques grecs, et
notamment de celui d’Hésychius, avaient fait voir depuis longtemps que ces mêmes lexiques
ne pouvaient offrir d’utilité réelle qu’aux hommes profondément versés. dans la connaissance
de la langue et familiarisés avec le plus grand nombre des auteurs; que, dans bien des cas,
ils pourraient égarer les lecteurs qui n?ont qu’une instruction superficielle, loin d’être pour
eux des guides sûrs. Le même savant avait proposé, à cette occasion, quelques règles générales,
propres à étendre et à propager l’utilité de ces lexiques, en indiquant quelques-uns
des cas où les gloses, qui s y trouvent entassées avec une brièveté qui ajoute à» leur obscurité,
se rapportent à des mots pris dans un sens spécialement applicable à des sciences ou à des
arts particuliers, à des opinions déterminées de sectes, soit philosophiques, soit religieuses,
à des usages peu familiers, ou même à des circonstances dont la connaissance peut seule
donner l’intelligence de la valeur et de la signification véritables de ces mêmes mots.
Le parti qu’avaient pris les auteurs de l’édition récente du Thésaurus de H. Estienne, de donner
à part et dans leur intégrité ces gloses des lexiques à la suite du mot auquel elles se
rapportent, ne remédie qu’en partie aux inconvénients signalés par Ernesti. Les collaborateurs
du nouveau Thésaurus, au contraire, en reproduisant ces mêmes gloses dans le corps de
l’article auquel elles peuvent se rapporter, et comme autorisant les significations particulières
des mots, qu’ils appuient d’ailleurs par les, textes des auteurs, ont répandu plus de clarté sur le
travail des anciens lexicographes, en même temps qu’ils lui donnent un plus haut degré d’utilité.
Les suppressions qu’ils ont faites dans l’édition anglaise, qu’ils ont prise pour base, et la
meilleure disposition qu'ils ont donnée aux interprétations des mots, contribuent aussi à rendre
plus profitable ce qu’ils ont conservé et souvent ajouté de relatif à la grammaire et à la syntaxe
, dont on pourra faire, à l’aide de leur travail, des traités plus riches et plus complets.
Enfin, on peut compter au nombre des avantages que présente cette grande entreprise, le
soin qu’ont pris ses auteurs d’indiquer pour chaque mot la prosodie la plus généralement
admise : c’est un moyen de propager la connaissance de la métrique des poètes grecs et d’en
rendre l’acquisition plus facile aux lecteurs. Cette partie de l’érudition présente encore, à la
vérité, bien des difficultés presque insolubles, et a dpnné lieu à de nombreux dissentiments
entre les hommes les plus habiles qui s’en sont occupés; mais cela même peut rassurer sur
les critiques dont cette partie pourrait être l’objet, car dans bien des cas on serait autorisé à
en appeler de Brunck à Porson et de Borson à Hermann, ou à quelque autre érudit dont le
système diffère encore de celui de ce dernier : Soepe premente deo, fe r t deus alter opem.
La question de la prééminence de l’ordre étymologique adopté par les éditeurs anglais,
d’après H. Estienne, et constitué (s’il le faut ainsi dire) par lui après tant de recherches, de
méditations et de peines, sur l’ordre alphabétique adopté par les éditeurs français, paraît
désormais à peu près décidée en faveur du dernier système. Sans doute cette filiation des
mots rangés en quelque sorte par familles, cette succession de nuances diverses que présentent
leurs nombreuses et -souvent régulières compositions, se reproduisant sans cesse pour
chaque terme radical, surtout pour les verbes, sont éminemment propres à faire acquérir une
connaissance approfondie de la langue grecque, de ses richesses, de -ses ressources et de son
genie, a ceux qui voudront faire d’un immense dictionnaire ainsi ordonné une lecture fréquente
et une étude assidue. Mais il s’élève aussi contre ce même ordre des objections dont
la force paraît devoir prévaloir sur l’avantage que nous venons de signaler.
Car d’abord, l’ordre étymologique est et sera toujours en ,grande partie arbitraire, et l’on
voit par ce que dit à ce sujet H. Estienne lui-même dans sa préface, combien il s’est vu souvent
gêné et déconcerté par cet inconvénient inévitable du plan qu’il avait adopté.
En second lieu, une conséquence non moins inévitable de ce premier et capital inconvénient,
c’est l’incommodité qui se fait sentir, presque à chaque instant, daos l’emploi d’un
pareil .dictionnaire, par la nécessité où l’on est souvent de recourir à l’index alphabétique général,
que l’on ne pourra jamais se dispenser d’y joindre, et la perte de temps que cette circonstance
occasionne.
Troisièmement, il n’y a .guère que les.philologues et grammairiens de profession qui entreprennent
de lire de suite quelques parties plus ou moins étendues d’un vaste lexique; ceux
qui cultivent d’autres branches de l’érudition classique, qui s’adonnent spécialement à l’étude
des historiens, des orateurs, des philosophes ou des poètes, à celle des auteurs qui ont traité
de la médecine, ou de quelque autre*science ou art qùe ce soit, désirent surtout de trouver le
plus promptement et le plus sûrement possible la signification précise du mot qui les arrête.
Il leur est facile de remonter à son origine, si elle est naturelle et authentique, tandis qu’ils
peuvent être égarés ou tout à fait arrêtés, si le dictionnaire lui en assigne une qui soit douteuse
ou fausse.
Enfin, outre que parmi ceux qui sont dans le cas de faire un usage fréquent d’un pareil
ouvrage, il y en a bien peu qui n’ayent recueilli de leurs premières études, de la lecture des
grammairiens anciens ou modernes, et de celle d’un .certain nombre des principaux auteurs,
une connaissance déjà assez étendue de l’étymologie, l’index ou tableau général de tout
l’ordre adopté par H. Estienne ( sans doute avec l’indication des corrections et améliorations
que les travaux des philologues plus récents y pourront faire désirer) suppléera heureusement,
ce semble, à tous les besoins en ce genre, et justifiera d’autant plus l’ordre alphabétique
que les derniers éditeurs ont cru devoir adopter.
S i , en reproduisant en très-grande partie l’édition anglaise, ils ont cru devoir y faire de
nombreuses et considérables suppressions, on doit reconnaître que, loin de nuire à la bonté
et à l’utilité de leur travail, cette détermination servira, au contraire, beaucoup à l’améliorer.
Un dictionnaire ne doit point renfermer des discussions critiques ou grammaticales fort
étendues, et moins encore des traités entiers sur un nombre plus ou moins grand de questions
de ce genre ; il suffit qu’il présente les résultats les plus sûrs, les points de doctrine les plus incontestables
que l’on peut puiser dans cette sorte d’ouvrages, avec l’indication de leurs titres
et du nom de leurs auteurs. Peut-être même trouvera-t-on que dans la partie du nouveau
Thésaurus dont nous rendons compte à l’Académie, il y a encore sous, ce rapport une sorte
de luxe qui ajoute peu à la richesse réelle.
Au reste, ce léger inconvénient n’a point échappé à la sagacité des nouveaux éditeurs, qui
se proposent d’y obvier dans les livraisons suivantes. Seulement il leur a paru convenable de
mettre les érudits des pays étrangers qui peuvent attacher plus d’importance aux minuties
philologiques ou grammaticales, à même de reconnaître que les collaborateurs du nouveau
dictionnaire ont une connaissance étendue et très-complète de ce qui a été publie sur ces matières
dans toute l’Europe, depuis la renaissance des lettres jusqu’à notre temps. On peut donc
ainsi s’assurer que les suppressions ou les omissions qui auront lieu en ce genre seront motivées
sur l’inutilité et non pas sur l’ignorance de beaucoup de choses.
En effet, quelques points de critiqué, de grammaire, de prosodie, ou de métrique, ont
été traités'par certains philologues avec tant de prolixité, et quelquefois il sort si peu de lumière
de la foule des autorités pour et contre qu’ils allèguent sur une même question, que l’on
peut raisonnablement douter que leurs dissertations puissent être lues en entier par d’autres
que par ceux qui les ont écrites ou qui en ont corrigé les épreuves. Or ce sont ces articles-là
qu’il est permis et même convenable de supprimer, ou au moins d’abréger et de réduire considérablement.
Mais puisqu’il a été question de suppressions ou d’omissions qui ne peuvent au moins
nuire en rien à l’utilité du nouveau dictionnaire, nous croyons devoir en.indiquer aux éditeurs
d’autres qui, à notre avis , contribueraient à l’élégance matérielle (s’il le faut ainsi dire) de
l’ouvrage, èt qui, en somme, feraient gagner un nombre assez considérable de pages ou même
de feuilles d’impression. Nous voulons parler de ces nombreuses répétitions de noms propres
imprimés en petites capitales, soit dans leur entier, soit en partie, et dont chaque article est
plus ou moins surchargé, dans la nouvelle édition comme dans 1 édition anglaise. Sans doute,
lorsqu’une acception nouvelle ou inusitée est donnée a un mot, lorsqu il est question d établir un
point de critique ou de grammaire auparavant douteux ou mal déterminé, le nom du savant à qui
l’on doit cette lumière nouvelle peut ajouter à la confiance que le lecteur y prendra, et, dans ce
cas, il est convenable et juste de l’indiquer : mais la plupart du temps, cet emploi des signes typographiques
de tout genre pour indiquer à qui appartiennent précisément deux ou trois lignes
ajoutées à un article, ou à une portion d’article, produit une bigarrure peu agréable à l’oeil,
et qu’aucun motif d’utilité ne justifie. On ne peut guere présumer que des érudits qui se sont
fait par leurs ouvrages un nom honorable dans toute l’Europe, tiennent à voir signaler ainsi
les moindres mots échappés de leur plume ; et quant a notre savant confrere, M. Boissonade,
à qui les deux nouvelles publications du Trésor de H. Estienne auront tant d obligations, il a