
& pauvre de fens véritable, dans des idées trop t
mîtaphyfiq e s , trop fpirituelles, qüi , pour les
fa ifîr , détachent & éloignent trop 1-Artifté de
fon crayon, de fa palette & de Jfes pinceaux,
le tranfportent trop de fon attelier, dans un cabinet
de philofophe. L e défaut des premières
méthodes des nobles A rts , eft d’etre bornées à
des notions trop fimples, & , fi je l’ofe dire,
trop matérielles ; le défaut des dernières qu’on
cherche à établir , lorfque l’efprit eft plus. généralement
exercé , e"ft l’extrémité oppofee , j
& cette extrémité vicieufe, devient peut-être in-
fenfibleraent plus contraire aux progrès que la
première ; car fi les notions de l’Art à la naiP
lance lont effectivement reftreintes & trop bor- .
nées ; d’un autre côté, les notions fpirituelles deviennent
vagues , & finilfent par embraffer trop
didées étrangères à l’A r t : elles lont ordinairement
le fruit des imitations & de l’imagination
de ceux qui ne pratiquent pas les Arts , & elles
excitent les Artiftes à des efforts & à des contentions
abfiraites , dans lelquelles * ils s’é- ^
garent : ils ne peuvent guère éviter d’y prendre
le goût de ce qu’on appelle Ju b t ilit é s , & le
dégoût de la pratique qu’ils trouvent trop
indocile d’après leur imagination exaltée. On ,
pourroit comparer les Artiftes qui entremêlent
avec une jufte mefure la théorie & la pratique, !
à ces hommes vraiment relpeéfables qui méditent
lur les vertus, fans celfer de les mettre en pratique
, & les Artiftes trop livrés aux théories ,
à ces cénobites, qui ne s’occupoient des vertus
qu’en contemplation ; & fans qu’il en réfultât
d’avantage effedif pour les autres hommes. L e
Poè te , l’Orateur, l’homme de goût, peuvent fe
détacher bien plus aifément du méchanifme des
Arts qu’ils exercent , parce que ce méchanifme
y tient une bien moindre place. L e difcours
familier même, lorfqu’on parle de Poéfîe , d’éloquence
, eft un exercice de l’Art de la parole,
L e s Poètes, les Orateurs, en parlant de poéfie
& d’éloquence, pratiquent ce qui fait l’objet de
leurs méditations ; mais le Peintre, le Sculpteur,
a beau parler de peinture & de fculpture, il laif-
fera toujours des doutes fur fon talent, parce
que le public ne fépare point en général, la pratique
de ces Arts de leur théorie ; & que
les plus beaux difcours des Artiftes , ne
garantiffent pas la capacité réelle de ceux qui les
tiennent. Je fouhaiterois donc que les notions
rédigées fuffent, autant qu’il eft poffible, réduites
à des idées bien claires, bien juftes, & dénuées
de tout ce que les Auteurs ne fë permettent ordinairement
d’y joindre,; que faute deconnoiiïànces
bien fondamentales, ou pour éblouir les ledeurs,
& mériter le titre d’Ecrivains agréables & fpiri
tueïs. L e deflïn, comme partie conftitutive, entraînera
à expliquer ce qui regarde la correâion,
la fin elfe , la beauté des formes , le caradère des
objets , &c.
L a couleur exigera qu’on explique les procédés
par lefquèls l’Art s'efforce, dans cette Partie,
d’imiter la nature , les conventions générales, les
moyens auxquels on eft obligé d’avoir recours ,
pour imiter la lumière & fa privation ; enfin, la
différence qui exifte , & qu’on peut développer,
jufqu’à un certain point, entre le clair-obfcur
& la couleur en elle-même.
L a couleur eft, en général, une de ces parties
dont les élémens font trop multipliés, pour
que l’on puiffe la démontrer : elle a fes relations
avec la nature individuelle , puifque les
objets n’ont pas précifement les mêmes tons de
couleur, dans certains climats que dans d’autres j
que les modifications des couleurs varient fans
eeffe par les accidens de l’a ir, de la lumière ,
par les oppofitions, les rejailliffemens, &c. On
feroit voir, bienpefitivement, que le clair-obfcur
qui fè rapproche de la perfpedive aerienne ,
eft, comme elle , une fcience intelleduellement
pofitive ; mais qu’on ne peut cependant démontrer
rigoureufement, Pour en donner des notions -
il faudroit donc recourir aux exemples ; & mal-
heureufement ces exemples, tirés des ouvrages
des Maîtres qui ont plus profondément étudié &
pratiqué méthodiquement cette partie, ne peuvent
être mis entre les mains de tout le monde ,
comme les inftruéfions dont je parle. Un grand
nombre de tableaux, les plus renommés, font
fixés , immobiles ; & de plus , changent & fe
détériorent, ou par leur nature, ou accidentellement
, de manière que fouvent, après une efpace
de temps, les induftions qu’on croiroit pouvoir
en tirer pour inftruire , ne .fe trouvent plus
juftes. Auffi, comme je l’ai dit, cette partie eft-
elle une de celles dans lefquelies lesj notions,
doivent être le plus méditées , le plus clairement
rendues qu’il eft poffible.
Les Arts, dont il eft queftion dans ce Dictionnaire
, ne feroient pas ce qu’on appelle libéraux,
fi toutes leurs parties conftitutives étoient fou-
mifes à des démonftrations rigoureufes. C’eft par
les parties qui ne peuvent le démontrer, mais
qui fe conçoivent & fè fentent, qu’elles appartiennent
au Génie & an fentiment. C’eft par ces
parties que tout homme ne peut être Architecte ,
comme tout homme pourroit parvenir à être
maçon.
On fent aîfément, fans que je m’étende trop-
fur cette efquiflè du plan d’un ouvrage national
& académique , que les parties relatives aux con-
noiflances acceffoires fèroient au moins auffi confi-
dérables que les parties relatives aux connoiffances
conftitutives, mais qu’il faudroit qu’elles fuffent
toujours traitées d’après le même efprit. Ainfi les
connoifîànces morales des affeCtions & des paffions
des hommes ne feroient pas expo’fées, comme
l’a fait Defcartes : il s’efî occupé de ce que les
paffions opèrent intérieurement, de leur origine,
de leurs effets fpirituels ; le Peintre n’a befoin de
favoir
Avoir que généralement ces principes & cette
marche. Il faut donc la lui indiquer & s’arrêter
principalement à ce qu’elles opèrent fur les apparences
vifibles des corps. Les paffions, fpirituelles
par leur nature, prennent un corps, pour aiflfî
dire, & deviennent matérielles par les expreffions
des traits, par les mouvemens & les lignes que nos
membres en éprouvent. C’eft-là l’objet intéreffant
pour les Artiftes, & fiir lequel ils ont befoin d’être
guidés. L ’Hiftoire, traitée pour leur ufage, de-
manderoit que les Rédacteurs euffent la plus grande
attention à préfenter toujours le plus relativement
à l’art de repréfenter phyfîquement chaque objet,
les faits, les fîtes, les aCtions, les couleurs, les
formes, les ufàges, &c. Les faits font du refîort
immédiat de l’Hiftoire ; les fîtes, du reffort de la
Géographie artielle : car il en eft une qu’on n’a
point encore traitée ; les mouvemens d’où réfui- 1
tent les différentes adions, reffortiffent de l ’Anatomie
& de la pondération; les effets ont pour
bàfe les deux perfpeCtives : les couleurs & les
formes propres des objets appartiennent à la Phy-
fîque , & leurs modifications , à la fcience du
clair-obfcur : enfin, les ufàges qui embrafïent auffi
les conventions , conftituent 3c la fcience du cof-
tume & celle des allégories , des attributs & des
emblèmes. J e ne reprendrai pas chacune de ces
divifîons , mais je dirai qu’elles méritent d’être
traitées avec beaucoup de méthode, & fur-tout
avec une fagaeité qui fâche préfenter chaque
notion la plus féparée des autres qu’il eft poffible,
& fous la forme la plus relative à l’Art ; ce qui
ne peut s’opérer que d’après les vues , les obfer-
vâtions & les inftrudions que les gens de l’Art
ihtelligens & généralement inftruits, auront con-
lîgnés dans le magafîn général, que je fouhaite-
rois qu’on formât.
On y joindroit, en complettant l’ouvrage dont
il feroit la bafe, la notice impartiale des Artiftes
& des. écoles; mais au lieu d’abonder dans c es
notices‘eh détail perfonnel, je voudrois qu’on
s’attachât préférablement J i la marche de l’A r t ,
à fes progrès, aux circonfiances qui y influent,
enfin , à diftingUer les qualités effentielles qui ont
fait la reuffite des Artifles dont on parleroit ;
à faire appercevoir les parties qui leur manquoient,
& l’influence de cette privation fur la perfection
à laquelle ils fe dirigebient; les fiftémes des
Ecoles differentes trouveroient leur place dans
partie de l’ouvrage, & cette portion entraîner
oit les notices & catalogues des productions
de tout genre qui ont été célèbres, en obfer-
vant ceux qui ont péri, ceux qui fe font perdus
, ceux qui fe détruîfent, & offrent déjà des
preuves d’une altération malheureufemeut inévitable
, mais fouvent accélérée., ou par la- faute
des Artiftes v par le mauvais choix & le mauvais
emploi des moyens, ou par la négligence 8c l’ignorance
des poffefFeurs ou dépofitaires des ouvrages
des A rts , C’eft après cette partie que
commenceroit celle où fe trouveroient compris
tous les détails méchaniques , la nature des fîib£
tances dont on fe fe r t, des uftenfiles , des moyens
qu’on employé , l’imperfeCtion d’une partie de
ces objets, les qualités bonnes ou perfectibles de
quelques-uns, les inconvéniens à éviter , les difficultés
qui reftent à furmonter, & les recherches
qui reftent à faire , non-feulement dansles moyens
dont on ufe , mais dans ceux qui conviennent
à toutes les différentes manières d’opérer. Alors
s’ouvriroit une autre carrière à. parcourir , en
traitant de toutes les branches des Arts du deffin ,
tant qu’elles confervent allez de libéral, pour
n’être pas renvoyées à la claffe des métiers. On
entreroit, à l’ocçafîon de cette dernière obfèrva-
tion, même dans ce que les métiers ou profeffions
qu’on regarde comme purement méchaniques , peuvent
admettre, fiiivant les circonftances, d’idées
libérales, qui reffortiffent à l’efprit général de
l*Art.
J e m’arrêterai, parce que eet article devien-
droit enfin trop difproportionné par fon étenduè,
à ceux qui le précèdent & le fuivent; mais je
crois devoir préfenter comme effentiel au mot
dont .il s’a g it, deux exemples de conférences originales
, compofées dans lëfprit des Statuts de
l’Académie de Peinture, lues à fês affemblées ,
8c que je ne crois pas imprimées, elles font l’ouvrage
de MM. Bourdon & Oudry, Artiftes connus
& diftingués. Elles prouveront qu’il n’eft pas
nécefîaire pour faire des conférences utiles, de
s’être exerce dans l ’Art d’écrire , ni d’avoir une
grande étendue de ce qu’on appelle quelquefois
fi mal à- propos génie ; mais que la connoiflànce
raifonnée de l’Art , la clarté d’un bon efprit,
qui eft plein de fon fu je t, & la pureté de fort
intention font le plus fouvent préférables aux
efforts & aux agrémens fi rarement placés ou
mefiirés, qu’infpirent l ’imagination & les préten-i
tions de la vanité.
Beaux-Arts, Tome I, . $