
grande diminue la moindre, ou plutôt toutes
deux fe confondent, & font de leurs clartés-'
réunies une clarté plus vive.
Quand le corps lumineux eft égal au corps
opaque , la moitié de celui-ci eft éclairée de la
moitié du corps lumineux , & l’ombre eft égale
au corps opaque. Le corps opaque porte une
ombre moins grande que lui-même, quand il eft
moins grand que le corps lumineux , parce que
l.es rayons qui paflent à côté de lu i , prennent,
une forme conique , au lieu qu’ ils affectent une
forme cylindrique , quand le corps lumineux
& le corps éclairé font d’ une grandeur éga’ e.
Le corps éclairé produit autant d’ombres différentes
, qu’ il y a de corpslumineux qui
l ’éclairent : mais l’ombre la plus obfcure éft toujours celle que caufe la privation du corps
lumineux le plus éloigné."
Quand la lumière tombe fur un corps mou ,
inégal , raboteux, elle s?y imbibe , fe répand
fur toutes fes parties, en éclaire les innombrables
inégalités, & prend par conféquent la plus
grande étendue qu’ il lui eft poflible. On.pour-
roit en comparer l’ effet à celui d’ un liquide
fur un corps fpongieux , effet qu’ on peut remarquer
en jettant une goutte de liqueur fur
un morceau de fucre. Mais fi la lumière rencontre
un corps dur & poli , elle eft repouffée,
fe réfléchit j & fi le corps eft très-poli & la
lumière très-vive , elle lance de ce corps un
jet de rayons. C’ eft ce qu’on obferve fur les
métaux , les marbres & les eaux. E lle eft donc
plus large & moins brillante fur les corps mous ;
plus ferrée & plus éclatante fur les corps,durs
& polis. Ainû la lumière fe .répand plus largement
& avec plus de douceur fur les parties
couvertes d’une forte épaiffeur de chair , que
fur celles où la -préfènce des os eft fenfible,.
La lumière s’étend fur les joues : on la voit
brille r 8c réjaillir fur le front & fur les pommettes..
Les terres labourées font faiblement'
brillantes , même quand le. foleil les frappe. ;
les cailloux , les fables , les .roches dures ont
des reflets .éHouiffans. La partie fupérieure des
feuilles &' des herbes eft plus brillante que
la partie inférieure * parce qu’ elle eft plus li{Ce.
Les étoffes de coton & de laine s’ imbibent des
rayons lumineux -, les étoffes de foie les renvoient
-, elles ont par conféquent plus d’éclat.
Une ftatue de bronse , de marbrer , ou mime
de plâtre , a les ombres plus fortes.& les lumières
plus piquantes qu’une figure naturelle.
On peut donc étudier la beauté des formes fur
les ftatues ; mais on tomberait dans de graves
erreurs , fi l’on éti dioit fur elles l’ effet de, J a-
lumière , pour tranfporter cet effet'à des figures
vivantes. s
fees objets frappés de la lumière que renvoient
d’âutres objets , en prennent la couleur
qui fe mélange avec leur couleur propre : la
chair frappée des rayons que reflètent des corps
jaunes ou rouges , prend* elle-même une teinte
rouge ou jaune ; des perfonnes qui fe promènent
dans une prairie éclairée du foleil , fèmblent
avoir un teint verdâtre.
La lumière change la couleur propre de
l’ objet -, mais elle doit in participer : ainfi ,
une étoffé rouge , à l’ endroit où elle eft le
plus vivement frappée de la lumière , participe
de la couleur de cette lumière , 8c de celle
qui lui eft propre. C’eft donc un défaut de
pouffer la lumière jufqu’ au blanc , & l ’ombre
jufqu’ au noir.
Dans un jour univerfel , c’ eft-à-dire , qui
pas .éclairé par les .rayons apparens du fo-
lèil , mais par toutes' les particules de l’air ,
imprégné de la clarté que lui communique un
c k i pur & fans nuages , les lumières ont peu
de largeur , les ombres font douces & vagues j
la couieur propre fe conlèrve plus pure dans
les demi-teintes & dans les ombres que fi les
objets écoient immédiatement expofés au foleil ;
ils ont en même temps plus de r e lie f, &r leurs
parties font plus diftinéles : mais aufli l’ effet eft
moins v if & moins piquant.
Les objets font encore plus diftinéls pat un
ciel nébuleux, parce que les yeux ne font pas
éblouis par l’éclat des parties lumineufes : la
nature offre l’accord le plus doux ; les cou»
leurs propres , 8c fur-tout la verdure femblen/
augmenter de vigueur.
Les objets éclairés par la lumière du foleil
. femblent plus ou moins couverts de vapeurs,,
fuivant que le foleil luit avec plus ou moins
de force ; c’eft que les atomes qui circulent
entre l’objet 8c notre oeil font beaucoup plus
diftinéts par la lumière du foleil que par un
jour pur ordinaire , 8c paroiffent plus ou moins
colores , de forte que les ombres deviennent
tout-a-coup indecifes 8c fuient très-promptement.
I l eft donc aifé de concevoir que fi les ombres
! font plus décidées par la Lumière du foleil , que,
: pat tout autre jour , elles ne doivent cependant
offri r aucune dureté , .à moins que ce ne foit dans
I 4 és lieux couverts, où règne une lumière ferréej
Ips objets fe préfententà la vue d’ une manière
plus nette, plus diftinéte & moins fuyante.
, 1 1 eft aifé de fe procurer une démon fixation
i Cenfible de la dégradation de.la.lumiêre : il fufft
pour cela d’ entrer dans un.e galerie longue
; oc bien également-éclairée danstoute fon .étendue.
Le Ipeiétateur s’appcrcevra-que la partie la
plus voifine de fon oeil eft la plus lumineufe '
& que la clanfdemble diminuer à mefure qu’il
porte plus loin fes regard». L’ expérience devien-!
I dra plus frappante encore , fi la galerie eft ornée
de ftatues de. marbre .blanc p]acées • à des dif-
r anc es ; égales,- ; il verra, que la ftatue fa plus
éclairée eft la ;plus proche de lui. S’il, le place'
de manière q ui! puiffe voir toutes les ftatues;
fe détachant les unes fur les autres, il recon-
noîtra que la fécondé fe détache en brun fur la
première , & ainfi de toutes les autres. Il en
eft tout autrement des ombres qui s’aftoibliffent
toujours à mefure qu’ elles s’éloignent, parce
qu’il le place , çn proportion de l’éloignement,
entre l’objet ombré & l’oeil du fpeftateur , une
plus grande quantité de vapeurs imprégnées de
lumière, A infi donc , fans fortir de cette même
galerie , fuppofons que les ftatues foient de
bafalte, au lieu d’être de marbre blanc : alors
le fpeélateur verra que la première fe détache
en noir fur la fécondé , & que la plus éloignée
de toutes paraît aufli la plus claire.
Une règle affsî généralement obfervée', c’ eft
que la plus grande lumière doit frapper fortement
le milieu du tableau. Mais cela ne lignifie
pas que cette lumière principale doive être la
feule. On fait que Rembrandt s’eft plû , dans
un très-grand nombre de fes ouvrages , à n’employer
qu’ une feule maffe de lumière : Cette
pratique donnoit à fes tableaux un piquant que
ne procurent pas des effets plus harmonieux
& les grands fuccès de ce maître ne permettent
pas de le condamner y mais il ferait dangereux
qu’ il eût un trop grand nombre d’ imitateurs :
en effet , ce n’ eft pas ce que la nature offre
le plus rarement , qui doit être le principal
objet de l’ art. On peut fans doute l ’imiter quelquefois
dans les occafions où elle rend d’autant
plus piquant le bienfait de la lumière qu’ elle l’épargne
davantage •, mais elle en eft ordinairement
prodigue -, c’ eft même cette prodigalité habituelle
qui confticuefon caractère«, & c’eft dans ce
caractère qu’ il faut en général l’étudier & la
♦ endre.
Les Peintres Vénitiens , & Rubens qui avoit
puifé fes principes dans leurs ouvrages , fe font
fervis , dit M. Reynolds, de plufieurs lumières
fubordonnées. Mais comme, dans la compofi-
tion , il doit y avoir un grouppe dominant
il doit aufli , dans la diftribution des lumières,
y en avoir une qui domine fur les autres : il faut
que toutes foient diftinéles & variées dans leurs
formes, & qu’on n’ en compte pas moins de
trois. La lumière principale , ayant plus d’éclat
que les autres , doit avoir aufli plus d’étendue.
Les Peintres Hollandois ont particulièrement
excellé dans l’ entente du c lair-obfcur, 8c ont
montré , dans cê'tte partie , qu’ une parfaire
intelligence peut parvenir à dérober entièrement
à l’oeil toute apparence d’art.
Jean Steen , Ten ie rs , Oftade, du S a rt, &
plufieurs autres maîtres de cette école, peuvent
être cités comme des modèles , & leurs ouvrages
propofés aux jeunes artifte s, comme des objets
d’étude pour cette partie.
Les moyens par lefquels le peintre opère , &
d’où dépend l'effet de fes ouvrages , font les
j®urs & les ombres , les couleurs fières & les
couleurs tendres. Qu’on puifle mettre de l ’art
dans l’ entente & la diftribution de ces moyens,
eft une chofe qu’ on ne s’ avifera pas de con-
tefter : on ne niera pas non plais que l’ une des
voies les plus promptes 8c les plus fûres de par »
venir à cet a r t , eft un examen attentif des
ouvrages des maîtres qui y ont excellé.
Je vais rapporter i c i , continue ce favant artifte,
le réfuitat des obfervations que j’ai faites fur les
ouvragesdes artiftes qui femblent avoir le mieux
connu l’ entente du clair-obfcur , 8c qu’on peut
regarder comme ayantadonné les exemples qu’ il
eft le plus avantageux de fuivre.
Le Titien , Paul Véronefe, & le Tintoret ,
ont été des premiers à réduire en fyftêmes, ce
qu’on pratiquoit auparavant comme par hafard &
fans principes certains, & ce que par conféquent
on négligeoit fouvent aufli faute d’attention ,
parce qu’ on n’ avoit point encore fait de loix qui
obligeaient à l’obferver. C’ eft des Peintres Vé nitiens
que Rubens prit fa manière de compofer
fon clair-obfcur ; fes élèves l’adoptèrent, & elle
fut reçue par les Peintres de genres 8c de banv»
boohades de l’école flamande.
V oici la méthode dont je me fuis fervi pendant1
mon féjour à V e r iife j pour me rendre
utiles les principes qu’avoient fuivis les maîtres
de cette école. Lorfque je rèmarquois un effet
extraordinaire de clair-oblcur dans un tableau ,
je prenois une feuille de mon cahier d’études ;
j ’ en couvrais de crayon ncir toutes les parties
dans le même ordre , & la même gradation de
clair obfcur qui éeoit obfèr’vée dans le tableau ,
rëfervant la blancheur du papier pour repréfentef
la lumière. Je ne faifois d’ailleurs attention ni au
fu je t, ni au deflin, des figures. Quelques eflais
de cette efpèce fuffifent pour faire connoître la
méthode d^s Peintres Vénitiens d^ns la diftrîbu-
tion des jours 8c des omhres. Après un petit
nombre d’épreuves , je reconnus que le papier
étoit toujours couvert de maffes à-peu-près fem-
blables. I l me parut enfin que la pratique générale
dé cès .maîtres étoit de ne pas donner plus
d\in quart\du uableau au jour , en y comprenant
la licmièré principale & les lumières fecondaires,
d’ accorder un autre quart à l’ ombre la plus forte,
& de réferver le refte pour les demi-teintes.
I l parbît,que,-Rubens a donné plus d’un quart
à la lumière, 8c Rembrandt beaucoup moins :
on pourrait évaluer à un huitième au plus la
. partie éclairée de fes tableaux. I l réfulte de cette
méthode que f i lumière eft extrêmement brillante
-, mais cet effet piquant eft acheté trop
cher , puifqu’il coûte tout le refte du tableau
qui fe trouvé facrifié. I l eft certain que la lu mière
entourée de la plus grande quantité d’ombres
doit paraître la plus vive , en fuppolan»
que , pour en tirer parti , l’ artifte poffède la
même intelligence que Rembrandt -, mais il
n’ eft pas certain de même que l’ extrême v iv a -