
L’étymologie du mot grottefques eft aujourd’
hui fi peu relative au l'ens qu’on lui donne
le plus ordinairement, qu’il eft bon de la rap-
peller.
Des élèves de Raphaël, dit-on, découvrirent,
dans des grottes antiques , desornemens de feue
ou de peinture, d’après lefquels leur maître en
compofa du même genre qui furent appelles
grottefques , relativement aux lieux où l’on en
avoir trouvé des modèles. I l eft allez vraifem-
blabie que l’abus qu’ on a fait de ces ornemens,
fufceptibles d’une infinité de formes chimériques
, y a introduit des figures rid icule s, 8c
qu’alors , on a appel lé des grottefques les figures
que la nature même avoit douées de difformités
rifibles , qu’on imitoit.'L’étymologie s’ eft oubliée
d’autant plus facilement, qu’ elle n’ avoit
point de rapport au caractère de ces fortes de
fio-ares mais le mot adopté dans le dernier
fens dont je viens de parler, a dû influer lur
la corruption du g en re , & ce nom de grottefques
, parvenu à fignifier dans la langue générale
, des objets 8c des figures ridicules , aura
fait penfer aux artiftes peu inftruits & peu réfléchis
, qu’ ils 'ne pouvoient jamais rendre trop
ridicules les objets & les figures dont ils
égayoient leurs orhemens -, mais du ridicule
au bas , & à plus forte raifon , du bas au dégoûtant
, il y a peu de chemin a faire.
On doit concevoir que lorfque les ornemens
dont je parle ont été le plus en vogue, on les
aura fou vent compofés d’apres les délires de
II» l ’ imagination livrée à fes caprices , & d’apres
le s extravagances du mauvais goût.
Ce qui a dû ajouter vraifemblablement à
cette corruption, 'c ’eft que les artiftes diftin-
gués fe croyent autorifés à regarder comme au-
deffous d’eux de peindre ces fortes d’ornemens,
oui ont été abandonnés le plus fouvent à des
artiftes dont les talens étoient fubordonnés.
. Raphaël cependant ne les dédaignoit pas , &
i’ obferverai à cette occafion que , dans les arts
libé rau x , les petits genres ne peuvent fe fou-
tenir qu’ autant que les grands artiftes daignent
s’ en occuper quelquefois ; 8c ils le doivent,
quand ce ne feroit que pour foutenir les droits
du génie & du bon goût, dont ils font dépo-
ficaires 8c défenfeurs. C’ eft , je le répète , du
fort des grands genres que dépend dans les arts
libéraux , le fort des petits, comme, parmi nous,
c’eft des moeurs des grands que dépendent prin-
cioalement les moeurs d’ une nation. La protection
marquée & les encouragemens bien dirigés
doivent être prodigués aux premiers genres,
dans les beaux-arts, comme aux premières
vertus : mais il eft bon que ceux qui pratiquent
les genres nobles avec fucçès , ne fe croyent pas
trop au - deffus des genres moins imp or ta i ,
pour ne* pas s’ en occuper quelquefois.
1 C ’çft par çett-e raifon entr*autres ? qye
j ’exhorte en plufieurs endroits de cet ouvrage ,
les peintres d’hiftoire à traiter , quand l’occa-
fion fe préfente , tous les genres. Les artiftes
célèbres n’ ont regardé comme au-deffous de leurs
talens , rien de ce qu’ embraffoit leur art ; ils
faifoient plus, puifqu’ un affez grand nombre
d’ entr’ eux exerçoit les arts que j ’appellerai l i mitrophes
de la peinture ; je veux dire lafculp-
ture , l’ architeélure , la cizelure 8c la gravure
dans toutes leurs parties. {A r t ic le de M. JP'A-
t e l e t . )
Grottesq-ues : on donne ce nom à des ornemens
bizarres dont les Romains , dans le
temps de leur luxe , ornoient les plafonds , les
planchers , les frites , 8c même les panneaux de
leurs petits appartemens. Le mot grottefques exprime
à - peu - près le même genre dans l’art
que celui arabtfque. Tous deux défignent des
ornemens lége rs, gais 8c chimériques. On les
a employés probablement pour imiter la broderie.
Le mot grottefque rend, par rapport à l’ art, la
même idée qu’il donne d’ une certaine efpèce
de penfées. Et comme une penfée grottefque
eft ordinairement piquante & deftituee de raifon
, de même les grottefques , foit en peinture,
foit en ba s-re lie f, nous offrent des ob-
jetscontre nature , qui cependant récréent l’oeil
un moment •, mais auxquels un être fenfé ne
peut s’arrêter long-temps
Comment en effet eftimer un genre capricieux
qui nous expofe des animaux ou des
hommes, dont le modèle n’exifte pas dans la
nature ? On les fait fortir d’ une branche très-
déliée , fouvent d’un brin d’ herbe •, ils font
tantôt furmontés de meubles, d’ attributs de
chaffe ou de mufique , & tantôt d’une cafoade ;
tout cela mélangé de mafearons de métal ou
de marbre , de fleurs, de fruits , d’étoffes , & ç .
Le jugement peut-il fe fixer fur un genre qui
réunit tout ce que l’imagination la plus fan-
tafque peut nous préfenter , 8c Guicore dans
une difpofition toujours défavouée par la raifon
, puifqu’ elle eft oppofée à l’ ordre des pof-
fibles ?
On doit croire qu’un goût bien bizarre a pu
feul inventer les grottefques. Raphaël les a
trouvés dans des fragmens d’habitations antiques
, 8c les a placés aux le g es du Vatican ;
c’étoient des galleries fer vaut de promenoirs,
! 8c de partages pour les appanemens de cepa-
| lais des Papes , où il avoit beaucoup de petits
corps d’architecture à remplir de fes peintures.
I l auroit été peu porté fans doute à placer les
grottefques dans un fallon d’ un - genre noble
6c deftiné à des ufaggs importans, tels qu’étoient
les falles de ce même palais.
De nos jours , on multiplie les grottefques
dans les endroits les plus graves •, leurs figures
bizarres décorent Jes fàllons des Prélats , des
Magiftratsj
Masifttats ; & ils ornent les bibliothèques &
les lieux où les Princes tiennent leurs confeils.
I l devro'ent en être e xclu s; ils pourraient feulement
être employés pour les bains , les cabinets
de plaifirs , & tous les petits cajms qui
entourent nos grandes villes. .
* L’ emploi des grottefques en peinture elt encore
plus bizarre qu’ en fciilpture; de cetre
dernière manière , ' ils tiennent des ornemens
propres à l’ archite&ure : mais il faut bien du-
tinguer ce qu’on appelle ornemens d avec les
groctefqu.es ou arabefqties. I
Les ornemens ont été inventes par les auteurs
des'règles, par les difpenfateurs du grand goût,
par les Grecs enfin, qui les ont liés à toùtês
lès parties 4 e l’architeaure. Ils font dun tel
choix de formes , fi mâles & fi nobles , & employés
avec une fi fage diftribution , qu ils font
devenus d’ une néceifité indifpenfable dans la
. décoration ; au lieu qu’on ne voit nuis veftiges
des Grottefques dans ce qui nous relie de ces
maître de l’art. Les feuls Romains , lorfque
leur goût commença à fe dégrader, lorfque leur
richeflè excefiive , leur luxe , & l’ ufa^e immodéré
des arts leur eurent rendu necefiairele
nouveau & l’extraordinaire, les Romains, dis-je,
Inventèrent alors les grottefques. Les forties de
Vitruve contre cette innovation indiquent leur
^ sYfiôn objeae que les formes des plus beaux
ornemens , adoptés par l’ architeaure , contredirent
.fouvent ce que nous (montre la nature ,
& qu’ elles doivent aulfi paraître bizarres, comparées
à fes fages produdions, nous répondrons
’ qu’ indépendamment de l’ exagération
ridicule dés formes des. grottefques , de l’ incohérence
des objets qu’ ils raffemblent, la couleur
accroît encore i’ excès de leur invraifemblance.
Au lieu que les ornemens adaptes a 1 architecture
, étant comme elle de pierre, de marbrai
ou de métal, en deviennent une-partie, infét;
parable , & forment avec eliê'une liaifon douce,
un acceffoire précieux qui accompagne, & enrichit
fans abforbér , & plaît a l ’oeil fans-trop
l’ occuper ni le diftraire dés rnaffes ; délicieux &
fage attribut auquel le clinquant des grottefques
ne peut être comparé, fur-tour quand ils font
colorés.
9ans ce Cède où l’on prodigue les grottefques
fans choix & fans difcréiion , on pourra
trouver extraordinaire ce que je viens de dire
ftir leur emploi , dans le feul article de cet ouvrage
où je pouvois encore en parler : mais
on n’ a qu’ à lire le' paffage de Vitruve que je
rapporte ici en entier ; on verra que mon opinion
fur les grottefques ou arabefques n’eft ni
unique ni nouvelle , 8c que c’étoit celle d’ un
Romain , qui écrivoit dans le beau fiècle d’ Au-
gufte , 8c à qui jamais on n’a contefté le bon
goût.
B eaux-Art s. Tome 1.
« Cependant par je ne fais quel caprice ,
» dit - i l , on ne fuit plus cette règle que les
» anciens1 s’étoient preferite de prendre tou-
» jours pour modèles de leurs peintures les
» c-hofes comme elles font dans la vérité ; car
» on ne. peint à préfent fur les murailles que
» des monftres extravagans , au lieu de chcfes
» véritables 8c régulières. On met pour co-
» lonnes des rofeaux qui foutiennent un en-
» tortillement de tig e s, de plantes cannellées
» avec leurs feuillages refendus & tournés en
» manière de volutes. On fait des chande-
» liers ( i) qui portent de petits châteaux , def-
» quels, comme fi c’étoient des racines, il
» s’élève quantité de branches délicates fur
» lefquelles des figures font affifes : en d’autres
» endroits, ces branches aboutirtent à des
» fleurs, dont on fait fortir des demi-figures ,
» les unes avec des virages d’homme, les
» autres avec des têtes d’animaux. Ce font
» des chofes qui ne font point, 8c qui ne peu-
» vent ê tre, comme elles n’ont jamais été;
» tellement que les nouvelles fantaifies pré-
» valen t, de forte qu’ il ne fe trouve prelque
» perfonne qui foit capable de découvrir ce
» qu’ il y a de bon dans les arts & qui en
»• puiffe juger. Car , quelle apparence y a-t-il
» que des rofeaux foutiennent un to ît , qu’ un
» chandelier porte des châteaux, 8c que les
» foibles branches qui forcent du faîte de ces
» châteaux portent des figures qui y font
» comme à cheval ; enfin que de leurs racines,
» de leurs tiges & de leurs fleurs, il puiffe
» naître des moitiés de figures? Cependant per-
» fonne ne reprend ces impertinences ; mais
» on s’ y plaît, fans prendre garde fi ce font
» des chofes qui foient poffibles ou non : tant
» les efprits font peu capables de connoître ce
» qui mérite l’approbation dans les ouvrages.
>5 Pour moi, je crois que l’on ne doit point
» eftimer la peinture fi elle ne repréfente la
» vérité , 8c que ce n’eft pas affez que les
» chofes foient bien peintes, mais qu’ il faut
» auffi que le deflin ( z ) foit raifonnable, &:
» qu’ il n’ y ait rien qui choque le bon fens » .
( Vitruve . trad. de P errault, liv . V U , chap. y.)
Si l’ idée que dun ne Vitruve des grottefques
dégrade ce genre dans l’opinion de quelques
gens de g oû t, ils feront fans doute d’avis qu’ un
artifte qui fe deftine à peindre l’ hiftoire doit
très-peu s’ en occuper. Tous les objets de la
nature doivent bien être celui de fes continuelles
recherches 8c d« ffes plus délicieufes
( i ) Le mot candélabre >• en ufage depuis Perrault,
rend mieux le candelabrum des Latins que notre chaude -
lier.
( a) C’efl: le mot argumentatio que Percault a rendu ici
par dèffiji. Il auroit été plus clairement interprète par le mot
cotnpojition ou fujet.
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