
44 * I L L
miration accordé a Raphaël, au Correge, au >
Titien , quoique le premier manque de la partie
de la couleur , & de l’ intelligçnce du clair-obf-
c u r } que le fécond l'oit incorreft ’, 8c le troifième ,
d’un choix' Couvent peu noble.
I l femble qu’on peut conclure , d’ après de
fi grands hommes , que l ’imitation la plus-prochaine
du vrai n’ ëft pas le feu! but de la peinture
; qu’ elle acquiert un degré d’élévation fu-
périeure par l’art qu’ elle fait répandre fur la
manière dont elle parvient à cette imitation ,
& que c’ eft cet art même qui diftlngue & ca-
raélérife les hommes extraordinaires ( i) .
Que l’on parcoure les grandes parties de la
peinture ; on y trouvera nombre de beautés
effentielles d’un genre différent de celles qui ■
Luffirôient pour approcher le plus près pofTible
du degré of illufion dont elle eft fufceptible.
Dans la compofitîon, nous admirons principalement
l’abondance du génie , le choix des attitudes
qui préfentent l’ alpe.él le plus pittorefque.:
& le plus gracieux ; l’ adreffe* du contrafte fans
affe&ation ; cet enchaînement ingénieux des
groùppes, foit pour réunir les lumières & trouv
e r de grkndes parties d’ ombres, afin d’ en obtenir
les plus grands effets, foit pour dilpofer
un tout, de manière qu’ on n’ en puiffe rien ôter
fans le déparer : forte de poëfie, par laquelle
le génie fe rend maître de la nature , pour l’af-
fûjettir à produire toutes les beautés dont l’art
peut être fufceptible. Et il eft aifé de fentir que
toutes ces parties n’ ont qu’ un rapport très éloigné
à V illufion proprement dite.
En e ffet, pour parvenir Amplement à ce b u t,
un génie froid & ftérile d’ailleurs, quifaifiroit
l ’a&ion néceffaire à donner à fes figures , &
qui la rendroit avec vraifemblance, rempliroit
egalement fon objet. Les attitudes les plus naturelles
& les plus fimples, quoiqu’ elles n’euffent
rien de pittorefque & de gracieux, fuffiroient.
ToutesTortes d’afpeôs feroient égaux, dès qu’ il
ne s’agiroit que de les rendre avec vérité. Les
contraftes ingénieux, Penchaînement des group-
pes & des maffesj n’ y ajouteroierit aucun mérite.
On peut toujours prétendre à être vrai ,
quelque cHfpofition qu’on ait donnée à fon fujet s
& les diftributions parfemées, fi défagrëables-
à Phomme inftruit, en font également fuf-
ceptibles.
A l ’égard du deffin , pour atteindre à 1fillu sion
, il ri’a pas befbin de choix ni d’ une correction
favante au deffus de c e qui eft apperçu dans
la nature par les yeux les moins exercés. Il
fuffiroft d’y obferver ces détails ? quelquefois
d’un goûtmefquin , mais qui rappqllentà l’ efprit
la nature la plus connue.
f i ) Voyex l ’article I m it a t io n , extrait des’ écrits 4e deux grands maîtres 4 e l’art.
I L L
Le coloris le plus admiré n’eft pas même tou*
jours celui qui eft le plus vrai. Ii n’ eft fans
doute pas véritablement beau , lorfqu’il s’éloigne
trop fenfiblement de la vérité y mais il a
befoin de beaucoup d'autres qualités, pour
attirer l’éloge des connoiffeurs. I l y faut de la
fraîcheur , de la légèreté, une tranfparence
dans certains tons, même au delà de cé que
la nature en laifïfe appercevoir. Remarquons
encore que les coloriftes les plus eftimés ont
un peu outré les beautés qu’ ils ont fu voir dans
la nature. Si quelques tons dans la chair tendent
un peu au vermeil , ‘à de légers bleuâtres,
à des grifàtres argentins , ils les ont rendus plus
fenfibles , comme pour les indiquer aux fpeéla-
teurs, & leur faire fentir \e/avo ir qu’il y a à
les découvrir, & à les rendre avec tant d’art-,
c’eût été paffer le b u t, fi cë biit confiftoit Amplement
dans l’illufion.
Les oppofitions de couleur , de lumière &
d’ombres feroient encore fuperflues dans cette
fuppofition , car la nature eft toujours vraie,
fans tousces moyens de la rendre plus piquante.
Ces fuppreffions de scertaines lumières , que la
vérité donneroit, & que l ’art- éteint, pour augmenter
l’harmonie ou l’ effet, feroient autant
de défauts blâmables, quelque plaifir qui pût
en réfulter;
Ce n’eft pas cependant qu’ on prétende approuver
ces couleurs fa&ices qui« ne font en effet
que le roman de la peinture. Ce qui sféloigne
abfolument de la ‘vé rité , eft toujours répré-
henfible. Mais c’ eft encore une preuve qu’il
y a , dans cet a r t , des beautés indépendantes
de l’exaéie imitation du vrai. Et puifque fou-
vent ces romans pleins de fauflètés , mais agréables
, plaifent à l’oeil même du conno'iffeur.
il en faut conclure que c’eft la réunion de plu-
fieurs de ces beautés étrangères à Villufion, qui
force en quelque manière à pardonner le défaut
d’apparence de vérité.
L’ une des plus grandes beautés de l’ a r t, qui
a encore moins de rapport avec Villufion , puif-
qü’ elle n’ a pas même de fondement dans la nature
, & qu’ elle eft uniquement l’ effet du fen-
timent qui meut l’artifte en opérant, c’ eft cet
art dans le t ra v a il, cette sûreté, cette facilité
de^maître, qui fouvent fait toute la différence
du vraTbeâu, de ce beau qui excite l’ admiration
avec le médiocre qui nous laiffe toujours froids.
C’eft ce fa ir e ( ainfi que fe nommentlés artiftes)
qui d iftinguel’driginal d’un grand maître d’avec
la copie la mieux rendue , & qui caraélérife
fi bien les vrais talens de l’ artifte , qu’ une
petite partie d’ un tableau , même la moins in-
téreffante., dégèle au connoiffeur que le morceau
doit être d’ un grand maître ( i) . C’eft ce fa ir e
( i ) Pour ce qui concerne l'importance iajaire^ SI
I L L
enfin, qui, détruit par la lime & le cifelet
dans la belle ftatue du Roi par Bouchardon ,
lui fait perdre un des principaux mérites qui
l’eût fait admirer par la poftérité * & qu.e P igale ,
a eu le courage de cônferver dans le beau monument
qu’ il a fait pour la yilfe, de Reims.
Le vrai beau, dans les deux arts, doit joindre
aux diveirfes parties de l’a r t, la franchife delà
touche & la facilité du fa ir e ; d’où s’ enfuit,
dans la peinture, la pureté des t o n s , dans
la fculpture, les grâces du travail qui termine
l ’ouvrage & qui ne peut jamais être confié à ;
l’élève. . Quelquefois le plus grand maître a
moins de corre&ion & de jufteffe févère que
l’homme médiocre, ( i) y mais fon travail, ou
rempli de force & de chaleur, ou doué de grâces,
donne le goût & l’ame à ce qui fort de fon
pinceau ou de fon cifeau. On ne prétend pas
que 1 e fa ir e foit la feule partie efièntielle , mais
c’ eft elle qui couronne toutes les autres-, &
•l’ on croit pouvoir avancer qu e , quant au plaifir
qui en réfulte pour Je connoiffeur ^ rien ne la
peut fuppléer. Un artifte médiocre petit recevoir ;
d’un grand maître la compofitîon & les principaux
effets de la lumière pour un ouvrage de
peinture ; les formes générales & les principales
maffes pour un ouvrage de fculpture , fans qu’ il
en réfulte une chofe vraiment belle , par le défaut
de ce fer.timent & de ce Lavoir qui produi-
•fent feuls le beau fa ire .
fau t diftinguer deux g en re s , même dans la peinture de
l’h iftoirc j le .g en re grand, exprejjif 8c purgée le genre
Amplement pittorefque. R aphaë l e ft à la tête des plus;
grands maîrres du premier g en re , quoiqu?il ne fe diftingue
,n i par la p e t fe& o n du faire , ni par Ÿillufion. Mais la
beauté du faire & le mérite de l’exécution donnent une
grande v a le u r .à des tableau x q u i , d’ailleurs , ne fe dif-
tinguent par au cun e fupériorité de con cep tion , d’e xp re lfio n ,
de deffin , & qui» fans le mérite du faire > feroient mis !
au rang des ouvrages m édiocres. C ’ eft ce genre qu’On peut
appeller pittorefque parce qu’il d o it fa principale valeur
à l ’art de peindre proprement dit ; ; i l n y a rien à . re- ■
ftan che r, pour ce g e n re , dé ce qüe M . C o ch in établira , ,
jufqu’à la fin de cet a r t i c le / fu r l’importance du faire.
L e premier genre a des beautés d’ un ordre fi fupérieu r,
qu’il p e u t , à la rigueur, fe paffer des charmes de la belle
exécution j mais ces charmes aj'outeroient à fon m é rite ,
au m o in s , ce qui eft r a r e , quand les ouvrages de ce
wenre ne font pas trop éloignés de l’oeil du fpeftateur.
Voyex les articles E x p r I e s s i o n , G o û t , I d é a l , mitation. L e s tabje au x de fleurs, de f ru it s , de nature
m o rte , & , en g én éra l, les tableaux de ch e va le t , exig ent
la beauté du fairt j SC obtiennent leur rang en p roportion
qu’ elle y règne avec plus ou moins de fupériorité. ( Note
du. Rédacteur».)
(x ) U n maître peut être grand parce qu’ i l a de grandes
parties de l’ a r t , qu oiqu ’ il ait moins de correction qu’ un
homme médiocre : mais un maître qui aura une graride
4orreclion n e fera pas un homme médiocre j il fera même
un grand maître par cette feule partie. Rembrandt elt un
grand maître fans correction; Miche l A n g e eft un grand
maître par la correction. On entend ord in airem en t, par ce
dernier m o t , la feience du deffin. ( Note du Rédacteur. )
I L L 4 4 ?
Peut-être fera-t-on étonné que le fa ir e foit
confidéré comme une beauté fi effenrielle. I l
n’eft que trop de gens q u i, faute de le bien
connoître , le regardent comme une forte de
mécanifme. C’eft une erreur-, elle eft particulièrement
bien fentie par les artifte s, & ils
conviendront qu’ entre un ouvrage médiocre &
un exce llent, il n’y a fouvent que cette diffé.
rence.
On en fera moins furpris , fi oh obferve que ,
même dans la poëfie, il y a un fa ir e qui eft
extrêmement effentiel, & qui achève d’ y donner
toute la fupériorité & la perfection dont elle
eft fufceptible. L’art de faire facilement de beaux
v e rs, ou du moins de donner à des vers fa i t s
difficilement , l’ apparence, de la fac ilité, celui
de s’énoncer avec jufteffe, avec force , ou avec
g râ c e , enfin la poëfie de ftyle eft-e lle autre
chofe ? Les fentimens que Pradon donne à
Phèdre, dans fa tragédie, font à-peu-près les
mêmes que ceux que Racine lui a prêtes: mais
quelle différence dahs la manière de les exprimer
( i) l Que de conteurs peuvent employer
les mêmes idées que Lafontaine! Mais, fi l’ on
. peut hafarder cette expreflion , combien fon fa ire
eft au deffus du leur
Pour achever de prouver cette affertion par
des exemples fenfibles & connus, je ne citerai
que quelques ouvrages modernes. On a vu ,
dans une expofition publique, deux bas-reliefs
imités l’un par Chardin , l’autre par Oudry. Ce
dernier étoit un très-habile homme, & peignote
avec facilité : Villufion étoit égale dans les deux
tableaux, & l’on étoit obligé de toucher l’ un
& l’autre pour s’ affurer que ce fût de la peinture.
Cependant les artiftes & les gens de goût
n’admettoientuucune égalité entre ces deux ou-
y rages ;
- En e ffet, le tableau de Chardin étoit autant
au deffus de celui d’Oud ry, que ce dernier
I étoit lui-même au deffus du médiocre. Quelle
en étoit la différence : fi non ce fa ir e que l’on
peut appeller magique, fpirituel, plein de feu ,
& cet art inimitable qui caractérise fi bien les
ouvrages de Chardin (a) ?
( i ) S i R ac in e eût écrie fa. cragétlie e a p ro fe ., 8c qu’ il
l’ eût donnée à Pradon pour la mettre e-a vers , la tragédie
de R a c in e , verfifiée par P ra d o n , auroit eu du fuccès au
th é â t re , parce que la poélîe de ftyle , qu’on peut appeller
le faire p o étiqu e., s’ y remarque fo ib lem e n t, mais elle
n’auroit été qu’un mauvais ou vrag e à la leéture. ( Note du
Rédacteur )
(2 ) C e t exemple prouve beaucoup pour le g e n re d o nt il
l ’a g it, & dans lequ el nous fommes convenus que le faire
décide la fupériorité ; mais nous doutons qu’i l prouve de
m êm e pour le grand g enre de l’ hîftoire , la haute poéfie de
la peinture , .où la nobleffe de la concep tion , la vérité de
l’ e x p re ffio n , 8c la beauté des formes d o ivent l’ emporter fur
toutes le s autres parties d e l’ art. Com pa ro ns qn beau t a bleau
de R a p h a ë l , avec un autre bon tableau , mieux