
couleur. Les g raveurs, devenus colorlftes, ne
furent plus réduits à n’ exprimèr que l’ombre &
la lumière : inl'pirés par un grand peintre, ils
furent peintres eux-mêmes ; *
Comme déjà nous avons accordé à quelques-
graveurs la qualité de c o lo rié e s , nous paroi f-
ions nous contredire i c i , en établiffant que les
graveurs de Rubens furent les premiers exprimer
lji couleur : mais la contradiction n’ eft
qu’apparente. Les langues manquent fouvent de
termes pour exprimer les nuances. Nous avons
parlé julqu’ici de la couleur comme d’ une qualité
portée par quelques artiftes à un degré ef-
tima.ble -, nous en parlons ici comme d’ une qualité
portée au plus haut degré de perfection. Une
‘ grande intelligence de la lumière & de l’omhre
peut donner à une eftampe de l ’effet & une
bonne couleur-, mais une eftampe gravée d5après
tin grand eolorifte n’ eft parfaite qu’en exprimant
encore la valeur de la couleur propre.
En obferv.ant feulement le clair-obfcur proprement
dit, & lui donnant la vigueur qu’i l exige
pour produire un grand e ffe t, on rendra bien '
• en gravure un tableau de l’ école Romaine -, mais
fi l’on n’obferye pas encore la valeur des çou-
leurs données par le peintre à chaque o b je t,
on ne rendra qu5imparfaitement un tableau des
écoles Flamande ou Vénitienne.
Nous allons fuivre les graveurs qui ont travaillé
fous les yeux de Rubens & de Van-Dyck,
& qui ont obfèrvé les principes de ces deux
grands maîtres.
** (59) Pierre de J o d ê , furnommé le Jeune pour
le diftin^uer de fon père , naquit à Anvers vers
i6oz. I l a gravé au burin pur avec beaucoup
d’ efprït, de goût & . de fineffe. Les travaux de
fes chairs ont fouvent le ragoût de l ’eau^forte.
On peut lui reprocher quelquefois des tailles
un peu maigres. On trouvera des exemples de
fes qualités louables & de ce défaut dans fon
eftampe d’ après le Saint - Auguftin de Van-
Oick : mais il a gravé d’ après le même peintre
des portraits dans lefqtiels il eft au-deffus de
tout reproche. ' . _ .
• (60) Pierre S o u t m a n , qui floriffoit vers
16 3 0 , a gravé d’après Rubens des eftampes fort
avancées a l’ eau forte. Sa pointe eft maigre-,
chacun de fes travaux a peu de mérite fi on
les confidère en particulier; fouvent même ils
font vicieux : quelquefois ils font en défordre';
quelquefois leur ordre & leur choix femblent
contraires à la théorie de l’art : mais leur ensemble
ragoûtant produit des eftampes qui ne
font pas fans mérite, & qui ont toujours celui
d’ indiquer la molleffe des chairs & le coloris
vigoureux .du maître d’après lequel elles font
faites. I l a gravé au burin pur avec les mêmes
avantages & les mêmes défauts *. mais quelque
genre de gravure qu’il ait choifi, il s’êft toujours
montré peintrev
' (61) Pierre Vaîs-Sompelen , élève de Sout-
man, floriffoit vers 1640. La fineffe de pointe
avec laquelle il a gravé le tableau de Rubens
repréfentant les dilciples d’Emaüs feroit peut-
être dangereufe à imiter, & n’exprime pas la
largeur de pinceau du maître -, mais on ne peut
s’empêcher de l’admirer. Elle produit des tons
fourds, doux & colorés qui donnent à la g ta-,
vure l’avantage du defiin au lavis. Cette eftampe
eft de l’année 1643.
(.62,) J otuis S u y *d e r o e F , autre élève de
Soutman , floriffoit vers le même-temps. Il a
gravé avec fuccès d’après Rubens. Les amateurs
admirent la fineffe de fes travaux -, on pourroit
quelquefois lui en reprocher la petiteffe , quelquefois
aufïi la roideur, & en même - temps la
féchereffe des contours : mais il réparoit ces
défauts par la fermeté de la touche , par la pâte ,
la .couleur 8c l’expreffion. C’eft par-là qu’il
donnera fes .eftampes de la chaleur, quoique
les travaux en foient un peu froids.
(63) Robert V am-V o e r s t , floriffoit vers
1640. On ne peut oublier entre les graveurs
diftingués par leurs talens , & par l’art d’exprimer
la .couleur, celui qui a rendu avec tant
de cara&ère , d’après Van-Dyck , l.es portraits
du Comte de Pembroçk, d’Inigo Jon^s , de
Vouet, & le fien même.
(64) J u c VorsTerman , qui floriffoit vers
1640, fut d’abord élève de Rubens pour la
peinture , & quitta cet art pour fe livrer entièrement
à la gravure. Il gravoit au burin pur,
mais il favoit rendre fon burin pittéreCque, &
il exprimoit tous les objets dans leur'vrai caractère.
On defireroit quelquefois que fes contours
, au lieu d’être féchement annoncés par
un trait, fe trouvaffent fondus avec les objets
qui les environnent, & .qui doivent leur feryir4
de fond. Il femble fur-tout que çe moyen de.-
voit être employé par un graveur qui avoir été
peintre. Mais cet art trouvé par Bloemaert, &
pratiqué par fes imitateurs, étoit encore pèu
connu dans les Pays-bas, & l’on pourroit même
croire qu’il y a été introduit par Vorftermân,
car on le remarque dans quelques-unes de fes
eftampes. Il faut louer én lui la fineffe des travaux
> le caractère & le fentiment des têtes , &
l’efprit du burin qu’il forçoit à propos à imiter
la liberté de l’eau-forte. Quelquefois il réfer.-
voit de larges lumières , 8c avoit l’art d’exprimer
la couleur du peintre , en économifant les
travaux -, d’autres fois il donnoit à fa gravure
toute la vigueur dont elle eft capable. Son eftampe
de l’adoration des Rois , d’aptes Rubens ,
eft un des beaux ouvrages de l’art. On y admire
la variété de manière avec laquelle eft
rendue la multiplicité des objets dont elleeft
eompofée.
Cette variété, recherchée par tous les graveurs
de Rubens avoit été jufques-là trop négligée,
Ki;Kée , ou C l’on en trouve, quelques indicjl- !
nons dans les graveurs preçédens, il faut plutôt
l’attribuer à un heureux inltinâ, qu a un
principefolidement établi. On fent fur-tout que
le grain quarré ,introduit dans la gravure par
Bloemaert, devoît s’oppofer à cette variété fi
îuftement recommandée dans la fuite , & dont
on doit vraifemblablement la première obfer-
vatîon aux conl’eils de Rubens , 8c à la favante
docilité de fes graveurs.
(6s) P aul Pontius ou du P o n t , eleve de
Vorfterman, floriffoit vers i6jo. Il etoit fort
.aimé de Rubens, il travallloit fous fes yeux ,
8c c’eft l’un des graveurs qui femblent avoir
partagé l’âme de ce grand peintre. On connoit,
on admire, on recherche les belles eftampes
on’il a gravées d’après ce maître , & ‘ fur-tout
celle de Tomiris faifant plonger dans un vafô
plein de fang la tête de Cyrus. Il n’a pas
anoins réuffi dans le portrait, 8c fes travaux
font varies comme les caradères des têtes :
c’eft ce que prouvent les portraits du Marquis
de Léganès, du Marquis de Santa Çruz, de
Don Carlos de Colonne, de Henri Steenvick ,
de Rubens , & un grand nombre d’autres , tous
gravés d’après Van-ivyck.
(66) Schelte Bolswest , né en Frife, flo-
riffoit en même-temps que Pontius, 8ç partageoit
avec lui l’amitié de Rubens. Quoiqu’il maniat
le burin avec beaucoup d’affurance & de liberté,
il ne s’occupoit jamais à faire de belles fuites
de tailles brillantes , 8c tâchoit au contraire d i-
- miter le ragoût & le pittorefque de l’eau-forte.
Tous fes foins tendoient à rendre , comme elles
dévoient être rendues, les parties que lui offrott
fon original , à fuivre le mouvement des chairs ,
la forme des o s, les brifur-es des plis, quittant
fans, fcrupule les tailles dès qu’elles ceffoient
de lui convenir ; employant quelquefois des
tailles courtes , 8c des empâtemens de points
dans les chairs, & même dans les draperies,
ne craignant pas pour parvenir à l’effet, de falir
fes travaux , de les confondre, de les contrarier
j>ar des .touches fermes & bien placées*, tendant
toujours plus au pittorefque qu’à ce qu’on
dans un grand nombre d’ eftampes de Bolfwert*
jem’ en tiendrai ici à la Sainte-Cécile. Je n’ examine
nomme la beauté de la gravure, 8c la rendant
toujours d’autant plus belle en effet, qu’il s’oc- 1
cupoit moins d’en ménager la beauté.^ On a
écritque Rubens Ce plaifoit à travailler lui-même
aux planches de ce graveur : c’eft fuppofer que
te peintre étoit très-familier avec le burin ,
.ce qùi eft peu vraifemblable. Les écrivains qui
ont rapporté ce fait, & qui ne connoiffoient pas
,-affez les procédés de l’art, auront entendu dire
apparemment , fans le bien comprendre , que ,
fuivant l’ufage ordinaire des peintres, Rubens
retouchoit au crayon ou au pinceau les épreuves
de Bolfwert, & que ce graveur revenant fur
fes planches, rendoit avec précifion les retouches 1
&\i maître. Ces retouches me fenfil^les Beaux-Arts. loin. H.
pas fi c’ eft la plus belle de ce g ra v eur,
il fuAit pour mon objet qu’ elle foit belle , 8c
d’ un effet très-pittorefque. I l me femble-très-
probable que c’ eft Rubens qui a frappé les-Fortes
touches des fourcils, des y e u x , des narines 8c
de la bouche de la Sainte*, touches hardies, qui
donnent à la tête une vie extraordinaire , &
qui ont obligé le graveur à fouiller profondément
fon cuivre , devenant lui-même a fon tour
plutôt peintre que graveur. On pourroit de même
reconnoître dans les draperies 8c dans les ac-
ceffoires le crayon de Rubens, d’ où font nés des
travaux qui ne femblent pas avoir été prévus
dans la préparation de la planclie. I l lëroit bon
que lesgraveurs, quand ils fefentenc refroidir,
miffent fous leurs yeux de belles eftampes de
Bolfwert & appriffent de lui à rendre leur gravure
moins belle pour la .rendre meilleure. On
dîftingue encre fes ouvrages, la chute de Saint-
Fau l, l’Affomption de la V ie rg e, la vocation de'
Saint-Pierre, la chaffe aux lion s , d’après Ru-
Ibens , le crucifix de V an -D y ck , l’ éducation d*
Jupiter, & la mort d’ Argus d’après Jordaens.
I l a montré dans quelques eftampes , & en-
tr’ autres dans celle de l’ Affompnon , qu’ il étoit
très-habile burinifte, 8c qu’ il lui auroit été facilo
de faire parade de cette qualité s’ il avoit c ,-u
que l’objet de l’ art dût fe borner à la manoeuvre
qui n’ en eft que le moyen.
( 67 ) Guillaume H ondîus floriffoit vers 16 50 ,
l’ un de& meilleurs graveurs qui fe foient formés
dû temps de Rubens, & non moins admi*
râble par l’ art de confer ver le caractère du maître ,
que par la fineffe 8c la belle couleur de fon
burin. Son portrait de François Franck le jeune
eft l’ un des plus beaux qui aient été gravés d!après
Van - Dyck. La tête eft vivante-, une manche
d’étoffe de foie eft rendue avec le plus grand
art & fans aucune affeélation de métier. Ce n’ eft
pas ainfi que l’on grave quand on fe propofe
froidement de faire de belles tailles -, mais c’ e ft
ainfi au’un véritable artifte fe laiffe échauffer
du feu d’ un autre artifte.
( 6 8 ) Hendrick• S n y e r s , contemporain des
derniers graveurs dont nous venons de parler,
a travaillé comme eux d’ après Rubens. Si j ea
puis juger par celles de fes eftampes qui m t
font .connues., il ne peignoit pas avec le burin
aufïï parfaitement que Bolfwert & Pontius, mais
fes travaux font larges & moelleux , 8c il étoic
deffinateur dans la manière flamande.
(69) Pierrre de B a l l iu , graveur d’ Anvers *
vivoit au milieu du dix-feptième ficèle. I l eft
peu recommandable par le choix de fes travaux,
& fes portraits d’ après Van-Dyck font fort in-,
férieurs à ceux des artiftes dont nous venons,
de parler • mais il a quelquefois donné un très*.
bon effet à fes eftampes.. Nous nous conten-
' ' ' ' B bit