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mais on ne peut lu i . refufer les éloges dûs à
les talens dans la gravure, à fes compofitions in-
génieufes, & même à une certaine grâce que
ne pouvoit détruire fa manière fauvage. A le
conlidérer feulement comme g raveur, on trouvera
fans doute de la bizarrerie dans fes tailles,
une affectation trop marquée de le montrer adroit
bu riniffe , un défaut d’accord dans les effets,
& trop de négligence ou d’ ignorance du clair-
obfcur : mais avec tant de defauts, dont quelques
uns lui font communs avec fes contemporains
, aucun d’ eux ne lui peut être comparé,
i l femble que la nature lui avoit prodigué l’ avantage
de pouvoir changer à fon gré le caraétère
de fes travaux. En général fa gravure e ff large
8c fes tailles ont une affectation de hardieffe :
mais quelquefois fes travaux plus ferrés con-
du.'fent à un repos plus tranquille , à une couleur
plus piquante & plus vraie. On connoît
de lui des eftampes où toutes les taillés ont
du mouvement fans qu’aucune foit contournée
d’une manière bizarre, où les têtes font animées
par des touches fpirituelies & fav an te s,
où les travaux fins & les travaux mâles, également
bien placés, concourent à donner le
vrai caraClère aux objets qu’ ils repréfentent.
On fait avec quelle adrefle il trompa les amateurs
de fon temps en imitant dans le deflin &
dans la gravure Albert Durer & Lucas de
Le yd e . Une de ces eftampes, qu’ il avoit eu la
précaution d’enfumer, fut payée chèrement
parce qu’ on la prit pour une pièce inconnue
d’Albert. Ce font ces imitations qu’ on? appelle
le s chefs - d'oeuvre de Goltzius , non qu’ elles
foient en effet fes meilleurs ouvrages, mais
parce qu'elles contribuèrent fu r-to ut à affurer
fa réputation. I l en eft de lui comme de plu
fieurs autres artiftes ; ce ne font pas fes plus
belles eftampes qui font portées au plus haut
prix. On n’ ignore pas que les amateurs continuent
de mettre des prix exorbitans aux ouvrages
qui leur ont été une fois vantés, & ce
font ordinairement ceux qui ont commencé la
réputation de leurs auteurs.
Goltzius commença à peindre à l’âge de quarante
deux ans : il a fait des portraits & des
tableaux d’ hiftoire. On connoît par fés eftampes
fa manière de defliner le nud ; on dit que
fa couleur eft vraie.
I l a eu la patience de faire à la plume dès
deflins dont les figures font grandes comme
nature. Sa plume eft large & moëlleufe, &
fes deflins n’ont point la féchereffe ni la peti-
teffe de manière qu’ on pourroit attendre de ce
procédé. J ’en ai %u un aux falles de l’académie
des beaux-arts de Saint-Petersbourg.
Corneille Cort & Auguftin Carrache avoient
donné plus de largeur aux travaux de la gravure
, oc Goltzius leur donna plus de mouver
mens. I l fie d’habiles élèyes -, Ja cques Mathan
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fon gendte, furpaffé par fon fils Théodore,
Ja cques de Gh ein, Je a n Saenredam, Jean
Muller. Nous nous arrêterons au dernier, parce
qu’il eut une manière qui lui fut propre.
0 7 ) Jea n Müller , Hollandois , eft peut-
être le graveur qui à manié le burin avec le :
plus de hardieffe. Il méritera toujours d’être-'
étudié par les artiftes qui alpirëront à fe distinguer
dans cette partie-, mais il faudra qu’ ils*
tempèrent par le goût l’ excès d’audaeê qu’ il
eft capable d’ infpirer. Jamais on ne pofsèda-
mieux le métier dé la gravure -, il eft impof-'
fible de couper le cuivre avec plus d’ aifance,
& très-difficile d’ employer moins de travaux
pour rendre les différèns objets. On eft étonné*
de voir avec quelle adrefle il oblige une même'
taille à lui fervir de première ou de fécondé:
pour rendre une figure entière. I l fait* très-ra-^
rement ufage d’ une troifième ta ille , & ce n’ efl:
jamais que dans une partie de peu d’étendue
& qu’ il a voulu facriner. Avec cette fa van te?'
économie , on ne lui peut reprocher ni moite-'
tonie dans l’ effet général, ni uniformité dans l a ’
manoeuvre : tous fes plans font artiftemenc va riés
de travail 8c de ton. I l étoit favant defli-
nateur, & n’àuroit pu , fans cette qualité , par-'
venir au procédé dont il faifoit ufage : mais on.
Lui reproche juftement de la manière dans les
extrémités, & il a beaucoup gravé d’ après Bar-*
tholomée Sprangers , peintre manière lui-même.
Comme il ne faifoit pas d’ ufages de points pour'
empâter , & qu’il s’obftinoit à n’ employer que
les deux mêmes tailles pour une figure entière.,-
il leur arrivoit fouvent de former enfemble des
lozanges outrés , d’ où réfulte un grain défagréa-'
ble à l’oeil que les graveurs comparent au dos~
de maquereau.
(a8 ) Autant il étonnôit par'la fierté de fe s -
travaux, autant Jérôme Wierx ou Wierix ,
plaifoit par la fineffe des fiens. I l excelloit dans
le petit, mais fouvent il dévenoit fec dans le
grand. Le payfage & les fabriques de fon baptême
dé Jéfus-Chrift, eftampe qu’ il a gravée1
en 1585 , font d’un très-bon goû t, 8c l ’on peut
remarquer , que contre l’ ufage de fôn temps '
il y a fait entrer de l’ eau-forte. Scs- tons dans
les chairs- étôient fouvent de la plus aimable
douceur. I l a quelquefois gravé d’ une manière
fort approchante de celle de Corneille Cort.
Jérôme Wierx , 8c fes deux frères Antoine 8c
Jean étoient des Pays-Bas.
(x$>) Nicolas de B ruyn , natif d’Anvers, étoit
leur contemporain , & fembloit l’être plutôt de
Lucas de Leydé qu’il prenoit pour modèle -, il
a même gravé d’après cet artifte gothique quelques
fujets d’ hiftoire , mais il gravoit plus fouvent
d’après fes propres deflins. On a de lui des
compofitions d un très-grand nombre de figures 5
elles font remarquables par la vérité & la variété
des têtes. Ses agencemefts, fon cara&èrc
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de deflin tien n en t du g o th iq u e p erfea io n n é. Sa
•gravure peut être comparée à celle dA lb e rt-
D u rp r ou p lutôt de Lucas de Leyde , mais fans
en avoir le mérite 5 ce qii’il im ita it de ces anciens
maîtres , c’étoit fu r-to u t la féchereffe : il
n ’avoit d’ailleurs aucune idée du clair-oblcur
n i de l’harmonie. Mais fouvent fes figures &
le u rs ajuftemens ne manquent pas d’une c e rta
in e grâce , 8c l’on trouve chez lu i des têtes
..de femmes qui ont de la beauté.
-Les François ont reçu affez ta rd la -gravure.
Le premier qui l’a it exercée eft Jean D u v e t ,
.n atif de Langres q u i trav aiilo it à Paris vers
jy « o . On cite encore les noms d’un N o ë l Garait
er 8c d’un (30) Etienne de L'aulne. Mais Léonard Gaultier mérite d etre
idiftingué pour avoir gravé le jugement dernier
de Michel-Ange., d’un burin encore plus fin &
.plus net que celui de Martin Rota : d’ailleurs
•fon eftampe paroît ri’ être qu’ une copie de c e lle
du graveur Dalmate.
C et artifte trav aiilo it vers le commencement
.-du .dix-feptième .fiècle. C’eft .a cette -epoque
?q u e la gravure à l’e a u -fo rte , jufqu’alors allez -
mégligée , dev in t d’abord l’amufement d e p lu -
>fieurs artiftes, & fit enfuite la g lo ire de .plusieurs.
(21) Lanfranc , célèbre par fes ta lens dans
l a peinture , n’eft pas un de ceux cjui o n t marin
é la pointe avec le plus de fucces.
(32,) Mais .Corneille Schut , né à Anvers en
5 5 9 0 , & mort dans la même v ille en 1676 a
-gravé d’après -fés compofitions des eaux-fortes
ju ftem e n t recherchées. Peu de peintres ont pu
fe vanter d’avoir une pointe plus fpiritueHe &
.plus ragoûtante. I l étoit en même-temps peintre
ihabile 8c poète eftimé. I l aimoit la grande mac
h in e de la peinture & ce qii’on peut nommer
m peinture d’apparat.
‘ ,(33) François P é r ie r , n é -à Mâcon en 1590 , :i8c mort en .1660 re çu t-à Rome des leçons de
U an fran c , & fe diftmgua dans la peinture. Il
sl gravé à I’eau-fortë un grand nombre de fta-
-tues & de bas-reliefs a n tiq u e s -, mais ïl en fait
feu lem en t counoître l’a ttitu d e 8c le mouvement.
Sa coile&ion feroit plus u tile s’il fe -fût attaché
.davantage à exprimer le deflin & le caraétere
■des chefs-d’oeuvre qu’il gravoit. L’antique &
le s grands maîtres dans l’a rt du deflin doivent
ê tre copiés avec la plus grande precifion, la
plus exaéle fidélité , j’oferois même d ire avec
•une foumifllon fervlle , car il n’y a pas de honte
a fe ren d re efclàve de tels maîtres.
(34) L’e a u -fo rte n’avoit encore occupé que
le s inftans de loifir des pein tres-, Ja cques C al-
io t fe confacra tout entier a c e genre de g ravure.
C’étoit un gentilhomme L o rrain , ne a
N an cy en 1393. I l s’échappa de la maifon pate
rn e lle & fit le voyage de Rome pour fe livrer
fans obftacle à fon goût pour le deflin. I l
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■ paffa de Rome à Florence pour y continuer fes
.'études. Le goût qui regnoit dans cette patrie
de Michel - Ange étoit trop chargé. C ell: un
vice dans le g rand, c’ eft une vertu dans le
petit où les formes prendraient un caraftère
de froideur fl on ne leur donnoic pas une certaine
charge en les réduifant. Ainii le vice de
l’école Florentine devenoit une manière propre
au genre auquel le jeune Callot étoit appelle
par la nature. I l fut honoré des bienfaits du
Grand D u c , & ne retourna dans fa patrie qu a
la mort de.ee Prince. Le Duc Henri, qui regnoit
alors en Lorraine, accueillit fes talens 8c lui fit
éprouver fa générofité.
Tout le inonde connoît au moins quelques
I ouvrages de C allo t, & l’ on fait quel efprit.il
I mettoit dans fes compofitions. Si l’ on veut le
conlidérer feulement comme g ra v eu r , on lui
trouverale plus grand talent pour traiter de fort
petites figures , & l’on s’ appercevra que fes
travaux prennent une certaine pelanteur, &
perdent quelque chofe du goût & de l’ efprit
qui diftinguent ce maître quand il paffe à une
plus grande proportion. Les graveurs a 1 eau-
forte couvrent ordinairement leur cuivre d’un
vernis mou comme de la poix & qui cede ai-
fément au tranchant de la pointe. On dit que
Callot employa le premier le vernis dur des
luthiers que les Italiens nomment vernic egrofo
de’ ügnaiuàli. I l réfifte à la pointe, & en
même-temps il la contient i on peut même Te-
paffer plusieurs fois fur la même taille & lui
donner de la profondeur. Audi Callot donna-
t-il à fes tailles la fermeté de celles au burin ,
au lieu de leur prêter l’agréable badinage qui
fait le charme de la pointe. I l n’ a point obtenu
à cet égard les applaudiffemens de la poftérité ,
& les connoiffeurs préféreront toujours à fes
travaux un peu compaffés la ragoûtante négligence
de la Belle. Les deflins de Callot font
recherchés ; on y trouve encore plus d’ efprit
que dans fa gravure. I l ri’étoit pas facile à fe
-contenter lui-même dans fes ouvrages capitaux ,
& l’on fait qu’ il a fait au moins quatre deffini.
arrêtés de la tentation de Saint-Antoine avant
de graver ce fujet. Cette eftampe, celle de la
grande rue de N an c y , fes foires , fes fupplices ,
fes misères de la guerre, fa grande & 1a petite
paffion , fon parterre, fon éventail, l’ont regardés
comme fes chefs - d’oeuvre. Ses talens lui
ont fait la plus grande réputation ; il n’ en mérite
pas moins par fon courage. I l eut la gloire
de rélifter à Louis X I I I , ou plutôt au Cardinal
de Richelieu à qui rien ne réfiftoit. Les
François ayant pris en 1331 la v ille de Nancy
l'ur le Duc de Lorraine , iouverain de C allo t,
le roi ou fon miniftre voulut qu’ il g ravît cette
conquête comme il avoit déjà gravé la prife de
| la Rochelle : mais l’art-ifte refttfa de confacrer
1 par fes talens l’humiliation de fon Prince , &