
48 A T T
Lorfqu on a créé dans ' l’Art de la Peinture
une forte d Art des contraires , on a induit les Ar-
tifles a s’égarer ; car non-feulement la Nature ne
contraire pas , autant qu’on voudroit le faire
croire ; mais Ion effet pittorefque vient auffi fou-
vent de l’harmonie juffe de la couleur & du clair-
obfcur , que des contraires.
L etude de l’Anatomie elT au moins un préler-
\atif- contre l’abus des attitudes trop contrallées
& .exagérées, fi le Peintre la confülte.
Combien de mouvemens & & attitudes, qu’on
regarde comme admirables, font fourire l’Anato-
mifte qui fait que les os 8c les mufcles ne les permettent
pas.
. , n ouvrage qui indiqueroit, avec des preuves
tirees de la ilruéhire de nos relïbrts , les bornes
que la Nature impofè aux mouvemens, aux exten-
fions des bras , des jambes , des yeux, du corps,
leroit utile aux Amfl.es» Il empécheroit peut-être
tant d incorredions fur lefquelles on s’extafîe en
les prenant pour des prodiges d’expreflion , 8c dé-
montreroit que ce qu’on admire fuppofe le plus
fou vent des os déboîtés 8c des mufcles déplacés,
effets de l’exagération.
Des erreurs fèmblables feroient également mi-
fes en évidence par la perfpedive, lorfqu’on dé-
montreroit que les écarts des jambes d’un grand
nombre de figures font exceffifs 8c hors de toute
poflibilite, fur-tout en les rapportant aux plans
perfpectifs indiqués dans le tableau.
A T T R A P E R , ( part, p réf.) On d it, dans le
langage de la Peinture, attraper une rejjemblanee,
attraper l 'a i r , le maintien, la démarche, le caractère,
8cc. Ces exprelfions peuvent être rem- '
placées par le mot fa if ir , qui-me paroît avoir une
lignification plus précife 8c qui appartient moins
au langage familier.
Peut-être même pourroit-on penfer que PAr-
liffe , à qui l’on attribue le don de fa i f i r , eff plus
sur dans fes procédés que celui qu’on loue d’avoir
attrapé ce qu’il avoir en vue.
. S a ifir , ainfi qu'attraper,, eff un fait d’adrelïè
ffe preffelfe, quelquefois de hafard 8c de bonheur
; 8c ces qualités ou ces incidens contribuent
quelquefois au fuccès du Peintre, lorfqu’il fa ifit
ou attrape la reffemblance, l ’a ir , le caradère des
objets de fan imitation.
~ D’adreffe de I’Artifte, vient de fâ fàgacité & de
1 habitude qu il a prifè de deflïner avec exaditude
ou de peindre fidèlement. L a preffeflè s’acquiert
par l’habitude 8c par l’exercice continuel du talent.
L e hafârd enfin décide quelquefois du fuccès
comme de la plupart des adions des hommes.
Un très-habile Tireur rv attrape pas toujours
le but 5 le Joueur de Paume le plus adroit ne
fa if it pas toujours la balle comme il le fatr-
droit.
Au reffe, ces mots ne peuvent donner lieu a
dès préceptes, 8c les obfervations qui y peuvent j
A V A
avoir rapport fê mots D trouvent plus naturellement aux essin, Portrait, Caractère, 8cc.
A V
A V A N C E R , ( verb. neut. ) Un Maître dit
allez fouvent a fon Elève : Vous ne fa ite s p a s
ajfe\ avancer votre figure. Il lui dit auffi : F a i-
tes donc reculer cet objet qui n'efl p a s fu r fort
p la n . Ces manières figurées de s’exprimer regardent
la couleur , 8c la perfpedive aerienne
dans les rapports qu’elles doivent avoir l’une 8c
l’autre avec la perfpedive linéale. Plufîeurs figure
s , -ont d’après le plan géométral que fuppofe le
Peintre une grandeur fixe 8c une intenfité de
couleur à-peu-près déterminés. Je me fers de deux
mamères de m’exprimer, parce que la perfpedive
uneale eff une fcience pofitive dont les obligations
font abfolues , 8c que la couleur , dans l’exemple
que j’ai donnée, n’eff pas foumife auffi févèrement
aux loix de la perfpedive linéale.
En effet , plufîeurs circonffances permettent &
meme contraignent d’altérer les principes généraux
; car un air plus ou moins pur, ou plus ou
jnoms chargé de vapeurs , fait paroître à nos yeux
la meme couleur , plus ou moins dégradée
quoique placée au même point de diffance.. *
Il eff également vrai que les couleurs, ne fe
dégradent pas toutes dans la même proportion ; la
couleur rouge , par exemple , perd moins par fin-
terpofition d’un même volume d’a ir, que la couleur
jaune. Ainfi une figure, vêtue d’écarlate javancera,.
i P ^ s qu’une figure vêtue de jaune-clair, placée au
' meme point. Il y a donc une latitude donnée par
la Nature , dans la perfpedive aerienne ; mais les
dimenfions fixes que preferit la perfpedive linéale
fuppleant aux différences que peut éprouver la couleur
, relativement à la perfpedive aerienne décident
a nos yeux les diffances dans la nature 8c
doivent les décider dans le tableau. Lors donc
qu’une figure peinte eff de l’exade dimeniîon qui
convient à fon plan, fi l ’harmonie demande qu’elle
n’attire pas trop les yeux , l’Artiffe lui donnera
une draperie dont la couleur ne fixe pas trop le.
regard, 8c alors.l’harmonie fe trouve ménagée ‘
5,nsnq^e rla P^fpedive des plans foit compromifel
j e& ainfl que le Peintre fait avancer ou reculer
les objets qu’il peint, relativement à l’efprit de 1 A r t , comme le Poète facrifie quelquefois une.
expremon forte, mais en même temps défagréable.
a 1 oreille pour refpeder l’harmonie.
A U S T È R E , (- adj. ) L e féns de ce terme adapté
au langage de l’A r t , appartient principalement à.
fa théorie.
L e mot auftire préfènte des idées de févérite
& de rigueur. On dit en pariant des pratiques,
de certains Religieux , qu’ils fuivent une règle
auftire, & l’on entend alors qu’ils fe jnortifent
par des privations, . •
Ce$
A U S
Ces idées d'auflérité, bien plus répandues autre- 1
fois qu’elles ne le font aujourd’hui , font entrées
8c font reffées dans le langage figuré. L ’Art les
emploie ainfi pour faire entendre une certaine
févérité exelufîve, dévouée à ce qui eff férieux,
grave, 8c qui fe refufe à ce qui s’éloigne de ces
caradères. /
De-là dérivent ces qualifications : Compofition
aufière, manière auftère, fu je t auftère, Peintre
aufière.
On peut confîdérer cette auflérité pittorefque^
fous trois differens rapports :
Comme relative à l’À r t , ou bien au caradère
des fujets, ou bien enfin au caradère de l’A r-
tifle.
U auflérité, relative à l ’A r t , preferit dans le
deflin , avec la corredion, une certaine fermeté
prononcée , dans la compofition, une fimplicité
qui fe refufe à prefque tout ornement ; enfin ,
une couleur vraie, mais férieufe, fans manière 8c
fàns éclat.
L ’auflérité, envifagée comme caradère de certains
fujets, eff relative à ceux de ces fujets qui
s’accommodent le mieux aux principes dont je
viéns de parler; telles font les adions , le”s ex-,
preflions, les évènemens graves qui ne demandent
que peu de perfonnages 8c le moins d’accef-
foires poflïble. ,
Un feul perfonnage , par exemple, dont l’intention
, dont l’adion eff grave, trifte même ,
méditative, impofànte , entraîne celui qui en eff
le témoin à une attention concentrée’, qu’on peut
appeller auftère , parce que l’ame fe refufe à
'toute diftradion, 8c que celui qui peint cet homme
eff comme forcé à prendre fon caradère.
Ainfi par les rapprochemens d’idées , qui font
les bafes du ffyle figuré, on doit appeller aufiéres,
les fujets qui fe refufent, lorfqu’on les écrit ou
qu’on les raconte , aux agrémens que comporte
ordinairement le récit 8c qui font regarder cette
abflinence comme un mérite.
Un Religieux exténué par le jeûne 8c la
prière, qui, feul en un défert, médite fur l ’aven
ir , en fixant fès yeux, mouillés par le repentir,
ou troublés-par l’épouvante , fur une tête de mort,
eff un fujet aufière. Ce fujet exige une repré-
fentation auffi fïmple , que le récit qu’on en peut
faire , 8c contraint , pour ainfi dire, l’Artifte à
renoncer à tous les agrémens que demanderoit
ou permettroit une autre compofition. Enfin ,
tout fujet grave 8c fïmple, où l ’unité d’intérêt
rend l’attention profonde 8c l’attache fortement
8c comme exclufîvèment, peut être egradérifé par
le mot aufière.
Je paffe à l’application de ce terme, lorfqu’il
regarde particulièrement l’Artifte.
Les hommes reçoivent avec l’exiftence, une
cofnplexion phyfique qui influe puiiïamment fur
la manière dont ils envifagent tout ce qui fe préfente
à eux dans, le cours de leur vie. Ce tempé-
B eaux-Art s. Tome I.
A Z U 4P
rament décide du choix de leurs occupations,
lorfqu’ils font libres de les choifir, 8c influe fur
leurs idées , fur leurs difeours , fur leur phyfîonc*-
mie , fur leur démarche, fur leur maintien , fur
leurs plaifirs comme fur leurs travaux.
On pourrait dire qu’à cet égard ils reffemblent
aux Peintres,, qui, portés naturellement à un certain
coloris, l’emploient dans tous leurs ouvrages.
Nous prêtons , en effet, comme eux , la couleur
morale qui nous eff propre à tout ce qui nous environne.
L ’homme infouciant 8c gai fa ifit dans
l’évènement le plus férieux quelque circonftance
plaifante. L ’homme mélancolique trouve dans les
évènemens les plus gais quelque circonffance aff-
fortie à fon humeur , 8c. plutôt que d’en fortir, il
fuppofe, s’il le fau t, quelque fuite funefle, dont
il emprunte, avant qu’il en foit temps, la couleur
fombre qui le fàtisfâit davantage.
Ceux qui s’occupent des Arts ont plus d’oc-
cafions que les autres hommes de fuivre l’infpi-
ration de leur caradère ; leurs occupations, loin
de les féparer des fcènes de la v ie , les en rapprochent
, 8c, comme Artifles, ils les reproduifènt
fans ceffè dans leurs ouvrages, en les deflînant,
les colorant d’après leur manière propre & leur
tempérament.
Le.Peintre ferieux, fevère ou mélancolique,
ehbifît donc , autant qu’il le p eu t, des fujets
aufiéres, ou triftes.
Pour revenir à- l’auflérité, relative à l’A r t ,
j’ajouterai qu’elle paroît avoir de nos jours quelque
chofe de trop impofànt, parce qu’elle fe
trouve peu d’accord avec les moeurs , les ufàges
|8c les goûts adùels. Il eff cependant certain que
le genre aufière n’eft pas fi éloigné des grandes
perfedions que le genre que nous nommons g ra cieux
, dans le fens que nous donnons à ce mot.
Nous nous refuferons toujours davantage à ce
qui eff aufière, à mefure que nous, aurons moins
d’attrait pour les idées fîmples.'C’eft un effet inévitable
de la marche des idées ; le grand , le noble
, le férieux , Yaufière doivent perdre d’autant
plus de leur mérite pour nous que nos Arts libéraux
prendront de plus en plus le nom d’Arts
agréables.
Ce n’eff pas que Y auflérité ne puifîè entraîner
quelquefois à ce qu’on appelle en terme d’Art
pauvreté, ou bien à une trifteflè blâmable , lorff-
quelle n’eff pas attachante 8c exigée par le fujet.
On fent aifément que le mot aufière étant très-
figuré ; doit conferver quelque chofe de vague, 8c
fe trouver fujet à être employé comme louange 8c
quelquefois auffi dans un fens moins favorable.
A Z
A Z U R , ( fubff. mafe. ) Couleur qui eff en uläge
dans certaines manières de peindre. Voye£ dans
la féconde partie les articles Peinture 8c Peindre,
qui contiennent les differens procédés de l’Art.
G