
lient* Les uns repréfentoient donc la maifon ou
la boutique paternelles ; les autres leurs animaux
domeftiques, la taverne où ils alloient prendre
quelque diflipation ; ils copioient les fcènes dont
ils y étoient témoins, & les plus piquantes à leurs
yeux étoient celles où les pallions avoient le caractère
frappant des moeurs que j’ai défignées.
Leurs tableaux offrent en conféquence des noces
, des fêtes ou des foires de V illage , des orgies
, des intérieurs de ménage, & les Aéteurs dont
ils ont peuplé ces fcènes , expriment la joie naïve
, l’amour, la jaloufie & la colère, prefque
fans aucune nuance de civilifation , ou exaltées
par des liqueurs d’une fermentation lourde,. ou
participant de l ’ivrefTe : ils peignoient enfin la
Nature dans l’état où elle s’offroit le plus fréquemment
à leurs regards.
Au refie, ces mêmes Artifies, patiens dans leurs
travaux, propres dans leurs opérations, excellens
copiftes des formes , des caradères qu’ils ne le don-
noient pas toujours la peine de choifir & de la couleur
qui eft toujours belle , lorfqu’on l’imite bien,
étoient peut-être loin de penfèr que leurs tableaux
, tranfportés avec profufion chez une Nation
qui le pique de délicateffe de goût, devien-
droient en même temps l’objet d’une admiration
poulfée à l’excès, relativement à la perfedion de
l ’A r t , & l’objet d’une orgueilleufè dérifîon, relativement
aux moeurs , ils ne pouvoient guère en
effet avoir l’idée’ de ces hômmes riches & voluptueux
qui dévoient un jour regarder ces tableaux
comme objets de lu xe , & qui, d’après ce même
lu x e , dévoient .comparer leurs palais avec des
intérieurs qu’ils regardent comme bas , louvent
parce qu’ils en redoutent le fouvenir, leurs ha-
billemens recherchés avec les vêtemens négligés
des Villageois qui vivoient, il y a un fiècle,
dans un pays uniquement voué à l’induftrie ;
enfin, leurs pallions polies, avec celles qui cé-
doient fans effort aux mouvemens de la Nature.
Ce qu’on a droit de reprocher plus juftement à
quelques-uns de ces célèbres Artifies, c’efi qu’ils
fembloient Ce plaire à charger avec une forte
d’aflèdation , ou à imiter au halard une fîmplicité
groflïère. L e choix qu’ils fâvoient fi bien faire
des plus piquans effets du jour, d’un fîte plus
heureux qu’un autre , d’un arbre, d’une vache ,
d’un afped agréable, devoit naturellement s’étendre
à l’expreflïon & aux caradères, & les empêcher
de défigurer & de dégrader trop l’efpèce
humaine dont ils faifoient partie.
Mais on peut obfèrver que l’imitation de l’ex-
preflion conduit plus facilement à l’exagération
que l’imitation de la Nature inanimée*
En tout, ces A rtifies, fi efiimables à plufieurs
égards, étoient fi loin du beau id éal, qu’ils font
excufàbles ; mais les nôtres devroient s’écarter plus
qu’ils ne le font de ce qui les entoure, pour fè
rapprocher de la Nature fimple. 11 exifte un jufie milieu ? perfedion de tous les
temps & de tous les pays , qui e f l, pour la perfedion
des Arts , ce que la fimple raifon efi pour
le bonheur des hommes.
Jeunes Élèves, vous direz fans doute que ces
réfléxions vous inftruifènt moins que celles qui
s’appliquent plus eflentiellement à l’Art que vous
étudiez. Eh bien ! lifez celles qui fuivent avec
plus d’attention , quoiqu’elles aient encore quel-,
que teinte de moralité.
Si vous peignez habituellement dans l’état de
civilifation où vous êtes , des objets b a s } on fera
en droit de penfèr que votre ame y eft tellement
entraînée, que ce caradère lui appartient plus
qu’aux objets que vous repréfentez. ’■?
Si vous ne vous y laiflèz aller que par cîr-
conftance, craignez d’en contrader l’habitude.
Si les objets que nous rencontrons trop louvent
& les hommes que nous voyons habituellement
influent fur nous au 'point de nous dénaturer ,
jugez de l’afcendant d’une occupation méditée &
fixée à des objets b a s , ignobles 8c v ils. \
L ’habitude du grand, du noble , de ce qui efi
é le v é , peut bien quelquefois égarer, en corrdui-
fànt le talent à l’exagéré & l’efprit à l’orgueil ;
mais , prix pour p rix , ce- genre d’égarement efi
plus excufable que l’autre.
Et quant à la puifïànce de l’habitude , l’homme
qui lève trop fouvent fa tête, peut choquer les
fèmblables par un air de domination ; mais-celui
qui fe faille aller & s’abandonne, finit par ramper
, & devient alors méprifable ou ridicule.
B A T A IL L E , ( fubft. fém. ) Il fèroit à propos
que la ledure de l’article Genre précédât celui-ci.
L a tranfpofition dans l’ordre des idées, inévitable'
par l’ordre des lettres , eft un inconvénient
attaché à la forme de Didionnaire ; auflï cette
forme d’ouvrage n’eft-elle pas farts doute la plus
parfaite ; mais elle convient mieux que toute autre
au plus grand nombre, & dansTe defïein de
répandre les noti'ons des Sciences & des Arts , àu
rifque qu’elles ne foiént pas parfaitement métho-
diqués , on peut avoir raifon de préférer aujourd’hui
fur-tout une çoliedion d’articles à des traités
complets , dont l’importance devient trop im-
pofante même pour le grand nombre des hommes.
Peindre des batailles eft regardé dans l’Art
dont il eft-ici queftion, comme un genre particulier*
Il feroit .peut-être difficile d’en donner
de bien félidés raifbns.
Que repréfente, en effet , le tableau qu’on
appelle tableau de bataille ? dés hommes en
mouvement, des adions, des paflions, des caractères.
Ces objets font précifément ceux dont s’occupe
le Peintre d’Hiftoire. En effet, la fo rce ,
l’adrefle, la valeur, l’intrépidité , le mépris de la
mort, celui de la douleur plus difficile encore,
la générofité qui pardonne , la réfignation qui fe
déyoue & la patiençe courageufe qui fouffre fans
le plaindre ; enfin, une infinité de mouvemens ,
qui élèvent l’homme au-deffus de lui-même , fe
rencontrent dans les circonftances qu’occafîonnent
des combats, & ces mouvemens, ces expreffions,
ces adions appartiennent fpécialement aux PemT
très d’Hiftoire. Les batailles d’Alexandre, celles
de Conftantin ont offert à des Peintres d’Hiftoire
célèbres ces richeffes fi favorables à leur Art.
On croiroit volontiers que c’eft la vanité des
Princes belliqueux qui auroit créé cette dalle ou
ce genre, & qui auroit deftiné des Artifies à ne
s’occuper exclufivement que de peindre ces combats
& ces vidoires, objets exclufifs de leur penchant.
Si , pour le malheur des hommes , tous les
Princes fe livroïent à cette fureur meurtrière ,
il y a apparence que les Peintres de batailles fe-
roient les premiers Peintres de toutes les cours.
& les plus récoinpenfés des Artifies, commé les
Flatteurs font les plus favorifés des Courtifans.
Voyons cependant fi le genre des batailles
mérite de s’approprier exclufivement tous les travaux
d’un Artifte. Ce dévouement pourroit être
autorifé fi les Artifies qui embrafferoient ce genre
fe dévouoient à aller faire , d’après, nature, les
études néceffaires ; mais ’on peut penfer que cette
condition périileufe réduiroit les Peintres de batailles
à un auflî petit nombre que feroit celui
des Rois conquérans •& guerroyeurs , s’ils'-étaient
obligés de fe battre personnellement les uns contre
les autres.
C’eft à l’aide du fècours , plus facile & moins
dangereux de l’imagination, que prefque tous
les Peintres de batailles fe forment, & par-là,
on doit penfer qu’ils font prefque tous Peintres
de pratique. Cependant, cette affertion n’eft pas
exclufive. Il a exifté & il exifte encore des Peintres
de ce genre , qui ont fait leurs études d’après
nature", qui ont deflxné des fcènes fànglantes dans
îefquelles, par é tat, ils fè trouvoient Adeurs *.
On peut obfèrver, en général, que les repré-.
fentations de ces fcènes ne fèmblent plaire qu’en
raifon de l’horreur qu’elles excitent, parce que
les hommes ont du plaifir à être remués par des
Objets extraordinaires & des accidens ou des cir-
' confiances périlleufes, fur-tout lorfqu’ils- n’y font
pas expofes. D’ailleurs les fpedateurs de ces fcènes
pittorefques , auflï peu inftruits la plupart que
les Artifies qui les peignent, veulent principalement
voir du fan g ver fé par torrens , pour me
fervir de Fexpreflïon des Poètes : ils veulent des
mouvemens d’une violence extrême, des bleffures
affreufès, des chûtes, des expreffions convulfîves,
des cruautés , des barbaries , dés frayeurs, des
intrépidités incroyables, comme elles le font dans
les récits des Poètes & dans les Romans de Chevalerie.
Les curieux de ces fortes d’ouvrages,
* M. le Paon.
B eau x -A rts . Tome &
devenus Héros à peu de frais * ne trouvent jamais
les périls qu’on leur peint aflèz grands , & de
leur côté , les Peintres, qui n’ont pas vu feulement
une efcarmouche, s’excitent à renchérir
fur les defîrs de leurs Amateurs , & exagèrent
tellement les adions, les mouvemens, les ex-»
preflîons , qu’ils déboîtent les membres & eftro-
pien t leurs combattans avant qu’ils foient frappés,
ou qu’ils ayent éprouvé la moindre chûte.
Dans un grand nombre de .tableaux de bataille
, les chevaux ne font pas mieux traités que
ceux qui s’en fervent ; les victorieux n’ont guère
plus d’avantage que les vaincus , & la plupart
pourroient être réformés ou mériteroient les Invalides,
ayant que d’avoir combattu.
L a couleur la touche ne font pas à l’abri
du chimérique qui règne- allez ordinairement
dans ce genre.
Les combats, repréfèntés par Raphaël, Jules
Romain , L e Brun, font plus conformes aux.
grands principes dont on ne doit s’écarter
dans aucun genre & fous aucun prétexte. On
: voit dans ces grandes compofitions, ainfî que
dans les Triomphes\qu’ils ont peints, des difpo-
! fîtions fag es, quoique les détails foient pleins
de feu j des mouvemens vrais & vraifemblables ,
quoique violens & animés; Une couleur qui peut
bien & qui doit même être altérée par la pou£
fière & la fumée ; mais qui conferve & rappelle
la vérité des teintes locales.
En rendant jufiice à ces belles compofitions ,
on doit cependant avouer que quelquefois la
fougue d’un Artifte peut plaire au Spedateur
qui n’a pas de connoiflànces approfondies, qui
d’ailleurs fè prête aux efpèces de conventions
établies & court au-devant des émotions, en
regardant un tableau de bataille ;; ce tableau,
quoique peu conforme à l’exaéte vérité, rappelle
des idées de valeur & de force de douleur 8c
d’istrépidité.
Mais lorfqu’il s.’ag.it de prendre les interets
d’un des plus beaux Arts qu’ayent inventé les
hommes,. on doit dire que ces grandes fcènes
& ces grandes paflions demandent pour être
repréfentées les plus grands talens- & les lumiè^-
res artielles les plus étendues ; & qu’au fond,,
quelques détails, quelques accidens malheureux,
de ces fapguinaires Tragédies font aflèz peu
intérefiâàs, lorfqu’ils n’offrent qu’un petit nom-
: bre des- beautés ou des perfèéfrons qu’on a droit
d’exiger de la Peinture.
Auflî voit-on que les tableaux, qui repréfèntent
quelques Houzards occupés à fè mafîacrer , ou-
: vrages qui fèmblent la plupart imités, les uns
des autres, ne font admis qu’en très-petit nombre
dans les Colledions ; & ce qui. apprécie encore
plus exaéfement leur mérite ,. c’eft qu’il en eft
bien peu qui puiffent fèrvir d’études vraiment
utiles aux jeunes Artifies.
Vous, Artifies ou Amateurs, qu’enthoufîafnie
H