
autres , tous obtiendrez desobfervations qui pourront
encore vous inftruire; mais réfervez-vous le
droit de les comparer avec les obfèrvations qu’auront
faites d’autres Artiftes plus effentiellement
éclairés fur ces parties , parce qu’ils s’en font plus
plus particulièrement occupés.
Cet exemple fuffit, je crois , pour les avis qu’on
a droit d’attendre des Artiftes. Il relie à démêler
comment on pourra tirer auffi quelque parti du
fentiment de ceux qui n’exercent pas les Arts. Je
me fers ici du mot fentiment, préférablement aux
mots jugement 8c confeils, parce que j’ai reconnu
en effet que c’efl le fentiment 8c la fenfation
qu’excitent les ouvrages des Arts fur les gens du
monde à qui on les montre, qui peut eclairer
l ’Artifle bien plus que les jugemens qu’ils prononcent,
& que tous les raifonnemens dans lefquels
ils s’égarent. Mais fi l’on doit être infiniment a ttentif
à recueillir les impreffions & l’effet de
leur premier fentiment ou de leurs premières fenfations
; on e f l, je crois , très - autorifé le plus
fouvent, à fè méfier des raifbnnemens 8c des
confeils étendus dont ils ne manquent guère de les
accompagner. Nos fens, notre ame font lulcep-
tible des premières imprefïions qui font fîncè-
res & fouvent jufles, fans que nous lâchions pour
ainfî-dire comment. Notre efprit, torfqu’il n’efl
pas allez éclairé, lorfqu’il eft imbu de notions vagues
, de préjugés & de préventions, lorfqu’il eft
arrêté par la difficulté d’énoncer avec jufteffe &
clarté tes idées, eft fort fujet à fe détourner de
plus en plus de la reditude naturelle qui lui eft
propre.
Entre les moyens de tirer des lumières des per-
fonnes qui n’ont pas les connoifïances intimes
de l’a r t , on peut compter les fenfations des
hommes même les moins éclairés, des femmes
qui naturellement ont des fenfations vives &
promptes, & quelquefois des enfans. Il réfulte,
comme on le vo it, des notions que je viens de
développer, que bien qu’il foit difficile d’obtenir
dans les Arts dont traite cet ouvrage, des confeils
éclairés & parfaitement appropriés aux objets fur-
lelquels on cherche à en obtenir , il eft cependant
«ne forte d’adreffe qui conduit à en recueillir partiellement
, & que la réunion des avis & des fenfations
peut être fort utile aux Artiftes.
Il eft nécelfaire , comme on le voit, que ces artiftes
foient afFez éclairés eux-mêmes pour diftin-
guerdans ceux qu’ils confultent, en quelle qualité,
li l’on peut s’exprimer ainfî,jils s’adrelfent à eux. Si
un homme connu pour être fpirituel & fenfîble
n’eft pas affedé de l’expreffion de vos figures &
de la difpofition poétique que vous avez cherché
à leur donner , ü y a apparence qu’elle eft commune
; s’il eft arreté ou choqué, elle eft défec-
âueufe. Si un homme qui n’a point d’idées fur
ces objets, mais qui a des yeux juftes, fe méprend
fur les formes , la couleur ou le plan de quelques
parties de votre- tableau, certainement ces
formes , ces couleurs 5c ces plans font défeéhieux
en quelque chofe d’effentiel. Si un enfant ne rit
pas en regardant une figure que vous faites rire
dans votre tableau, s’il ne prend pas un air
trifte en voyant pleurer une mere qui regarde
fon enfant malade , s’il n’a pas l’air allarmë
d un péril manifefte que vous faites courir a
un de vos perfonnages, s’il n’eft pas effrayé
Parv l’image d’un homme que vous repréfentez en
coiere, votre but n’eft pas complettement rempli
; car les enfans 8c les perfonnes qui n’ont pas
beaucoup d’idées compliquées , dès qu’ils fixent
un objet, en reçoivent une fenfation relative
très-jufte , 5c en portent un premier jugement
exempt de prévention.
Apeile expofoit fes ouvrages au jugement du
public 8c faifoit bien. Ce n’étoit pas que le peuple
d’Athènes fe connût mieux que lui en peinture,
ni qu’un peintre fit bien d’adopter les corrections
que le public lui prefcrit : mais c’eft que le public
qui ne fait pas en quoi confîfte ce qui lui
déplaît, voit confufément dans l’ouvrage de l’art
ce qui ne lui plaît pas , 8c que l’artifte en fe corrigeant
& cherchant à lui plaire fe furpaffe lui-
même.
Je ne parlerai pas des confeils de ceux qui
d’eux-mêmes s’ingèrent d’en donner fur nos A rts,
fans qu’on leur en demande ; rien ordinairement
n’eft plus fujet à erreur que leur jugement.
On peut remarquer que plus l’homme qui n’efl
pas Artifte , op qui eft peu inftruit de ce qui
regarde les A rts , s’étend fur fon jugement 8c
‘veut motiver fes confeils,. que plus il differte
enfin, plus il s’égare 5c plus l’Artifte a droit de
penfer qu’il n’a rien d’utile à en tirer.
Ce qu’on auroit à defîrer ( mais ce qu’on n’a
pas lieu d’attendre ) c’eft que les perfonnes dont,
je parle bornaffent leurs jugemens à un énoncé
fimple de ce qui les affeéçe.
Il feroit à fbuhaiter auffi que les Artiftes qui
font eux-mêmes fujets aux prétentions 5 c à des
préventions trop favorables à leur égard, employaient
tous les moyens qui leur font pnffibles
pour fe dégager quelques momens des liens dont
les garrote leur amour-propre.
J e ne dirai rien de l’Art qu’ils employant trop
fouvent contre leur propre intérêt, pour offrir
fous des afpeéb propres à faire illufion, les ouvrages
fur lefquels ils fouhaitent d’être flattés 8d
fur lefquels ils redoutent un jugement févère ;
ils favent expofer leurs ouvrages au jour le plus
favorable , fans réfléchir qu’il n’y a pas d’apparence
que l’ouvrage fe trouve peut-être jamais dans un
afpeét auffi avantageux ; ils agiflent en cela à-peu-
près comme les Gens-de-lettres qui lifènt avec
un artifice 5c un agrément infini leurs productions.
Cet artifice adoucit ou fait difparoître des
défauts qui reparoîtront immanquablement, parce
ce que la chofe la plus rare eft qu’un ouvrage
foit lu par quelque perfonne que ce fo it, auf&
adroitement que par l’Auteur. On a parlé fou- ’
vent du talent merveilleux qu’ont les Auteurs 8c
les Artiftes pour excufer les défauts de leurs ouvrages,
ainfî je n’infifterai pas. Je finirai feulement
par dire, que le moyen le plus certain de
fe procurer des confeils utiles , eft de les demander
dans le dèlfein bien fincère de les obtenir.
Demandez peut-on dire alors, 5c vous obtiendrez.
( Article de M. J ^ a t e l e t . )
CONSIDÉRATION attachée aux Arts 5c aux
Artiftes.
Fixer l’attention du Public 8c quelquefois d’une
Nation entière par des occupations qu’on remplit
avec fuccès8c par des vertus fociales auxquelles
on fe montre fidèle , c’eft mériter 8c acquérir une
véritable 5c complette confidération. Chaque
E ta t , hors ceux qui font trop dédaignés par l’in-
juftice des grandes fociétés, peut conduite a une
confidéràtion qui lui foit propre.
L a confidéràtion à laquelle un Artifte peut
parvenir, doit être aujourd’hui fondée non-feulement
fur les fuccès qu’il obtient par des foins,
des études fuivies : mais comme il fe montre
bien plus qu’autre fois dans la fociété, il doit
encore établir i’eftime à laquelle il afpire fur 1 exercice
habituel- des vertus fociales. L a réputation
qui vient du fuccès des ouvrages, fixe avec intérêt
les regards du Public fur celui dont il ad- >
mire les talens ; mais cette faveur établit pour
l’Artifte qui la reçoit, des devoirs plus exigeans
qu’ils ne le font pour le citoyen ignoré. Ces devoirs
peuvent être gênans ,fi les penchans de celui
qui les contracte y mettent quelque oppofition ;
les penchans des Artiftes ( je parle en général ) -
font trop fouvent de nature à fe plier difficilement
aux obligatious fociales auxquelles on attache
de la confidéràtion ; parce que leur imagination
trop vive 8c toujours exercée, fe porte naturellement
à un goût de liberté, d’indépendance,
je dirois même, de libertinage d’efprit qui font
contraires à plufieurs convenances abfolument
indifpenfàbles pour que la confidéràtion fe fou-
tienne toujours inaltérable.
On doit appercevoir, d’après ces notions, que
la réputation acquife par l’exercice heureux du
talent, ne fait aujourd’hui qu’une partie de la
confidéràtion que l’Artifte doit rechercher. Il
pourroit,par des fuccès nombreux , acquérir une
réputation méritée 8c ne pas jouir de toute la con-
fidération à laquelle il peut prétendre ; de même
"qu’il pourroit ne pas fe diftinguer dans fon talent,
& donner cependant de fa perfonne, par l ’exercice
habituel des vertus 8c des bienféances fociales,
une opinion avantageufe, qui n’auroit aucune
liaifon avec fon Art.
Il eft donc une confidéràtion complette que
les Artiftes peuvent 8c doivent fe propofer d’ob-r
tenir. Quand ils fe tenoient plus ifolés, l’idée
de la réputation l’emportoif pre fqu’eiî.tiè,rement
pour eux fur l’idée de la confidéràtion ; parce que,
dévoués à la retraite 5c an travail, 8c vivant dans
des fociétés abfolument privées , leur exiftence
fociale fixoit trop peu les regards du Public,
pour qu’il eut droit de les juger fous une double
relation.
Nos moeurs à c et égard font changées , les
Artiftes, 8c l’on en pourroit dire autant des
Savans & des Gens de Lettres , font admis dans
la fociété générale , 8c, par cette raifon , ils ont
droit à cette confidéràtion plus complette dont
j’ai parlé. Les Artiftes font donc en effet aujourd’hui
fufceptibles d’une ambition de plus ;
ambition louable, 8c qui bien dirigée, tourne
abfolument à l’avantage de celui qu'elle anime,
8c n’eft pas même inutile à l’Art. On doit en effet
préfumer que l’Artifte engagé à refpeder les convenances
8c les bienféances fociales, obfervera plus
exaâement encore celles qui font relativesà fes ouvrages
; 8c que ces deux mérites devenus plus
fréquens, feront rëjaiilir fur l’Art une opinion
plus honorable. Cependant cette ambition, ce
defîr extrême de la confidéràtion peut égarer
celui qui s’y livre fi ,'manquant de juftefïè 8c d’i dées
, il cherche à s’attribuer les nuances dé con-
fidértilion qui font dues à d’autres états que le
fien ; fes efforts alors, en le détournant de la
route qu'il doit tenir, peuvent nuire à la réputation
qu’il doit obtenir par fes talens 8c le priver
enfin de la double gloire qu’il recherche*
Rien de plus commun aujourd’hui que ces mé-
prifes ou ces inconféquences jrien de plus commun
que les inconvéniens qu’elles occafîonnent. Un
Magiftrat veut acquérir la confidéràtion d’homme
d’E ta t, de Politique, de Savant, d’ Artifte. Un
Artifte à fon tour prétend quelquefois à celle
d’homme de Lettres, d’homme du monde ; il
i perd le tems qui l’auroit conduit à de plus grands
fuccès dans l’état fous lequel il s’eft montré; 8c
l’incertitude qu’il caufè fur l’efpèce de eonfidé-
ration qu’il demande, engage quelquefois à ne
lui en accorder aucune. Il a trop demandé, &
finit par ne recevoir que du ridicule. Il eft bien
rare qu’un homme puiffe réunir plufieurs réputations
bien fondées 8c plufieurs fortes de considérations
à la fois. Si l’Artifte a la prétention de
vouloir perfùader que l’Art dans lequel il pouK-
roit réuffir n’eft que le moindre de fes talens ,l il
rifquera de perdre la confidéràtion à laquelle il
avoit droit, 8c qui feroit la jouiflance de fa vieil-
leffe, comme le fouvenir des avions honnêtes &
des travaux utiles devient celle des hommes vertueux.
( Article de M, ü^ a t e l e t . )
CONTORSION , ( fubft. fém. ) fe dit en
peinture des attitudes outrées, quoique poffibles ,
foit du corps, foit du vifàge. Le peintre , en voulant
donner de l’expreffion à fes figures, ne leur
fait fouvent faire que des contorfiôns• ( Article
de Vancienne Encyclopédie ),