été le premier à nous suggérer l’observation que nous soumettons au jugement de
l’Académie.
Par tous les motifs qui viennent d’être exposés oU indiqués, votre Commission, Messieurs,
estime que la publication du T r é s o r d e l a L a n g u e g r e c q u e , entreprise par MM. Firmin
Didot ne saurait manquer d’avoir de nombreux et considérables avantages sur l’édition du
même ouvrage donnée il y a quelques années en Angleterre; elle sera beaucoup plus complète
par le nombre des mots et des significations déjà si considérablement augmenté dans
l’édition anglaise, et celte richesse sera due aux communications aussi bienveillantes qu’empressées
des savants les plus distingués de l’Angleterre elle-même, de l’Allemagne et de la
France.
Ainsi’, l’Université d’Oxford, ayant eu dernièrement le projet de publier une nouvelle édition
du Lexique de Constantin , avait chargé le révérend docteur Cramer, principal du collège
de New-Inn-Hall, dans la même ville, de recueillir pour cet objet tous les mots nouveaux et
toutes les acceptions nouvelles que renferme le Thésaurus publié par Valp y, et d’y joindre
ce que la lecture des ouvrages de philologie les plus récents et ses propres observations pourraient
lui offrir d’utile à ce but. Mais aussitôt que cette célèbre université a eu connaissance
de l’entreprise qui se faisait à Paris dans les mêmes vues, elle a renoncé à son dessein, et
M. le docteur Cramer, qui a donné avis de ce fait aux éditeurs français, leur annonce en
même temps qu’il ne doute point que l’Université d’Oxford ne s’empresse de mettre à leur
disposition tous les matériaux qu’elle possède, pour contribuer à en enrichir leur immense
dépôt des richesses de la langue grecque.
D’un autre côté, M. Passow, savant professeur de philologie à Breslau, écrit aussi aux mêmes
éditeurs qu’il vient d’être chargé par M. le baron d’Altenstein, Ministre de l’Instruction publique
à Berlin, de lui faire un rapport sur leur première livraison, afin de leur faire accorder ( s’il y a
lieu) un privilège, et de faire prendre par le gouvernement un certain nombre d’exemplaires
pour les bibliothèques du royaume. M. Passow, dont l’érudition et les importants travaux en
lexicographie sont connus dans toute l’Europe, n’a cessé de témoigner, en toute circonstance,
l’intérêt le plus vif pour le succès de cette grande entreprise, et il exprime, dans la lettre que
je viens de mentionner, l’entière satisfaction que lui a donnée la lecture de ce qui en a été
publié jusqu’ici.
Enfin, presque tous les princes souverains de l’Allemagne, sur le témoignage favorable que
leur en ont rendu les hommes les plus capables de juger cette même entreprise, se sont prêtés
à lui accorder un privilège dans leurs divers états.
La Commission de l’Académie ne pouvait, au reste, qu’avoir d’avance l’opinion la plus
avantageuse d’un travail dont les éditeurs et les collaborateurs présentaient toutes les garanties
de zèle, de science et de sagacité. Nous savons tous avec quelle ardeur infatigable, avec quelle
constance et quel dévouement notre confrère, M. Hase, qui a la principale surveillance de
l’exécution de ce grand travail, y consacre tous ses moments. Nous n’ignorons pas davantage
quel fonds d’érudition aussi étendue que variée, quel jugement solide et mûri par la réflexion,
quel goût de la saine littérature il était capable, d’y porter. L’on devait donc s’attendre que les
premiers fruits de tant de soins et de peines justifieraient, comme ils l’ont fait, l’opinion
avantageuse qu’on était autorisé à en concevoir.
Maintenant il suffit de eonsidérer l’immense amas de matériaux que les éditeurs ont dû
s’occuper de recueillir, le nombre considérable d’éditions rares et coûteuses, de lexiques,
d’ouvrages de grammaire, de critique et de philologie, qu’ils ont dû mettre à la disposition de
leurs savants et laborieux collaborateurs, pour comprendre que les frais de l’impression et du
papier indispensables pour cette vaste publication ne sont qu’une partie, peut-être la moins
considérable, des avances qu’elle exige.
Dans les circonstances difficiles, et, puisqu’il faut le dire, réellement désastreuses, où se
trouvent aujourd’hui le commerce et l’industrie dans presque tous les états de l’Europe, peut-
on raisonnablement espérer que la fortune de deux particuliers, qui ont nécessairement d’autres
entreprises-à suivre, et un grand établissement à soutenir, puisse suffire à l’accomplissement de
celle dont nous venons de signaler l’importance et l’incontestable utilité? Peut-on du moins se
flatter qu’elle n’éprouvera pas des délais ou des retards plus ou moins prolongés, et qui seraient
un dommage non moins fâcheux pour les hommes studieux, appelés à en recueillir les fruits, que
pour les entrepreneurs eux-mêmes? C’est ce qui paraît bien difficile, pour ne pas dire impossible.
"Votre commission, Messieurs, a donc pensé que l’Académie regarderait sans doute comme
un devoir de recommander l’entreprise de MM. Didot à l’intérêt et à la bienveillance de M. le
Ministre du Commerce et des Travaux publics. Ce Ministre paraît avoir jugé lui-même tout ce
que la nouvelle publication du T r é s o r d e l a L a n g u e g r e c q u e , tel qu’il a été conçu et
annoncé, pouvait avoir d’heureuse influence sur le progrès des sciences, de la saine littérature
et de la philosophie, puisqu’il a provoqué le jugement de l’Académie sur cette première
livraison. Il est donc à présumer qu’il consentira volontiers à favoriser l’exécution de l’ouvrage
entier par tous les moyens, qui seront en son pouvoir; et il y sera sans doute d’autant plus
disposé, qu’outre les caractères d’utilité publique que présente cette importante publication,
elle annonce dans ses auteurs un noble et rare désintéressement, et des citoyens bien plus
vivement touchés de la gloire nationale que de leur intérêt propre.
En effet , Messieurs , un rapprochement fort naturel se présentait ici de lui-même à l’esprit
des membres de votre Commission, comme il s’est sûrement offert à votre pensée, et il;est si
honorable pour notre patrie, qu’il constitue à lui seul un puissant motif à l’appui du voeu que
nous venons d’émettre. S’il est vrai que ce sera à jamais une chose glorieuse pour la France
que la composition et la publication du Thésaurus Linguce grcecce par l’un de ses plus savants
et plus habiles typographes, par cet H. Estienne qu’elle s’honore de compter parmi tant de
noms illustres qui brillent dans ses fastes littéraires ; si l’immense utilité de ce grand ouvrage
a été reconnue et proclamée de Siècle en siècle, depuis son apparition, par les érudits de
toutes les nations, sera-t-il moins honorable pour notre pays d’y voir encore une fois une
famille d’illustres typographes, recommandables par la plus grande habileté dans leur art, par
les progrès qu’il doit à leurs talents et à la constance de leurs travaux, distingués aussi par leur
instruction et leur mérite littéraire, reproduire ce chef-d’oeuvre de H. Estienne, enrichi d’une
foule de matériaux précieux, et porté enfin, pour la forme comme pour le fonds, au degré de
perfection qu’exige l’état actuel de nos progrès dans ce genre de connaissances ?
Ajoutons une dernière observation, propre peut-être à prévenir des objections qui pourraient
n’être pas sans valeur aux yeux des partisans d’une sévère économie dans l’emploi des deniers
publics, sentiment toujours respectable, parce qu’il est l’effet d’un sincère amour de la justice
et d’un véritable patriotisme.
S i, par exemple, M. le Ministre du Commerce et des Travaux publics jugeait convenable de
souscrire, aux frais du Gouvernement, pour un nombre d’exemplaires suffisant pour faciliter
en effet et accélérer autant que possible l’achèvement de l’ouvrage entrepris par MM. Didot,
nous ne doutons point que ces exemplaires, répandus dans les bibliothèques publiques et dans
les principaux établissements d’instruction littéraire dont le Gouvernement a la surveillance ou
la direction, ne fussent extrêmement utiles aux maîtres et aux élèves les plus avancés, qui
seraient ainsi à portée .d’y puiser de précieux secours pour leurs études. Par ce moyen, la
connaissance approfondie de la plus belle des langues et des littératures se propagerait avec plus
de „rapidité et d’étendue. Ainsi le Gouvernement obtiendrait d’heureux résultats de sa sollicitude
pour le progrès de ce genre de connaissances, et rendrait au public d’importants services,
propres à le dédommager des sommes qu’il aurait avancées.
CONCLUSION.
Résumant donc en peu de mots, et rapprochant les principales idées de ce rapport, dont
la longueur paraîtra peut-être à l’Académie pouvoir être excusée par l’intérêt de la question
qui lui était soumise, nous dirons que l’édition anglaise du Thésaurus Linguce grcecce, qui
renferme sans doute d’immenses et utiles additions, outre les inconvénients que nous y avons
déjà signalés, laisse pourtant à désirer, en beaucoup d’endroits, plûs de précision dans les
citations des auteurs, qu’elle reproduit un grand nombre de notes tirées des Adversaria
d’hommes fort habiles, mais qui n’avaient pas eu besoin d’en indiquer le but et l’intention,
en sorte que leur utilité devient ici presque nulle, que cette édition enfin, malgré les justes et
honorables éloges qu’elle a reçus de toutes parts, est plutôt une vaste collection de matériaux