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C O N
S U R
F É R E N C E
L A L U M I È R E .
Lue pour la première fois , par J.
Royale de Peinture &
H. B o u r d o N 9 dans VAffemblée de VAcadémie
de Sculpture, tenue le ÿ Février 16*6^.
M E S' S I E U R s ,
Les remarques que je vous ai communiquées
& que m’ont fourni les deux admirables tableaux
de Carrache & de M. Pouffin, dont je m’étois
chargé de vous faire le rapport, ne vous auront
peut-être pas fatisfaits aufli pleinement que je
l’aurois defîré, & que la matière le comporte.
Vous lavez cependant que je n’ambitionne rien
tant que de vous être agréable ; & pour vous
ën donner des preuves plus eomplettes , je fuis
réfolu , quelques difficultés que j’y envifage, de
me frayer une route différente de celle dans laquelle
vous m’avez vu marcher jufqu’à prêtent.
Au lieu de choifîr, fuivant l’ufage ordinaire,
quelques tableaux du cabinet du Roi, pour fujet
de cette Conférence, ce qui m’abrégeroit bien
du travail, je vous demanderai la permiflion de
revenir fur mes précédentes obfervations. J’ai def*
fein de les étendre , & je fens qu’on le peut.
Je ne vous promets pas de vous donner quelque
choie de complet, mais je tâcherai du moins ,
en vous propofant mes idées, de les rendre de
quelqu’utilité pour la pratiqué' d’un Art qui em-
braffe la nature toute entière, & liir lequel on
ne peut trop réfléchir.
Si mes deux dernières Conférences vous lont
encore prélentes à l’efprit, vous devez vous rap-
psller. que les obfervations quelles renferment
étoient partagées en lîx parties, & que ces ^ obfervations
, relatives à l’examen que je faifbis
de chaque tableau, répondoient a autant dé points
capitaux de la Peinture : la Lumière, la Com-
pclition , le Trait, l’Expreflion, la Couleur &
l’Harmonie. Je ne changerai rien à cette diftri-
butîon : tous ces points, je compte les reprendre
l’un après l’autre, & les difcuter féparément, &
fuivant ce plan, je traiterai de la Lumière dans
ce difeours.
Ce fera de celle qui émane du Soleil & qui
produit le jour ; car pour celle qui, ^ par le Recours
de la flamme , diffipe l’obfcurité, & fait
difparoître les ombres de la nuit, il n’en fera
point queûion, La Lumière dont j’entreprends de
vous parler, change à chaque inflant. En parlant
par difterens degrés, elle éprouve diverfes
modifications , félon que le Soleil darde plus ou
moins vivement les rayons fur les objets qu’il
éclaire, & ce font ces effets que j’ai réfolu d’examiner
& d’approfondir. Je fuivrai la Lumière
dans tous fes paffages-, & je divilerai pour cela
le jour en fîx parties. Je le prendrai au moment
que la lumière ne fait que commencer à poindre ,
qui eft ce qu’on appelle Vaube du jou r. Je ferai
voir enfuite le fbleil le levant, & cetAflre^ devenu
plus brillant, quitter* l’horizon, & après
être parvenu au milieu de fa courfe, defcendre
pour fe coucher & difparoître.
La Lumière qui luit dans ces fix inflans du
jour, varie dans fes effets à Chacun de ces inf»
tans , & à chaque fois, elle prend -un caradère
particulier & diliindif qu’apperçolt aifément quel*
qu’un qui apporte'à fa ctontemplation des yeux
de Peintre. Si après cela., on veut la confîdérer
dans un efprit philofophique , peut-être trouvera
t-on que ces différents modes de la lumière
font autant d’agens qui influent fur l’ame & qui
ï’affedent de mouvemens & de defirs divers, à
propprtion que la lumière accroît ou diminue de
force. •
Je ne fçai fl cette idée vous plaît, mais topte
extraordinaire qu’elle puiffe vous paroitre, loin
de la rejetter, je fuis tenté de vous expofer ce
que les diverfes iînpreflions que la Lumière fait
fur l’ame, me laiffent imaginer. Je vais hafar-
der de vous en tracer le tableau. La Nature
n’efl point encore? animée , lorfque le jour commence
à poindre, & je vois régner de tous côtés
un fîlence profond : ce fera lé lot de cette
première heure du jour. Une douce joie s empare
des efprits au lever du foleil. L’Heure qui
vient enfuite appelle les hommes au travail ; bientôt
les ardeurs brûlantes du Soleil de midi, en
abattant les corps , les invitent à prendre du
repos, des bras duquel ils ne fortent que pour
[ fe livrer le relie de la journée à des plaifîrs tumultueux,
St à ceux-ci fuccèdent les plaiflrs pai-
fibles, qu’on commence à goûter au moment de
la ceffation des travaux & à la chûte du jour.
J e ne fuis pas allez plein de mon opinion, pour
exiger , Me s s i e urs , que cette progreflion
fyftématique d’idées foit adoptée dans toute fon
étendue. J ’avoue qu’elle pèche peut-etre par trop
de Angularité, & je fuis le premier à en recon-
noître le foible ; mais du moins faut-il m accorder
qu’un Peintre jaloux de montrer de l’ efprit & de
mettre du fentiment dans fes productions, peut
& doit en tirer parti, quand cela.ne ferviroit qu’à
lui fuggérer les moyens de diverflfier fouvent les
effets de fes lumières, qu’à lui en mieux faire
fentir le befoin, ainfi que les delâgremens de la
monotonie ennüyeufe que caufent la répétition &
l’emploi trop réitéré' d’une meme efpece de lumière.
. '
Car Voilà ce qui fè paffe tous les jours fous nos
yeux. Un Peintre a-t’il réuffi à bien exprimer un
certain effet de lumière, il s’y complaît, il en
contracte l’habitude Sc il s’en fait une manière ^
laquelle il demeure cônflamment attaché & qu’il
ne quitte plus. Voyez, par exemple, le Baflan,
perfenne n’a mieux peint que luiTaube du jour :
perfbnne aufli ne l’a répétée plus fouvent. 1 1 n efl
pre(qu’aucun de fes tableaux qui ne foit éclairé
d’une lumière naiffante, venant de l’horifon ; &
il en faut convenir, tout précieux que foient fe$
ouvrages, cette répétition y met une forte d’uniformité
qui déplaît. L e Caravage s’eft vu applaudi,
parce qu’avant lu i, aucun Peintre n’àvoit repré-
fenté avec autant de vérité, des lumières qui,
perçant dans des lieux obfcurs & tenebreux , & y
tombant à plomb fur les corps qu’elles y rencontrent
, produifent fur ces objets de grandes ombres
& de grands clairs qui les font paroitre avec une
force , une vigueur & un relief furprdnans ; &
depuis cette acquifltion nuiflble, ce maître appauvri
n’a plus fu peindre des figures en plein air
& n’a pas même cru qu’on le dût faire. A ces
noms illuflres , j’en pourrois joindre d’autres qui
ne feroient pas moins impofans; mais croyez
qu’aucune de ces autorités ne feroit l’excufe des
Artiftes qui, trop peu fur leurs gardes , fe laiffe-
roient emporter à une pratique aufli dangereufe.
L ’erreur pour être couverte d’un grand nom
n’en demeure pas moins une erreur ; & toute uniformité
, toute répétition d’idée eft un vice. Il
accufe dans celui qui s’en rend coupable, une di-
fette & une ftérilité de génie, que ne montrent
point les ouvrages du Titien , ceux des Carraehes
& de leurs favans élèves , & furtout ceux de
M. Pouffin qui, s’il m’eft permis de dire ce que
j’en penfe, a connu & pratiqué les règles^ de fon
a r t , mieux qu’aucun Peintre. On ne voit point
que ces habiles' gens aient époufé un goût & une
manière particulière ; ils fe font remplis de tous
les goûts & de toutes les manières, & n’en ont
imite aucune fervilement. L a nature a ete leur
unique guide : plus il l’ont étudiée , plus ils ont
fait l’expérience qu’elle varîoit perpétuellement
dans fes effets , & à fon exemple , iis fe font pareillement
attachés à diverflfier les effets de la
lumière dans leurs tableaux. Belle leçon pour nos
élèves, q u i, s’ils s’y rendent docile's, leur fer-
vira d’un puiffant préfervatif contre cette pente
naturelle,. ou , pour mieux dire , contre la pareffe
& l’indolence qui nous portent trop volontiers à
imiter, fans y rien mettre du nôtre, ce que nous,
avons yu pratiquer avec fuccès par nos prédé-
ceffeurs & qui, nous empêchant de nous élever,
nous_fait demeurer pour toujours dans une humiliante
médiocrité.
Ne perdons point de v u e , Meilleurs, l’importante
vérité que je Viens de mettre fous vos
yeux. Mais ce n’eft pas affez d’avoir fait connoîtrô
au Peintre qui veut plaire la néceflite de varier
fes lumières, il faut lui montrer encore que la
lumière fait partie du fujet qu’il doit traiter &
que conféquemment il doit, avant toutes choies,
commencer par examiner dans quelle partie du
jour & fous quel ciel la chofe qui conftitue fon
fujet a dû fe paffer. Il ne peut fe refufer de f e ,
conformer à l’tfifloire , fi elle lui prefcrit quelque
chofe d’effentiel & de particulier à cet égard ;
mais fi elle lui laiffe le champ libre, il n’en fera
que plus circonfped & plus attentif à garder les
convenances; il jugera par lui-même de l’heure
; & du moment qui feront les plus propres & les
.plus vraifemblables , ainfi que de l’intérêt que
peut jetter dans fa compofîtipn une lumière pro-
duifant un des effets que je vais parcourir.
L'Aube du jou r•
Je fuppofe qu’un Peintre eût à repréflentec
quelqu’attaque ou quelque furprife de ville , qu’il
eût à exprimer le commencement d’une bataille ,
il pourroît alors faire choix de l’Aube du jo u r ,
parce que c’eft affez ordinairement à cette heure
que fe méditent & s’exécutent ces expéditions.
L a ville de Jéricho, celle de Haï y toutes deux"
forcées par Jofué à la pointe du jour , la fameufe
bataille d’Adium & beaucoup d’autres qui ont
commencé avec le jour, vous diront que le choix
de cette heure eft convenable & ne répugne point
à la vérité. Mais eft-il befoin de fournir au Peintre
qui ne feroit pas encore bien perfuadé , un exemple
dühon effet que produit en ces occafions fur
une multitude de figures qu’il faut démêler &
auxquelles il eft neceflàire d’affigner différens
plans pour éviter trop de confufîon, une lumière
qui frifè la fiirface de la terre & q u i, à peine
fortie de l’horifon , frappe doucement fur les
corps 8c laiffe dans l’ombre ou la demie-teinte
ceux de ces corps qui font interpofés entre elle
& l’oeil du fpedateur ? Qu’il confulte M. le Brun
& qu’il admire le bon emploi que cet habile
| homme a fait de cette lumière, dans le merveilleux