
D ë CENCE.- Les idées que renferme le mot
décence, font moins févères par rapport, à la
peinture que dans les moeurs, parce que la
décence que je défignerai fous le nom de p it -
torefque, eft obligée de fe prêter à un grand
nombre de circonstances particulières à l’art.
Mais ce qui doit mettre une mefure jufte aux
libertés que peut fe donner l’ artifte eft fa propre
intention, enforte qu’on doit adrefler aux
peintres ce que les moraliftes prefcrivent à tous
les hommes : ne vous permettez pas, foit dans
vos ouvrages, foit dans vos a étions & vos dif-
cours , des intentions que vous rougiriez d’avouer
, & vous ferez certainement peu de mal.
Cependant, pour en revenir à l’art dont je
dois parler & aux libertés que le peintre peut
fe permettre à l’ égard de la décence, fi l’artifte
repréfente une fête Lacédémonienne, certainement
il ne fera pas blâmable en y plaçant
des danfes de jeunes filles & de jeunes gens
qui n’ auront aucun vêtement -, & s’il n’ a eu
aucune intention d’abufer de l’occafion que
lu i .offre fon fu je t , les regards des fpeétateurs
inftruits ( fuffent-ils févères , pourvu que leur
févérité foit raifonnée & ne foit pas ignorante")
ne trouveront rien qui blefle la décence p itto-
refque dans l’ image agréable quLies attachera.
Si l’ artifte repréfente, à l’oçcafion, des fêtes de
Bacchus , les Faunes & les Dryades livrés à'
une elpèce de délire , il lui faudra plus de cir-
confpe&ion, parce que la difficulté à furmonter
eft de mettre une forte de mefure relative a,
la d 'cence des moeurs aéluelles, dans un fujet •
dont les moeurs anciennes autorifoient la liberté. ' .
Les anciens qui nous ont tranfmis & fait adopter
ces idées par les formes aimables dont ils les
ont revêtues, avoient fans doute d’autres me-
fures que les nôtres -, ils régloient leurs juge-
mens fur des conventions établies, & l’on voit
par ces exemples que les conventions religieuses
& nationales ont été & peuvent être quelquefois
moins févères que les convenances gé-,
nérales. La décence pittorefque eft plus févère
de nos jours qu’ elle ne î’étoit à certains égards
chez les Grecs & plus auffi qu’ elle ne l’a été
dans des tems où les dehors de la piété étoient
plus répandus.
La difficulté la plus grande & la plus infurmon-
table pour les artiftes eft d’accommoder la
décence pittorefque la plus indulgente avec la
repréfèntation de quelques fujets hiftoriques,
ou mythologiques, dont l’ indécence , quoique
prononcée d’une maniéré révoltante dans les ouvrages
des poètes célèbres, a étéadmife dans les
arts. Il eft vrai que les poètes , en traitant ces
faîtes d’obiets . cherchent quelquefois à les
faire excufer par les moralités qu’ils ont l’art
de mêler à leurs peintures 8c par les défappro-
bations qu’ils y joignent -, mais le peintre privé
de ices reffources, trouve & la iffe , en offrant
le s ’fcènes indécentes dont je parle, la plupart
des fpeélateurs plus difpofés à les prendre pour
des encouragemens aux foibleffes & aux dé-
reglemens que pour des exemples de ce
qu’on doit éviter.
I l faut remarquer d’a illeurs, que les intentions
& les a étions font plus fenfibles dans les
repréfentations de la peinture & du deflin ,
par l’ avantage que la vue a fur l’ouïe , pour
tranfmettre rapidement à l’ame les idées qui
lui font prefentéès fous des formes corporelles.
Cette propriété que pofsède d’autant plus le
peintre, qu'il eft plus habile dans fon Art -,
femble donc exiger plus de retenue de fa part
que de celle du poète-, mais il eft jufte d’ob-
ferver auffi, que fi les objets qui font offerts
aux regards, font en effet plus frappans, d’une
autre part , les détails graduels & fucceffifs
que les" poètes favent employer dans leurs def-
criptions , les rendent par l’ art & les attraits
qu’ils y répandent , plus dangereux qu’ une
répréfentation bornée à un feul moment.
Ces réflexions qu’ amène le fujet de cet article
, pourroient conduire à des obfervations
délicates & étendues , qui ne font pas ab-
folument effentielles au peintre. Ce qui me
paroît plus généralement important , eft de
l’exhorter- à réfléchir fur fon intention , lorf-
,qu’il '-traitera des fujets fufceptibles d’ indé-
c en c e y j& à fe juger lui-même. On peut lui
dire encore :
Plus vous ferez décent dans vos moeurs &
dans-vos difcours, plus vous trouverez aifément
l a ;déçifion de ces fortes de cas de confcience,
qui regardent la moralité de votre art ; 8c il
y en a pour les peintres comme pour les Théologiens.
Si vous av e z, je le répété, l’ ame pure
8c l’ efprit auffi fage q u e lle comporte l’état
ue vous avez embrafie , vos. ouvrages feront
ans un jufte accord avec votre conduite, &
auffi décens qu’ il convient à des imitations
qui embraffent prefque tout ce qui appartient
à l’humanité. Ne vous laiuez donc pas fëduire
par l’ appas & par la facilité qu’offre fur-tout
a la jeuneffe, la licence pittorefque-, elle eft
pour les artiftes ce que la Satyre eft pour
les poètes & la médifance pour la fociété ;
je veux dire que leur fuccès eft moins dû au
talent de ceux qui les employent, qu’au penchant
& au goût de ceux qui y applaudiffent.
Rien de plus facile en effet/, que de réuf-
fir momentanément par ces moyens.; mais vos
D È G
fcuvrages dont la nature & la deftinatjon font
d’être durables, doivent avoir pour objet une
apprdbation qui ne foit pas paffagere.
Ce n’eft pas au relie , une morale- trop lé-
vète que celle à laquelle je vous ramené
On peut plaire ; on peut être aimable -dans
Tes ouvrages ; on peut mériter les louanges
les plus: flatteufes ; on peut erre enfin vanté
dans les arts & recherché dans la lociete ,
en fe conformant a la décence. I l eft eux
Vénus dans les beaux-arts , une des deux ell
célefte. C’ eft celle-là qui a mente a Raphaël ,
le nom de-divin. . Il refteroït à l’àccafion de la dec encepittorefque
, quelques obfervations , difons meme ,
quelques confeils à donner à ceux qui influent
fur les arts , fans les, pratiquer. J en vais ha-
zarder, quelques-uns.
Etes - vous diftingués par des rangs , des
titres, des fondions li élevées , fi impolantes,
que : Vos volontés & vos defirs même , ayent
la force de déterminer les artiftes, à s y con
former ï Soyez perfuadé, que vous faites un
abus bien plus répréhenfible que vous ne le
penfez de votre afeendant , fi vous autorité?
ou fl vous commande? l’indécence ï car ; dans
lés ouvrages dellinés à.être confêrves, & qut
appellent & fixent les regards , tels que ceux
du deflin , de la peinture, de la fculpture &
de la gravure , non-feulement les licences ouvrent
une route pernicieufe aux attilles, non-
feulement Vélles portent les arts hors du chemin
véritable de la perfeftion , qui doit être fon-
dée fur les convenances ; mais encore elles-
attaquent^ la moralité fqciale dans ceux dont
les yeux tomberont fur des ouvrages mdecens
qui n’auroient pas exifté , fi vous ne les aviez en
quelque forte, produits. _
Eh 1 que favez-vous, fi vos enfans ne vous
'devront pas les premières femences de corruption
, qui peuvent caufer leur malheur .
Ges principes pourront vous fembler feveres
au premier moment ; mais je fuis certain qu ils
feront approuvés du plus grand nombre & intérieurement
par vous-mêmes. Quoique les
infrâdions à la morale, dont il eft ici quef-
tion ne foient pas regardées dans la lociete
conimë des crimes', ceux qui fe les permettent'
n’ont *à attendre d’ indulgence publique
de perfonne , & feroient condamnés à la pluralité
des vo ix . _
Quant à ceux dont l’ afeendant elt tonde
fur la fortune , on pourroit leur dire à l’occafion
de cet article. Eft-ce par l’ appas des
avantages pécuniaires que vous avez forcé
l’ artifié à s’enfermer dans fon çabinet le plus
' tétiré pour fatisfaire des intentions obfçénes ?
Vous abufez contre lui d’ un moyen auquel
i l eft fouvent difficile qu’ il réfifte, & vous
abufez contre vous - mêmes ; car à fes yeux
D É C ! 7 3
8c à ceux de vos confidens, de vos fetviteurs»
de vos parafites , vous vous déclarez prive de
ces avantages qui n’ont pas befoin des reL-
fources que vous cherchez. La honte vous
arrêteroit, fi vous étiez certains que vos intentions
& les ufages auxquels vous deltinez
ce que vous cachez dans des réduits lecrets ,
feroient expofés au grand jour.
La richeffe qui brave les convenances Zc
les bienféances, ( i l n’ eft pas hors de propos
de le dire aujourd’hui) , mamlelte les
abus qui l’accompagnent. Que Midas , dont
l ’exiftence offre quelque choie d împolant ,
porte quelques jugemens fur les arts . il de-
cèle fon ignorance. Qu’ il étale fon ^aite en.
y employant les arts ! les moyens qu i l employé
, dénoncent le déréglement de fes idées
& de fes penchans. Enfin , dans le nombre,
8c le choix de fes délaffemens , on apperç.oit
toujours le vuide de fon ame. ( Article de m .
ZP'atelet.)
DECORATEUR . Le terme décorateur, ïorf-.
qu’on l’ employé au pluriel, fur-tout, 8c qu on
parle des peintres décorateurs ^ défigne Pri? f
cipalement les artiftes qui exécutent les décorations
de théâtre. .
Ce mot" fignifie auffi les artiftes qui s occupent
de certains ornemens intérieurs de palais
, de maifons & des appareils de fêtes
publiques. Ces branches de l’art de la peinture
, font très-étendues , comme je le ferai
obferver aux mots décorer 8c décoration.
Elles embraffent plufieurs parties de la fculp-
tu re , & de l’architeéture.
Les connoiflances dont fe contentent^ les
décorateurs modernes , n’e font pas auffi étendues
qu’ elles pourroient l’ être , & cependant
leur' influence fur les modes , qu’ adopte fi
facilement notre nation , eft plus grande qu’ elle
le devroit être pour le maintien du bon goût.
Les Italiens , fans doute , parce qu’ ils ont
eu de tout tems un goût national très - marqué
pour les fêtes- , les fpeftacles, les déco»
rations , comptent1 un affez grand nombre
d’artiftes , qui fe font diftingués en exerçant
les trois arts principaux du deffin , c’ eft-à-dire ,
la peinture , l’architeélure & la fculpture.
S’agiffoit-il , dans les beaux liécles des
arts., du couronnement, du mariage de quelque
prince gf d’une- pompe funèbre ; d’amufer
le peuple 8c d’attirer , par des fêtes , la foule
du peuple ? On s’ adreflbit aux plus habiles
artiftes mais fur-tout aux peintres, & ceux-
ci loin de dédaigner l’ emploi de décorateurs,
s’honoroient du choix qu on failbit d eux.
Les uns avec les autres , fe trouvoient affez
inftruits dans chacun des -arts , qu’ il étoit
néceffaire d’ employer , pour ne devoir ^ qu’à
l eux feuls leurs lue ces , 8c de fon coté , 1 ®